Fin novembre, Société Générale fête, à Dakar, ses 60 ans d’implantation au Sénégal. A cette occasion, Financial Afrik donne la parole au patron Afrique de la banque, Laurent Goutard. Nommé en juillet 2019 à la Direction des réseaux bancaires internationaux, région Afrique, bassin méditerranéen et outre-mer, ce banquier « maison » qui a gravi tous les échelons au sein du groupe nous a reçu entre deux escales au siège de la Défense, à Paris. Depuis la fin de la pandémie, il sillonne « avec ravissement » sa zone après avoir exercé en République tchèque et dirigé la banque de détail Société Générale en France pendant 10 ans. Dans cet entretien exclusif, il explique pourquoi Société Générale a décidé de maintenir voire de renforcer son implantation en Afrique, quand d’autres ont fait le choix de partir, et nous livre sa vision stratégique.
Vous allez fêter les 60 ans d’implantation de votre filiale au Sénégal ? Que pèse aujourd’hui Société Générale dans le pays ?
C’est la deuxième banque du pays avec une implantation historique de six décennies. Au même titre que notre filiale en Côte d’Ivoire, dont nous venons de fêter les 60 ans ; celle du Cameroun ou bien encore celle du Maroc où nous sommes présents depuis… 110 ans ! Au Sénégal, nous avons une quarantaine d’agences avec environ 250 000 comptes de particuliers. C’est une présence significative, sachant par ailleurs que les deux tiers de nos bénéfices se font avec les entreprises. Malgré des chiffres d’affaire fluctuants, nos performances au Sénégal sont bonnes – au même titre que dans la plupart des autres pays de la sous-région où nous sommes présents. Dans le classement en termes de PNB dans les pays où nous sommes présents en Afrique (ndlr : le chiffre d’affaires des banques), le Sénégal se place en 5ème position derrière le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Côte d’Ivoire. Nous croyons sincèrement au potentiel de ce pays, qui est l’un de nos flagships en Afrique subsaharienne. Le financement du programme gazier, bien sûr, en est un au même titre que les routes ou les équipements collectifs.
Comment expliquer que Société générale Sénégal ne soit pas cotée en bourse, alors que Société générale Côte d’Ivoire l’est depuis longtemps?
Ce n’est pas un objectif stratégique en soi. Nous ne sommes d’ailleurs pas côté au Cameroun non plus par exemple. La Côte d’Ivoire connait un développement fulgurant des affaires depuis 2010, notre banque locale accompagne avec succès ses clients sur place. Mais tout semble indiquer que le Sénégal devrait prendre son envol (…) Ce qui distingue notre filiale ivoirienne, comme celle au Sénégal, c’est une forte empreinte locale avec en même temps une capacité à gérer des activités dans les autres pays de la sous-région. Nous avons, ainsi, des clients sénégalais qui sont présents au Burkina Faso, en Guinée, au Bénin. Nous venons d’ailleurs de nommer à Dakar un Ivoirien, Harold Coffi, qui dirigeait jusqu’à cet été notre filiale au Burkina Faso.
Vous n’avez jamais été implanté au Mali, mais l’êtes dans de nombreux autres pays de la zone franc CFA (Burkina Faso, Bénin, Guinée, Cameroun, Congo, Togo.) Avez-vous eu à pâtir du sentiment anti français qui sévit actuellement?
Honnêtement, jamais d’attaques à cause de nos origines… Même pas dans certaines géographies spécifiques où, pourtant la situation est devenue très difficile. Notre empreinte locale étant très forte, nous n’avons pas l’image d’une banque française malgré notre nom. Nous sommes plus perçus comme une banque locale car nos collaborateurs sont de nationalités très diverses. Les dirigeants de nos filiales sont pour beaucoup issus du continent Africain. A titre d’exemple, . Harold Coffi, a été remplacé par Willy Tchiengue, un Camerounais, à la tête de Société Générale Burkina Faso.
Est-ce la raison du maintien de Société Générale, voire de son renforcement en Afrique alors que d’autres groupes internationaux, eux, font le choix de partir?
Effectivement, après le départ de certaines banques, nous serons la dernière banque internationale encore présente en Afrique subsaharienne aux côtés de banques continentales marocaines, sud-africaines ou nigérianes. Si nous restons, c’est d’abord grâce à notre histoire qui nous offre un ancrage local solide et à une activité résiliente. Ainsi,malgrè des moments très difficiles en Côte d’ivoire, jamais la banque n’a perdu d’argent – même au sortir de la guerre. Nous avons des positions dominantes : nos clients sont des grands groupes étrangers et africains ainsi que des PME. Nous sommes leader ou en 2ème position dans tous les pays où nous sommes présents (NDLR : Maroc 4ème position, mais 1ere banque étrangère.) D’autre part, l’Afrique a toujours représenté un poids significatif dans les activités du Groupe (environ 8%). Ce qui veut dire que nous possédons une taille critique nécessaire pour résister aux aléas, et qui nous permet de continuer à nous développer localement. Notre implantation dans 17 pays africains est renforcée par une direction régionale à Abidjan pour l’Afrique de l’Ouest, à Douala pour l’Afrique centrale et de l’Est, ainsi que la création de plateformes de financements structurés à Alger, Casablanca et Abidjan, plus deux back offices, l’un à Dakar et l’autre à Madagascar. Nous avons également décider de mutualiser nos activités d’organisation et de systèmes d’information pour l’Afrique subsaharienne dans une structure présente à Casablanca et Abidjan : Société Générale African Business Services.
La fermeture de YUP a toutefois fait craindre un retrait éventuel de Société Générale Sénégal ? Qu’en est-il vraiment ?
