Depuis quelques années, l’Afrique de l’Ouest est confrontée à une série de coups d’Etat militaires. Le Burkina Faso, la Guinée et le Mali sont désormais dirigés par des juntes qui ont confisqué le pouvoir politique, reportant à de longs mois un retour à l’ordre constitutionnel. Organisation regroupant quinze pays de la région, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) y envoie régulièrement des missions d’experts dans le but de maintenir un dialogue, afin d’éviter une captation de la gestion des affaires par les militaires, dont le rôle devrait plutôt être de défendre les frontières d’un Etat et non pas de le diriger. Quel bilan peut-on faire aujourd’hui de ces actions ? Retour sur une succession de sommets et de communiqués.
Mali : de mal en pis…
Certes les démocraties ne sont pas parfaites, tant s’en faut, mais au moins, même les plus autoritaires permettent d’intégrer une critique de leur action. En revanche, avec les militaires au pouvoir, tout cela disparaît. Avec le coup d’Etat du 18 mai 2020, visant le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, au Mali, l’Afrique de l’Ouest a renoué avec une pratique que l’on espérait d’autre temps. Les putschistes avaient – le croyait-on – disparu du paysage ouest-africain depuis septembre 2015 et la tentative ratée de Gilbert Diendéré d’empêcher un renouveau démocratique au Burkina Faso.
A l’époque, le « pays des hommes intègres » tente de suivre une transition politique sous la conduite du président Michel Kafando et de son Premier ministre, le lieutenant-colonel Isaac Zida. Mais le matin du 17 septembre 2015, les Burkinabè apprennent, par leurs écrans de la télévision nationale, la dissolution des institutions suite à un coup de force du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Le lieutenant-colonel Mamadou Bamba, au nom d’un « comité de soldats », indique que le président de la transition est « démis de ses fonctions », que le gouvernement et le Conseil national de la transition sont « dissous ». Des mesures intervenant après avoir brutalement interrompu le Conseil des ministres pour arrêter Michel Kafando et Isaac Zida.
Dans la foulée de ces annonces, sous la présidence de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), les pays et organisations membres du Groupe international de soutien et d’accompagnement à la transition au Burkina Faso (Gisat-BF) condamnent « avec la plus grande fermeté le coup d’Etat perpétré par des éléments des forces de défense et de sécurité burkinabè ». Ils rappellent également une « tolérance zéro aux prises de pouvoir par la force » et rejettent « l’interruption du processus démocratique ».
Cette déclaration de principe s’accompagne d’une mise en garde envers les auteurs du putsch, qui « seront tenus responsables de leurs actes et de toutes les conséquences de ce coup de force ». Des condamnations se font également entendre du côté des Nations unies, de l’Union africaine, de l’Union européenne, de la France et des Etats-Unis.
Le lendemain, il apparaît en fait que l’homme fort du putsch est le général Gilbert Diendéré, l’un des piliers de l’ancien régime en tant que chef d’état-major particulier du président Blaise Compaoré, renversé en octobre 2014 par un mouvement populaire, après vingt-sept ans de présence à la tête de l’Etat. Devant les menaces de la communauté internationale – l’Union africaine qualifie le coup d’Etat au Burkina Faso de « terroriste », les membres de la junte sont interdits de voyager et leurs avoirs gelés – le tout-puissant patron du RSP tente de négocier. « Nous n’avons pas l’intention de nous éterniser, ni de rester », déclare-t-il à la presse internationale.
Le 20 septembre 2015, le président en exercice de la Cedeao, le Sénégalais Macky Sall, qui a fait le déplacement de Ouagadougou afin de rencontrer le général Gilbert Diendéré, annonce un « projet d’accord politique ». L’objectif : le départ des putschistes du pouvoir. Mais également le retrait du lieutenant-colonel Isaac Zida de la primature et, surtout, l’adoption d’une loi d’amnistie pour les militaires impliquées dans le coup d’Etat. Ceux-ci obtiennent également que les candidats à la présidentielle qui avaient soutenu Blaise Compaoré pourront participer au futur scrutin et que la dissolution du RSP sera laissée à l’appréciation des futures autorités élues.
« Ce sont des propositions honteuses. Ils ont cédé à toutes les demandes des putschistes. La Cedeao a payé la rançon de la prise d’otages. J’ai honte pour la Cedeao. Nous allons résister », dénonce alors Guy-Hervé Kam, porte-parole du Balai Citoyen, un mouvement de la société civile, très actif dans le renversement de Blaise Compaoré.
