Par DOURANDJI Jean Martin à N’Djamena
Dans le souci de résorber le chômage de masse et de diversifier son économie, le gouvernement tchadien en partenariat avec le Groupe ARISE a décidé de créer des zones économiques spéciales dans les villes de Sarh, Moundou, N’Djamena, Dourbali, Ati et Am-Djarass. Ces espaces économiques qui devront créer à terme 45 000 emplois et bénéficier d’un financement de 500 milliards de FCFA seront spécialisés dans la filière bétail et viande. Pour la phase pilote, deux sites sont retenus : Moundou et N’Djamena. Cette phase devant créer 5000 emplois. Un partenaire technique est aussi trouvé pour sa mise en œuvre : le Groupe ARISE. Il est présent dans plusieurs pays du continent notamment au Benin, au Gabon, en Côte d’Ivoire. De ce partenariat a été créée la société Laham Tchad qui est chargée de mettre en place les infrastructures nécessaires (abattoirs, usines d’aliments, tannerie, etc.).
Devant le Conseil national de transition qui fait office de parlement de transition, la ministre du Commerce et du Développement industriel madame WANLEDOM Robertine avait expliqué que le gouvernement mettait en place les ZES avec pour objectif d’attirer les IDE et de diversifier l’économie nationale qui rappelons-le est très largement dominé par le pétrole dont la chute du prix du baril entre 2014 et 2017 avait gravement affecté le pays.
Quelles chances de succès ?
Une zone économique spéciale est un espace géographique défini dans lequel des facilités sont accordées aux entreprises (incitations fiscales, accès au foncier facilité et des procédures administratives simplifiées). L’objectif d’un tel aménagement est de favoriser le développement local de la zone d’implantation, la croissance, l’attractivité des IDE, l’exportation et la diversification de l’économie nationale. Au cours de ces dernières années plusieurs pays africains ont mis en place des ZES qui ont connu des fortunes diverses.
Dans le contexte tchadien la mise en place des premières zones économiques spéciales est louable. Et pour cause depuis son indépendance, la priorité des différents gouvernements a toujours été le secteur sécurité.
Cependant la réussite de ces projets économiques reste à prouver. Le climat d’affaires au Tchad est difficile en témoigne les différents classements Doing Business où le pays traine depuis et toujours au bas de l’échelle. Ce qui est de loin de rassurer les investisseurs riscophobes. Cette situation de mauvais élève est la résultante de l’image persistante de pays instable (bien que la situation ait évolué), du manque d’infrastructures, de récurrents problèmes d’électricité, du clientélisme et du clanisme dans les fonctions nominatives donnant lieu au laxisme et toutes autres formes de dérives. Le choix de certains sites devant abriter certaines ZES est plus politique qu’économique et donc sujet à discussion. Par exemple le site d’Am-Djarass isolé au nord-est sans accès par la route et très peu peuplé attire notre attention. Bien que la ville ait été dotée d’un aéroport international inauguré le 28 décembre dernier la viabilité de ce site est particulièrement discutable.
Pour les sites de Moundou, Sarh et N’Djamena les facilités d’exportation existent. Ces villes sont connectées à la sous-région CEMAC par des routes et disposent des installations aéroportuaires conformes. Quant au site de Dourbali à 105 km à l’Est de N’Djamena, il va plus bénéficier de sa proximité géographique avec la capitale. La capitale de la province centrale du Batha devra aussi faire face aux difficultés inhérentes à sa position géographique. En effet, enclavée, l’unique voie qui relie cette ville à la capitale dont les travaux de bitumage démarrés depuis 2014 sont à l’arrêt. Il s’en suit que les choix de Dourbali et Ati résultent uniquement du seul fait de la disponibilité de la matière première. Le site de Sarh au sud n’est pas non plus une zone d’élevage réputée. Les Tchadiens se rappellent que la société industrielle de viande du Tchad (SIVIT) qui a existé dans cette ville entre les années 1967 et 1975 a fait faillite car implantée au mauvais endroit et du fait de sa gestion. L’histoire serait-elle en train de se répéter ?
Un frein majeur se dessine pour l’ensemble de ces zones économiques. La disponibilité de l’électricité. Dans un pays où cette énergie est rare, des solutions doivent être trouvées pour pallier à ce manquement. C’est le cas à Moundou avec la mise en service prochaine de la centrale à gaz et l’opérationnalisation depuis 2018 de la centrale éolienne d’Am-Djarass. En général, l’électricité sera un défi majeur à relever.
En dépit de ces obstacles qui pourraient compromettre les chances de succès des zones économiques spéciales du Tchad, les points positifs existent. Une agence d’administration été créée par décret présidentiel en juillet 2022 pour leur gestion. Le partenariat avec le Groupe ARISE a abouti à la création d’une société nommée Laham Tchad. Et c’est cette dernière qui devra exploiter les ZES qui sont spécialisées dans la filière bétail-viande. Dans ce secteur justement le pays détient un avantage comparatif indéniable. Avec un cheptel de 93,8 millions de tête de bétail et de 34,6 millions d’unités de volailles, selon les résultats du recensement général de l’élevage en 2018, le pays a l’un des plus importants cheptels du continent. Il est déjà un fournisseur par excellence de viande en Afrique centrale (RD Congo, Congo, RCA, Angola, …). D’où la spécialisation des ZES dans ce secteur.
Si l’on est rassuré quant à la disponibilité de la matière première, d’autres facteurs de réussite existent. Le chômage de masse fournit une main d’œuvre à taux de salaire favorable bien que le SMIG de 60 000 FCFA soit l’un des plus élevés de la sous-région.
Aussi pour réussir son pari, le gouvernement doit songer davantage à confier la gestion de ces zones au privé ou en partenariat public-privé (PPP) étant donné les expériences ratées de gestion par l’Etat des entités économiques.
Pour véritablement réussir sa mission l’agence d’administration des ZES (AAZES) doit s’inspirer des réussites d’autres ZES. Une mission dans ce sens s’est rendu en décembre dernier au Benin où est développée la Glo Djicbé industrial zone. Il reste qu’il faut adapter les meilleures pratiques au contexte tchadien. L’un des griefs faits au Tchad par les partenaires internationaux est souvent la qualité du personnel dans la fonction publique. Son incompétence, résultat des nominations clientélistes, claniques, donne lieu à des pratiques douteuses peu orthodoxes. Le personnel doit être à mesure de définir des stratégies de développement et de relever les défis. Il est question ici de crédibilité. Il faut d’ores et déjà identifier les goulots d’étranglement afin de les solutionner et gagner la confiance des potentiels investisseurs. Sans quoi les ZES du Tchad vont in fine s’ajouter à la liste d’autres projets disparus prématurément ou mort-nés ce qui serait bien dommage compte tenu de l’enjeu.
Par DOURANDJI Jean Martin à N’Djamena ; Economiste diplômé des universités Adam Barka d’Abéché (Tchad) et de Yaoundé II (Cameroun). Fondateur et CEO de Africa Boost Sarl, avec près de 3 ans dans la finance en tant que trésorier.