La cinquième édition des Financial Afrik Awards (#5FAA) s’est tenue le 8 décembre 2022 à l’hôtel 2 Février de Lomé sous le thème de «L’Afrique dans la finance verte». Le point culminant de l’événement fut la désignation du meilleur ministre des Finances de l’année. Le trophée revient à Nicolas Kazadi de la République Démocratique du Congo (RDC).
La désignation de cet économiste réformiste est triplement validée. D’abord par les statistiques, ces oracles du temps macroéconomique long qui pointent invariablement le curseur vers ce ministre d’un pays en phase de réconciliation avancée avec les normes et les procédures. Puis par le comité de sélection constitué de la rédaction et des experts de Financial Afrik. Et ensuite par le jury présidé par le banquier Ali Benahmed, financier avec, au compteur, quarante ans de pratique de négociation de lettres de crédit et d’évaluation des risques pays. Justement, si son risque pays s’est nettement amélioré à force de réformes et en dépit des tensions géopolitiques sur son flanc Est et des velléités de certaines entreprises minières à maintenir le statu quo, la RDC devrait déconstruire tout un discours erroné qui fait que certaines banques correspondantes continuent encore de pratiquer un pricing inexplicable sur son import-export. La perception en matière de la finance a tendance à l’emporter sur la réalité. D’où la nécessaire communication pour, comme le répête souvent Carlos Lopes, changer le narratif. Cet entretien avec Nicolas Kazadi, réalisé à la veille de la remise de la distinction, revient sur les réformes entreprises et les perspectives.
Monsieur le ministre, comment se porte l’économie de la RDC ?
La RDC se porte bien en dépit d’un contexte international difficile. Nous allons boucler l’année 2022 avec un taux de croissance de 6,6% soit deux fois le niveau moyen africain. La croissance économique figure parmi les plus vigoureuses d’Afrique et nous sommes plus résilient que la moyenne. Nous allons conclure de manière satisfaisante notre troisième revue avec le FMI. Au programme, l’approfondissement des réformes portant sur la gestion des finances publiques, l’accroissement des investissements publics et des dépenses publiques notamment celles à caractère social.
Quelles sont les principales réformes de l’économie et des finances de la RDC ?
La RDC a entrepris une série de réformes ambitieuses pour l’amélioration du climat des affaires, la diversification de l’économie et l’amélioration de la transparence dans la mobilisation des recettes. Dans le même ordre, nous avons engagé la digitalisation des procédures fiscales et la rationalisation des taxes non fiscales. L’autre chantier structurant porte sur les réformes du système fiscal. Nous allons passer d’un impôt cedulaire à un impôt global. C’est la première grande réforme de notre système fiscal depuis 1969. L’élargissement de l’assiette fiscale qui en découlera verra une réduction de l’impôt sur les sociétés (IS), de 30 à 25%. L’impôt sur les personnes physiques sera globale. En outre, nous poursuivons l’amélioration de la qualité des dépenses publiques notamment par l’accroissement significatif de la part de l’investissement public et l’amélioration de la gestion, l’augmentation des dépenses dans les domaines sociaux prioritaires, la réforme du système des subventions et la maîtrise de la masse salariale.
Tout dernièrement, la RDC a obtenu la note BBB à long terme et A2 à court terme auprès de Bloomfield Investment Corporation. Comment interprétez-vous cette évaluation ?
Le processus de notation cadre avec notre vision. Il s’agit d’un choix délibéré de nous soumettre à l’opinion du marché en sollicitant diverses agences de notation. L’exercice d’évaluation nous permet de mesurer le chemin parcouru et d’évaluer la perception des partenaires sur la crédibilité et l’image du pays. A ce jour, toutes les agences de notation tant internationales que panafricaines qui ont noté la RDC depuis 2021 à savoir, Standards and Poor’s, Moody’s et Bloomfield Investment Corporation ont attesté les performances du pays et rassuré que la RDC est un pays dans la bonne perspective et où il faut investir.
La RDC est trop dépendante du secteur extractif. Quelles sont les initiatives mises en place pour la diversification de l’économie ?
Nous restons en effet une économie dépendante du secteur extractif. Cela dit, nous avons entrepris de nous diversifier en apportant plus de valeur ajoutée. Le but c’est de se diversifier et de créer de la valeur. La transformation des matières premières est au cœur du dispositif. Nous sommes entrain de construire actuellement la plus grande usine de transformation de cobalt au monde pour un montant d’investissement de 200 millions de dollars. Nous allons ainsi accroître la valeur ajoutée du cobalt de 40%. Cet exemple est illustrateur de notre volonté de monter dans la chaîne de valeur des composantes des batteries électriques. Parallèlement, nous avons identifié 6 grandes zones agro- industrielles et de gros investissements sont en cours. Nous encourageons en outre le développement de l’agriculture familiale, pilier fondamental de notre résilience. Pour un pays comptant 90 millions d’habitants, la sécurité alimentaire est une nécessité.
Le Franc Congolais est fortement concurrencé par le dollar. Cette situation n’est-elle pas porteuse d’inflation et de déséquilibres macroéconomiques ?
Au contraire, le recours au dollar est le fruit de l’histoire. Nous avons tourné le dos au financement par la planche à billet. L’Etat se finance désormais dans un marché des bons du trésor animé par de nombreux investisseurs. Les fondamentaux macro-économiques sont solides. Le niveau de la dette publique est assez faible, ce qui dénote de la capacité de financement de l’Etat. La supervision du secteur financier s’est renforcée et l’assainissement du secteur bancaire est en cours. Un établissement est en cours de liquidation, l’autre est en redressement. La mise à jour de la loi bancaire consacre le relèvement du capital minimum. De même, une nouvelle loi est en cours de finalisation pour la lutte anti-blanchiment des capitaux et contre financement du terrorisme.
Quelle est aujourd’hui la situation réelle du climat des affaires en RDC ?
Le climat des affaires est stable. Nous sommes en progression nette. Mais, nous en sommes conscients, il y a encore beaucoup de défis à relever pour généraliser l’accès à l’eau potable, à l’énergie et aux infrastructures routières. Un baromètre national du climat des affaires est en train d’être mis en place afind’évaluerdemanièreindépendante et régulière les progrès en la matière et accélérer le rythme des reformes nécessaires.
Pour finir, Monsieur le ministre, comment entrevoyez vous l’avenir de la RDC ?
Je suis optimiste pour mon pays. La RDC est le pays d’avenir qui changera la donne. De par sa jeunesse et sa population, ainsi que ses potentialités en ressources naturelles dont 60% des forêts vierges du continent, 50% de ses eaux douces et plus de 60% des réservesdes minéraux stratégiques à la transition énergétique mondiale, la RDC a tous les atouts en main pour assurer son développement économique, social et vert et se positionner comme un acteur incontournable de l’économie mondiale.