Si notre stratégie est de durer sur le continent africain, il faut savoir faire des choix. L’arrêt de YUP fait partie de ces décisions stratégiques. Le lancement de cette activité de mobile money en tant que filiale de notre banque a été décidé en 2017, avec de bonnes raisons à l’époque. Elles n’ont plus cours aujourd’hui. D’abord parce que le marché est sursaturé depuis l’arrivée de nouveaux concurrents. Les régulateurs ont également accru leurs exigences vis-à-vis des banques dans ce secteur. CLes prestataires de service ne sont pas soumis à cette régulation. Pour accroitre notre développement sur le continent, il faut savoir arrêter des activités peu rentables, qui nous font perdre de l’argent. C’était le cas de YUP et nous l’avons donc fermé. Pour Dakar, la fermeture de la filiale a été compensée par l’arrivée de notre back office qui a permis de créer de nombreux emplois.
Vous évoquiez le leadership de Société Générale dans le financement des infrastructures ainsi que l’accompagnement de certains gouvernements africains. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Au Sénégal, nous nous sommes beaucoup impliqués en tant que chef de file dans des projets d’infrastructures de routes, d’assainissements dans la ville de Dakar pour un montant de 122 millions d’euros, mais aussi d’approvisionnement en eau ou d’assainissement dans la ville nouvelle de Diamniadio ainsi que dans le financement du PUDC, un programme public de développement rural. Nous avons aussi largement contribué au programme routier au Burkina Faso, le FSR-B, où ce sont des entreprises chinoises qui construisent les routes. Pour accompagner ces projets, le groupe Société Générale, qui est implanté en Chine, a créé des chinese desk comme en Guinée dirigés par l’un de nos cadres chinois. En Côte d’Ivoire, nous avons financé la construction de nombreux ponts pour plus de 240 millions d’euros. Au Ghana, nous avons financé la deuxième tranche d’extension de l’aéroport d’Accra ainsi que des projets de villes nouvelles ou d’énergies renouvelables.
En fonction de leur importance, ces financement sont réalisés soit par le biais de nos filiales, soit par le biais d’un PPP (ndlr : partenariat public privé) quand il faut lever de la dette en monnaie nationale ou internationale. Notre plateforme régionale de financements structurés d’Abidjan dont le patron, Fadel Kane, un Sénégalais, se charge du montage de ces dossiers. Pour de très, très gros projets requérant une expertise de syndication dans le cadre d’un pool de banques, nous nous appuyons sur nos filiales à Paris ou à Londres.
N’y a –t-il pas de la part des bailleurs de fonds internationaux une surévaluation de la prime de risque concernant l’Afrique ?
Pour moi qui pratique l’Afrique depuis trois ans et demi, j’ai sans doute encore des choses à découvrir. Mais, je considère que le risque en Afrique n’est pas surévalué. Les différentes expériences que j’ai pu avoir sur d’autres continents confirment cela. Les risques géopolitiques, systémiques et de réputation demeurent malheureusement encore trop importants. En ce qui concerne Société Générale, -et c’est peut-être ce qui nous distingue de la concurrence-, nous pensons avoir la capacité de maitriser ces risques et de savoir les piloter. Même si c’est une attention de tous les jours. Quelle que soit la géographie dans laquelle nous évoluons, nous appliquons le corpus des règles des régulations africaines et de la BCE. Parfois, avec de bonnes surprises : nous avons effectué récemment une levée en euro bonds pour le Cameroun et le Bénin, qui a fait sa première émission de Green bonds. Certes, les gouvernements auraient préféré des taux encore plus bas, mais ils ont été les premiers à être agréablement surpris par le taux de sortie.
Parlons maintenant de votre programme « Grow with Africa » lancé en 2018 en direction des entreprises. Les financements structurants en sont l’un des quatre « axes » saillants, mais quels en sont les autres ?
Oui, en plus des infrastructures, nous privilégions les financements innovants, notamment dans l’agro-business et les énergies renouvelables. Nous avons, ainsi, financé CotonTchad avec un crédit revolving et d’une lettre de crédit d’un montant de 30 milliards FCFA soit 45,7 millions d’euros ou bien encore la première centrale solaire à Madagascar pour un montant de 16 millions d’euros. Nous sommes également très attentifs aux synergies induites par le développement de l’hydrogène vert ou bien le développement de parcs d’éoliennes au Maroc, en Mauritanie ou au Sénégal. Ces pays ont du soleil, le jour, et du vent, la nuit, pour faire tourner des petites centrales. C’est d’ailleurs en partenariat avec Schneider que nous investissons dans le développement des smart grids. Lorsque nous pénétrons un marché, nous n’avons pas que les Etats ou les grands groupes comme clients. Nous rencontrons aussi de nombreuses PME avec des tailles et des activités très différentes.
Cet accompagnement des PME africaines est le troisième axe de notre stratégie de croissance sur le continent auquel nous tenons beaucoup. Nous leur avons d’ailleurs mis à disposition à parti de 2018 des maisons de la PME, notamment à Dakar, pour de la formation. Ce qui nous a valu de recevoir le 19 octobre 2022 le prix de Global Finance récompensant la meilleure banque en financement des PME. Ces investissements dépassent rarement les 200 000 euros, car il est difficile de descendre en dessous sans entrer dans le secteur informel. C’est pour cette raison, que nous aidons des PME informelles à se structurer. Notamment des entreprises dirigées par des femmes qui sont très actives en Afrique subsaharienne en comparaison de l’Afrique du nord. Enfin, le quatrième axe concerne l’Inclusion financière. Nous avons mis à disposition une enveloppe de 100 M euros pour aider les institutions de micro finance. Nous voudrions la doubler d’ici à 2025 pour permettre à ces organismes d’augmenter les crédits qu’ils accordent. Nous considérons, quant à nous, que c’est la meilleure aide pour favoriser la bancarisation en Afrique !