Elles sont au cœur de l’économie congolaise. Indispensables au développement socio-économique du pays, les industries extractives sont soumises à une pression internationale et associative accrue et sont appelées à poursuivre leurs efforts en matière de droits humains. Elles apportent aussi leur soutien à la professionnalisation des mines artisanales, dont les conséquences sociales et environnementales sont désastreuses en RDC. Un défi d’ampleur.
Par Professeur Jean Marie Kasango
Les grands acteurs industriels poussés à l’action
Installations de Tenke Fungurume Mining (TFM) du 31 octobre au 4 novembre dernier, dans la commune congolaise de Fungurume (province de Lualaba). Une cinquantaine d’employés et 80 membres de la communauté minière, ainsi que des fonctionnaires, des salariés du privé et des membres des services de sécurité se réunissent à l’initiative de CMOC, l’un des géants chinois du cobalt et maison-mère de TFM, pour cinq jours de formation. Le but de ces sessions ? Renforcer l’application des Principes volontaires sur la sécurité et les droits humains au sein de la communauté minière de Fungurume, l’une des plus importantes du pays. Un évènement aussi marqué par la présence de MMG, l’un des autres majors de la filière extractive et, selon la direction de CMOC, « une preuve de la collaboration cordiale entre les miniers ». Car sur les questions de droits humains, la concurrence s’efface et les grands acteurs commencent à coopérer. L’évènement s’est déroulé sous la houlette de Justicia, une organisation de la société civile congolaise, et le DCAF, le Centre de Genève pour la Gouvernance du Secteur de la Sécurité, une fondation suisse spécialisée sur les questions de sécurité au travail. « Les principes volontaires constituent un pilier important de la gestion des risques liés aux droits de l’homme à TFM. Nous allons continuer à travailler pour une meilleure application des principes volontaires dans l’entreprise et à favoriser les partenariats internationaux et régionaux pour la sécurité de tous », estime ainsi Julie Liang, vice-présidente en charge des enjeux Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) chez CMOC.
C’est en 2000 qu’ont été élaborés les Principes volontaires sur la sécurité et les droits humains. Ils aspirent à fournir aux entreprises extractives une base solide pour leur permettre d’améliorer la protection de leurs opérations et le développement socio-économique des populations qui dépendent de l’économie minière. Mais c’est en 2008, avec l’approbation par la communauté internationale du Cadre « protéger, respecter et réparer » de l’ONU, puis des Principes directeurs des Nations-Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme en 2011, que cette mobilisation a véritablement changé d’échelle. Un enjeu d’autant plus important au Congo, où les richesses minérales abondent dans les sols. Le pays est ainsi le premier producteur de cuivre et de cobalt, deux minerais concentrés dans les provinces de l’ancien Katanga, l’un des principaux producteurs d’Or avec d’importantes productions concentrées dans l’est du pays, dans la région du Kivu, et un producteur notable de zinc, de lithium ou encore d’uranium. Autant de minerais stratégiques pour la transition énergétique, qui aiguisent l’appétit des grandes entreprises internationales, mais aussi des populations locales.
Mais cet évènement témoigne aussi de la coexistence de deux mondes parallèles au Congo, où cohabitent d’un côté les grands acteurs industriels, soumis à des normes strictes et soucieux de démonter aux pouvoirs publics leur responsabilité et, de l’autre, le monde bien plus anarchique des mines artisanales.
Environ 10 millions de Congolais dépendent directement de l’exploitation artisanale
Selon un rapport publié le 15 septembre dernier par le Forum économique mondial, l’exploitation artisanale demeure la principale source de violation des droits humains dans le secteur minier congolais. Ce mode d’extraction est surtout marqué par une forte mobilisation des enfants, dont la force de travail représente un gain financier bienvenu pour des familles en détresse économique. « Il y a de plus en plus une habitude d’exploiter des enfants parce que du fait de leur taille ils sont aptes à passer par des trous exigus pour aller collecter les minerais, surtout là où les mines se sont effondrées et donc ils s’exposent physiquement à des effondrements puisqu’il n’y a pas de mécanisme de sécurité en particulier », souligne ainsi Hervé Diakiese, un avocat congolais. Enfants, adultes, femmes. Tous appartiennent à la communauté des « creuseurs ». Celles et ceux qui, sans aucune protection, dans des mines où les normes internationales sont inexistantes, tentent d’extraire des minerais précieux.
D’un point de vue global, l’exploitation minière artisanale représente 20 % de la production totale du pays et constituerait une source de revenus incontournable pour 10 millions de personnes, selon les données de la Banque mondiale. Pour le cobalt, la part des mines artisanales est estimée entre 15 et 30 % de la production nationale. Difficile, pourtant, de priver de revenus les 10 millions de Congolais qui dépendent directement des mines artisanales pour leur survie économique et qui, malgré eux, nuisent à l’image du cobalt congolais, pourtant classé comme « minerai stratégique » par le gouvernement. Malgré la mise en œuvre d’une réforme du code minier pour mieux encadrer les mines artisanales, la pratique perdure sur la misère et le dénuement économique des populations. Dans le même temps, la Gécamines, l’ancien géant public des mines congolaises, soutenue par le suisse Trafigura, a lancé une filiale pour tenter de reprendre la main sur les mines artisanales et assainir la filière de l’Extraction minière artisanale et à petite échelle (EMAPE). « Un système quasi mafieux basé sur l’exploitation des travailleurs », estime le président du conseil d’administration de la Gécamines.
Une Fair Cobalt Alliance (FCA) pour formaliser la mobilisation des industriels
Face à ce fléau, les initiatives s’accumulent. En 2020, la Fair Cobalt Alliance (FCA) est créée à partir de la mobilisation conjointe de plusieurs associations et acteurs industriels. Elle compte aujourd’hui entre autres dans ses rangs Google, le chinois CMOC, l’ONG Save the Children ou encore l’entreprise américaine Tesla. Son premier objectif reste l’amélioration et la montée en gamme, notamment environnementale, des sites miniers opérés par ses membres ou par l’un de leurs fournisseurs.
Une approche cependant insuffisante. La FCA s’est aussi donnée pour mission d’accompagner durablement le secteur minier artisanal autour de deux objectifs : limiter un maximum le recours au travail des enfants par la professionnalisation des sites miniers artisanaux et mettre en œuvre des mécanismes destinés à la diversification économique des territoires les plus touchés. « Nous soutiendrons les coopératives EMAPE légitimes dans leurs efforts pour transformer leurs pratiques et s’aligner sur les pratiques internationales en matière de droits de l’homme, notamment en ce qui concerne la prévention du travail des enfants », souligne ainsi David Brocas, responsable du négoce de cobalt chez Glencore, l’une des entreprises membres de la FCA. Un soutien plus que précieux face à l’urgence sociale et environnementale des mines artisanales.