Dès le 1er janvier 2025, le gouvernement marocain va mettre fin aux subventions de « produits de base ». Le gaz butane, le sucre et le pain seront achetés au prix dumarché. L’huile, depuis 22 ans, et les carburants, depuis 2014, étaient déjà sortis du panier subventionné. Cette décision est une petite révolution en matière de politique économique. Elle ne résulte pas de la pression du FMI ou de la Banque mondiale qui ont souvent prêché l’abandon de ces politiques de soutien de prix un peu partout. Les 2,4 milliards de dollars que l’Etat dépense chaque année en subventions, seront versés directement aux ménages les plus modestes sous forme d’allocations.
C’est au détour d’une petite phrase que le gouverneur de Bank Al-Maghrib (la banque centrale), Abdellatif Jouahri a révélé ce qui peut-être d’ores et déjà considéré comme une petite révolution et l’une des plus importantes réformes structurelles au Maroc. Dès le 1er janvier 2025, c’est-à-dire dans deux ans, il en sera fini des subventions du panier des produits dits de base. A cette date, le gaz butane, le sucre et la farine, et donc le pain, seront achetés au prix du marché.
Après des années d’hésitation, le choix politique et courageux qui a été retenu, est d’élaguer la totalité des subventions. Comme disent les experts marketing, au lieu de la stratégie du canon, l’Etat déploie désormais une approche à la carabine en versant des allocations mensuelles aux ménages les plus modestes. Le dispositif technique dont le Registre social unifié est le pivot, est prêt pour ce basculement.
L’huile et les carburants avaient ouvert le bal
Les arguments de cassandres qui mettent en garde contre des « problèmes sociaux » dès que l’on évoque une réorientation de la politique de subventions, ne sont plus audibles. L’huile alimentaire a bien été décompensée depuis plus de 20 ans et surtout, les carburants (essence et gasoil) à la pompe en 2014 par le gouvernement conduit par les islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD), sans que cela ne suscite le moindre remous, ni n’alimente une inflation des prix alimentaires.
Contre les réserves du puissant ministère de l’Intérieur, le gouvernement de l’époque avait dû résister à la pression des « bobos » de grandes villes qui étaient en première ligne pour défendre le statu quo. Mais avec seulement 1 ménage sur 7 motorisé (ndlr : en 2014), le gouvernement marocain en arriva à la conclusion que les subventions de l’essence et du gasoil passaient complètement à côté de la cible. Une réforme qu’aucun de se prédécesseurs n’avait osé mettre en œuvre faute de courage politique.
De tous les produits subventionnés, le gaz butane, utilisé quotidiennement pour la cuisson des aliments dans les foyers marocains, est de loin, celui qui coûte le plus cher au budget de l’Etat et symbolise à lui tout seul, les incohérences de cette politique de soutien du pouvoir d’achat. Tenez, le prix de la bonbonne de 12 kg vendue à 40 dirhams (4 dollars) à l’épicerie, n’a pas bougé depuis 1990 ! Sur les 9 premiers mois de l’année 2022, la subvention mensuelle moyenne de la bouteille de gaz butane de 12 kg supportée par le budget de l’Etat s’est établie à 97 dirhams, soit près de 10 dollars. Sans ce soutien, la même bonbonne coûterait 137 dirhams, révèle le ministère des Finances dans un document adossé au projet de loi de finances. En moyenne, l’Etat prend en charge au moins 2/3 du prix réel de la bonbonne de gaz butane avec un pic de 75% en avril dernier (Source : Ministère marocain du Budget).
Avec la flambée des prix internationaux de l’énergie, la pression sur les finances publiques est devenue intenable. De janvier à fin août 2022, le soutien au prix du gaz butane a coûté 22 milliards de dirhams au Trésor, soit 2,2 milliards de dollars, un montant en hausse de 52% par rapport à 2021. En attendant le démantèlement total des subventions dans deux ans, le gouvernement a inscrit 26,6 milliards de dirhams (2,6 milliards de dollars) dans le budget 2023 pour le soutien des prix du gaz butane, du sucre et de la farine de blé.
Pour financer la généralisation de la protection (dont celle des allocations familiales réservées jusqu’à présent aux ménages des salariés), il fallait trouver de nouvelles ressources financières et redéployer certaines dépenses de l’Etat. Dès 2023, le coût à supporter par le Trésor, dans le cadre de la généralisation de la protection sociale, atteindrait 12,5 milliards de dirhams, estime Bank Al-Maghrib. De ce total, 9,5 milliards iront à la couverture médicale et 3 milliards à la généralisation des allocations familiales. Cette enveloppe sera portée à 26,3 milliards en 2025, dont 9,5 milliards au titre de la couverture médicale et 16,8 milliards pour les allocations familiales.
Ces dépenses seront financées à partir des ressources mobilisées par le fonds d’appui à la protection sociale et à la cohésion sociale alimenté par une taxe exceptionnelle sur les entreprises qui réalisent plus de 100 millions de dirhams de résultat net (la contribution sociale de solidarité) ainsi que par le redéploiement des ressources affectées actuellement au financement des différents programmes sociaux et à la compensation.
Un démantèlement en deux ans
Conformément à la loi-cadre relative à la protection sociale, la poursuite de la réforme du système de compensation est prévue de manière progressive afin de dégager des marges pour financer partiellement le déploiement des allocations familiales. Ainsi, la charge totale de compensation sera ramenée à 26,6 milliards en 2023, à 8,9 milliards en 2024 puis se limiter à 200 millions de dirhams en 2025.
A fin novembre 2022, sous la pression de la hausse des prix énergétiques sur le marché international, les dépenses de compensation ont bondi de 107,5% à 38,6 milliards, bien largement au-dessus des prévisions de la loi de Finances. Pour boucler l’année en cours, le gouvernement a dû mobiliser exceptionnellement 16 milliards de dirhams supplémentaires.
Cette évolution s’explique notamment par la flambée du cours moyen du gaz butane de 20,3% à 754 dollars la tonne à fin novembre. En outre, ces charges comprennent les subventions accordées aux routiers pour un montant de près de 4 milliards et ce, dans le cadre des mesures décidées par le gouvernement pour contenir la diffusion de l’inflation.