Finalement, la résolution de la situation va venir de l’armée burkinabè elle-même. Des unités hostiles à la junte convergent vers la capitale depuis la province. Le président Michel Kafando est exfiltré par des soldats français de la villa où il était tenu sous surveillance. Le général Gilbert Diendéré réitère sa déclaration de quitter le pouvoir au plus vite. Il promet aussi de « remettre le pouvoir aux autorités civiles de transition à l’issue de l’accord définitif de sortie de crise sous l’égide de la Cedeao ».
Le 22 septembre 2022, l’armée burkinabè et les putschistes signent un accord, sous les auspices du Mogho Naba, le roi des Mosse, qui met fin à la tentative de coup d’Etat. Ces derniers acceptent de retourner dans leurs casernes et Michel Kafando est rétabli dans ses fonctions dès le lendemain, en présence des chefs d’Etat du Bénin, du Ghana, du Niger, et du vice-président du Nigeria.
Bilan pour la Cedeao. Les propositions de l’accord obtenu par la médiation de Macky Sall ont fait l’unanimité contre elles, particulièrement de la part de la rue burkinabè – qui a dénoncé « le coup d’Etat le plus bête du monde » – et des responsables politiques locaux. Néanmoins, dans la capitale fédérale nigériane, Abuja, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’organisation réunis en sommet extraordinaire se réjouissent « des efforts de médiation assidûment déployés par Macky Sall (…) et Thomas Boni Yayi, (…) facilitateur désigné de la Cedeao ». Ils profitent de cet auto-satisfecit pour entériner la restauration des institutions de transition. La Conférence lance aussi un appel « à toutes les parties prenantes afin qu’elles préservent la paix sociale et tiennent compte de l’intérêt supérieur de la nation ».
Il faut donc attendre cinq ans pour voir à nouveau les militaires intervenir dans la vie politique d’un Etat membre de la Cedeao. Le 18 août 2020, un coup d’Etat survient à Bamako. Son objectif : mettre un terme à la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), au pouvoir depuis le 4 septembre 2013 et réélu le 12 août 2018.
Etonnamment, c’est le président déchu qui annonce lui-même sa démission de toutes ses fonctions, ainsi que la dissolution de l’Assemblée Nationale et du gouvernement de Boubou Cissé. Il est vrai que suite à son arrestation, il a été conduit sous bonne garde au camp de Kati d’où est partie la mutinerie. Les militaires, eux, s’expriment un peu plus tard par la voix du colonel-major Ismaël Wagué. Le chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air promet une « transition politique civile afin d’organiser dans des délais raisonnables des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes ».
Le putsch militaire semble même recueillir l’assentiment de la rue bamakoise. Des cris de joie sont entendus à l’annonce de la démission d’IBK, provenant sans doute de ces milliers de Maliens qui, depuis juin 2020, manifestaient régulièrement contre sa présidence, l’accusant de ne pas exercer le pouvoir, mais seulement d’en jouir.
Fidèle à son opposition à « tout changement politique anticonstitutionnel », la Cedeao, suite à un sommet extraordinaire tenu en vidéoconférence en raison de la pandémie de COVID-19, dénie « toute forme de légitimité aux putschistes », décidant la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes, ainsi que l’arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les pays membres de la Cedeao et le Mali ».
Le 19 août 2020, le théâtre d’ombres lève son rideau. L’homme fort de Bamako est désormais le colonel Assimi Goïta. Il se présente comme le président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP). Le lendemain, la Cedeao constate que le coup d’Etat ressemble fortement à celui de 2012 « qui a déstabilisé le Mali et favorisé des attaques des groupes terroristes » et qui intervient moins d’une semaine après le départ de son médiateur à Bamako, le Nigérian Goodluck Ebele Jonathan, qui avait pourtant effectué trois missions au Mali pour rencontrer la quasi-totalité des acteurs politiques et de la vie civile maliens. Même constat pour la mission de bons offices de cinq présidents en exercice – Côte d’Ivoire, Ghana, Niger, Nigeria et Sénégal – qui eux aussi avaient pu s’entretenir avec IBK et tous les nombreux acteurs de la crise.
Un constat d’échec désastreux pour l’organisation, fondée en 1975, dont le pouvoir a été étendu en 1990 au maintien de la stabilité dans la région.
La Cedeao exige donc « le rétablissement immédiat du président Ibrahim Boubacar Keïta en tant que président de la République conformément aux dispositions constitutionnelles de son pays » et demande la mise en œuvre d’un ensemble de sanctions contre tous les militaires putschistes, leurs partenaires et leurs collaborateurs ».
