Autrefois connu pour la transparence de sa gestion publique, l’archipel du Cap-Vert vit depuis quelques mois de profondes crises de gouvernance. Le choix récent de Harold Tavares, bombardé administrateur adjoint au conseil d’administration de la Banque Mondiale, suscite des interrogations.Certes le poste revient bel et bien au Cap-Vert membre d’un groupe de 23 pays dont 11 francophones et lusophones de la CEDEAO en plus de tous les 6 pays de la CEMAC auquel il y a lieu de rajouter la République Démocratique du Congo, les Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice et São Tomé et Principe. Ces pays se succèdent à ce poste par rotation selon l’ordre alphabétique. Le mandat de l’élu dure quatre ans dont deux en tant qu’administrateur adjoint puis administrateur plein. Mais la procédure de sélection à ce poste stratégique fait débat.
Outre le fait que le préposé au poste ne parle pas la langue de Molière (ce dont on ne lui tiendra pas rigueur même s’il représente un groupe de 23 pays dont 19 francophones) , il aurait un CV assez sommaire.
Un CV et des interrogations
Selon le journal Capverdien A Nação, le Curriculum Vitae (CV) présenté par Harold Tavares pour le poste d´administrateur à la Banque Mondiale indique que le bien nommé n’a aucune expérience dans une institution financière. Consulté par Financial Afrik, Harold Tavares dément et déclare que ceux qui l’accusent n’ont pas jusque-là apporté la moindre preuve de leurs allégations. «Puisqu’ils disent cela, ils devraient prouver que mon CV est faux».
En tout cas, vu l’élitisme académique et professionnel au sein de la Banque Mondiale, la mission ne sera pas des plus faciles pour le capverdien qui aura pour rôle de formuler des requêtes et de défendre les pays qu’il représente notamment lors des négociations clés pour les décaissements ou les restructurations de la dette.
Le quotidien capverdien note que le futur administré a occupé cinq différentes fonctions de haut niveau dont trois aux Etats-Unis et deux au Cap Vert entre 2010 et 2018 alors que les deux pays sont séparés par quelques 6000 kilomètres.
De 2016 à 2018, Harold Tavares indique dans son CV qu´il était Conseiller spécial du Premier Ministre au Cap Vert et, au même moment, Conseiller spécial de l’Ambassadeur du Cap Vert aux Etats Unis à Washington DC. De 2010 à 2018, il aurait été directeur adjoint pour les relations internationales de l´Université de Bridgewater dans l´Etat du Massachusetts aux Etats Unis et que, simultanément, il occupait la fonction de Directeur administratif du Mandela Washington Fellows Program entre 2015 et 2018.
L’administrateur des 23 pays africains aurait réussi la prouesse, selon son CV, d’avoir travaillé à la mairie de Praia au Cap Vert alors qu´il aurait simultanément occupé deux autres fonctions de direction aux Etats-Unis. L’enquête de notre confrère précise également qu’une des positions supposément occupées, celle de Conseiller spécial de l’´Ambassadeur du Cap Vert aux Etats-Unis, n´existe pas dans le Statut de diplomate au Cap Vert.
Il faut dire que le Cap Vert a tergiversé pendant plusieurs semaines. Le premier ministre qui soutient le candidat se trouve en opposition frontale avec le président qui exige pour sa part que le profil le plus qualifié soit nommé à ce poste.
Le président a récemment réitéré sa position de principe dans une interview avec la télévision nationale disponible en ligne sur RTC online, disant entre autres qu´«Il est nécessaire de promouvoir l’égalité des opportunités afin que les meilleurs soient sélectionnés pour les fonctions…».
A court d’arguments, le premier ministre Ulisses Correia Silva a affirmé devant les députés et la Nation que la Banque Mondiale avait évalué et accepté le CV de Harold Silva Tavares.
Cette affirmation a été rapidement démentie par la Banque mondiale par écrit . L’institution financière expliquant
qu’elle n´a pas approuvé ce candidat qui qui ne fait pas partie de son personnel. La World Bank rappelant en outre que les administrateurs sont nommés en toute autonomie par les Etats comme représentants des actionnaires. Ce camouflet a justifié le titre du journal A Nação « Ulisses a menti au parlement » cité ci-dessus.
A titre comparatif, l´administrateur sortant, Alphonse Ibi Kouagou, nommé par le Bénin, compte plus de 30 ans d´expérience comme professionnel du développement et de la finance, dont 18 ans au sein du groupe de la Banque mondiale.
L´Administrateur qui a précédé ce dernier est le Docteur Seydou Bouda. Nommé par le Burkina Faso, il atteste de plus de 32 ans d´expérience en tant que ministre de l’Economie et des Finances, ministre du Plan et de la Coopération, ministre de l’Economie et du Développement, ministre de l´Administration publique et de la réforme de l´Etat, Ambassadeur aux Etats Unis, entre autres fonctions.
La question est de savoir pourquoi le premier ministre cap verdien rue sur les brocards pour imposer un CV peu qualifié eu égard à la fonction ?
Le Cap Vert fait bande à part ?
A noter que le Cap Vert ne travaille pas en symbiose avec les Etats de la sous-région au sein des institutions financières internationales. Au Fonds Monétaire International (FMI), le pays insulaire a quitté le groupe des 23 il y a plusieurs années et s´est rallié au groupe du Brésil avec des pays d’Amérique Latine comme l’Equateur, le Nicaragua, le Panama, le Suriname. L’actuel Vice Premier Ministre et ministre des Finances, Olavo Correia, avait fait la promesse de réintégrer le groupe des pays africains de 23 pays, il y a 4 ans, sans que cela ne se matérialise à ce jour.