Homme d’affaires franco-libanais, Fadi Wazni est le Président du conseil d’administration de la Société minière de Boké (SMB), première entreprise minière du pays, et directeur général de United Mining Supply (UMS), leader du transport et de la logistique en Guinée et dans la sous-région. Il nous livre aujourd’hui sa vision de l’avenir du secteur minier en Guinée, qu’il perçoit comme un vecteur de développement très stratégique.
La Guinée apparaît comme un pays décisif dans l’exploitation minière, notamment au vu de ce qu’elle représente pour les grands enjeux énergétiques de demain. Mais les acteurs qui y sont positionnés sont évidemment scrutés, tant les enjeux liés aux droits humains et à la préservation des ressources sont cruciaux. Comment doit agir, dans ce contexte, un industriel responsable ?
Fadi Wazni – L’industrie minière change en effet et, comme l’ensemble des secteurs, est appelée à s’adapter aux grands enjeux internationaux, notamment climatiques et environnementaux. L’une des principales évolutions que nous pouvons constater est d’abord réglementaire, avec un encadrement législatif et normatif de plus en plus strict. Cette évolution, si elle est plus contraignante, reste salutaire. Elle place les responsabilités communautaires et environnementales au centre des projets miniers. Évidemment, de nombreux progrès restent encore à accomplir.
Mon opinion, comme industriel, est que la responsabilité repose avant tout sur notre capacité à placer les aspects humains au cœur de l’exploitation minière. Plus précisément, il s’agit de mettre en œuvre les conditions qui permettront le développement socio-économique des communautés minières et de l’ensemble de la Guinée.
Dans le cas de la filière mine, il s’agit d’abord d’avoir une politique de local content très développée, par l’activation de mécanismes de soutien à la création de sous-traitants compétents et efficaces, et par le développement d’outils en faveur de l’amélioration des conditions de travail et de formation des employés. L’autre aspect que j’identifie repose dans un soutien à l’ensemble des communautés minières, en contribuant, avec les pouvoirs publics, à la création ou à l’amélioration des services sociaux les plus essentiels, comme les écoles, les centres de santé ou encore les hôpitaux.
C’est en tout cas la démarche que nous avons mise en œuvre sur le site de Boké, depuis notre implantation il y a six ans. Plus de 200 entreprises ont été créées, dont certaines ont élargi leurs activités à d’autres projets. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les bases de vie, qui sont de plus en plus confortables, avec des chambres climatisées et des cantines de qualité. Enfin, nous avons œuvré à la réhabilitation de nombreuses écoles, à la construction de centres de santé, d’un hôpital et d’un aéroport, mais aussi de routes et de ponts et de chemins de fer. Nous comptons, à l’avenir, maintenir et renforcer ces efforts qui sont directement bénéfiques aux employés, à leurs familles et à l’ensemble de la communauté minière.
Quelle est votre vision prospective pour le secteur guinéen des mines ? Peut-il être un catalyseur de développement socio-économique pour le pays ?
Fadi Wazni – D’un point de vue géologique, la Guinée est comparable à l’Australie. Les deux pays ont le point commun d’être très riches en matières premières, notamment en bauxite. D’un point de vue socio-économique, l’exemple australien peut constituer une source d’inspiration et un modèle de développement pour la Guinée. L’Australie a connu 27 ans de croissance continue, en exploitant et exportant en quantité ses matières premières tout en développant ses infrastructures, comme les routes, les ports ou encore les chemins de fer. Ensuite, le pays a capitalisé sur sa manne minière pour se moderniser et s’industrialiser. La Guinée a les capacités de suivre un chemin de développement comparable et de devenir, dans les années à venir, un acteur majeur de l’économie sous-régionale dans son ensemble.
L’un des grands enjeux économiques pour les pays les mieux dotés en minerais est sans doute la capacité à se doter d’une filière de transformation domestique. La transformation locale -de la bauxite notamment- est d’ailleurs impulsée au plus haut niveau de l’État guinéen. Comment votre groupe se positionne par rapport à ces nouvelles contraintes ? Le rachat d’Alteo par l’UMS que vous présidez s’inscrit-il dans cette tendance ?
Fadi Wazni – La transformation domestique des matières premières est en effet le but ultime pour la Guinée et, plus généralement, pour l’ensemble des pays avec un puissant potentiel en minerais. Ce n’est pas un hasard si de nombreux pays africains investissent pour se doter localement de filières de transformation.
Notre groupe est très avancé sur son projet de raffinerie d’alumine avec le soutien de notre usine ALTEO à Gardanne, implantée dans le sud de la France. ALTEO est la mémoire de l’industrie de l’alumine dans le monde et son savoir-faire, notamment en matière de traitement des déchets, est certainement le plus performant de cette industrie. Elle permettra de nombreuses synergies avec nos sites guinéens, qui profiteront évidemment de son expérience.
Pour un développement consistant de l’économie guinéenne, il y’a des étapes qui doivent être franchies et qui sont en passe de l’être : augmentation des capacités énergétiques, renforcement de la règlementation environnementale, amélioration des compétences locales, et enfin implication des communautés. Tout cela est assujetti au maintien de l’attractivité de la Guinée pour les investissements. Gardons à l’esprit que la Guinée est passée en 15 ans environ de USD 2 Milliards de PIB en 2005 à plus de USD 18 Milliards en 2022. Le pays est en marche et son développement socio-économique se poursuit au fur et à mesure que la filière extractive se structure.
La Guinée, comme plusieurs pays de la sous-région, fait face à de sérieux bouleversements politiques avec un coup d’État mené en septembre 2021 par le colonel Mamadi Doumbouya, toujours à la tête d’un gouvernement de transition. Peut-on envisager un développement et une structuration sereine de la filière mines guinéenne dans un contexte politico-sécuritaire encore incertain ?
Fadi Wazni – La Guinée est un pays jeune. L’histoire nationale se construit avec ses aléas et ses soubresauts. Tous les pays passent par ce processus. La France a mis environ un siècle pour avoir des institutions démocratiques stables – de la révolution de 1789 à la 3ème République de 1870.
Lorsque les projets sont sérieux, qu’ils génèrent des revenus conséquents à l’État, qu’ils construisent des infrastructures, qu’ils créent des milliers d’emplois, et qu’ils développent les régions, ils obtiennent naturellement le soutien des populations et par conséquent des gouvernants qui, par définition, sont supposés placer le développement socio-économique de leur pays au cœur de leur politique.
Le projet du mont Simandou a mis du temps à aboutir pour parvenir à un accord avec les différentes parties prenantes, notamment l’Etat guinéen. Ce projet est souvent présenté comme un catalyseur de développement socio-économique pour le pays. Quelle est votre approche pour ce gisement, notamment en termes de local content ?
Fadi Wazni – Le projet Simandou, du fait de sa taille, bouleversera l’économie guinéenne. Le montant de l’investissement pour le projet de Simandou est estimé à 15 milliards de dollars, ce qui inondera le pays de devises et créera des dizaines de milliers d’emplois directs et indirects. A son achèvement, il multipliera par deux la croissance nationale pour la porter à plus de 10% annuel.
Par Josiane Nguema