Faisant fi de toutes ces déclarations et de la condamnation unanime de leur coup de force, les putschistes, nomment un président de la transition, en la personne de Bah N’Daw, ancien militaire, ex-ministre de la Défense, qui occupait cette fonction le 25 septembre 2020. A son côté, Moctar Ouane, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, est désigné pour occuper la primature.
Une mission de la Cedeao à Bamako, menée par le médiateur Goodluck Ebele Jonathan, du 23 au 25 septembre 2020, ne peut qu’entériner le nouveau pouvoir et l’agenda des putschistes. « La mission rappelle que la Cedeao est principalement concernée par la préservation de la démocratie constitutionnelle dans la sous-région et non par le soutien à des régimes quels qu’ils soient. » Néanmoins, elle prend acte des nominations à la présidence de la transition et à la tête du gouvernement, et annonce la levée des sanctions dès leur investiture effective.
Même situation de faits accomplis, lorsque, le 24 mai 2021, les putschistes décident de simplifier les choses à Bamako. Bah N’Daw et Moctar Ouane sont arrêtés par les militaires. Fin de la transition civile, le pouvoir est au bout du fusil. La communauté internationale et la Cedeao, en particulier, condamnent le coup d’Etat dans le coup d’Etat, réaffirment leur « soutien à la transition » et réclament la libération « immédiate et inconditionnelle » des dirigeants arrêtés.
Nouvelle mission de la Cedeao à Bamako, suivie, le 30 mai 2021, d’un sommet extraordinaire de l’organisation à Accra, au Ghana, sur la situation politique prévalant au Mali. Les participants réaffirment « la nécessité du recours à un processus démocratique pour l’accession au pouvoir », rappellent la nomination immédiate d’un « Premier ministre civil », la constitution d’un « gouvernement inclusif, pour la poursuite du programme de transition », et le maintien de la date du 27 février 2022 pour l’élection présidentielle.
Plus d’un an après, la situation n’a pas bougé dans les faits.
Le colonel Assimi Goïta est toujours au pouvoir à Bamako. Les communiqués de la Cedeao alternent entre nouvelles sanctions imposées au Mali, en raison du retard pris dans l’organisation des élections, et annonces de poursuite du « dialogue » avec les autorités de la transition sur le chronogramme de sortie de crise. Les Conférences des chefs d’Etat et de gouvernement ne peuvent que constater une « détérioration de la situation sécuritaire au Mali ». Suite au rapprochement de Bamako avec les paramilitaires russes du groupe Wagner, Paris a mis un terme à l’opération Barkhane. De son côté, la junte a indexé un « Etat occidental », accusant la France à demi-mot – d’avoir soutenu un contre-coup d’Etat raté dans la nuit du 11 au 12 mai 2022. Les insultes proférées par le Premier ministre Malien contre l’attitude de la France et de ses dirigeants, à la tribune des Nations-Unies en septembre dernier, ont résonné comme un chant lugubre et funèbre de la relation entre les deux pays.
Au Sommet d’Accra, le 3 juillet 2022, la Cedeao prenait acte « d’une nouvelle loi électorale mettant en place, entre autres, un organe unique de gestion des élections, dénommé Agence indépendante de gestion des élections (AIGE) » et « du calendrier de la transition soumis par les autorités de la transition qui donnent une durée de vingt-quatre mois à compter du 29 mars 2022 ». Et, en conséquence, lève les sanctions économiques et financières.
La Conférence rappelle aussi que « conformément aux engagements pris devant la Cedeao par les autorités de la transition et à la Charte de la transition, aucune autorité de la transition ne pourra participer aux élections devant conduire au retour à l’ordre constitutionnel». A voir !
Depuis, le chef de la junte malienne a reçu, le 11 octobre 2022, avec deux mois de retard, un « avant-projet de Constitution », qui devrait être soumis à référendum en mars 2023. Soit un an avant la date promise de retrait des militaires en faveur d’autorités sorties des urnes.
Guinée : un légionnaire en terres étrangères !
Même scénario en Guinée, avec le putsch du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), présidé par le colonel Mamadi Doumbouya, au pouvoir à Conakry depuis le 5 septembre 2021, suite au renversement du président élu, le Professeur Alpha Condé. Condamnation « avec la plus grande fermeté » du coup d’Etat par la Cedeao le jour même. Celle-ci exige « le retour à l’ordre constitutionnel sous peine de sanctions » et réaffirme « sa désapprobation de tout changement politique anticonstitutionnel », demandant « aux forces de défense et de sécurité de demeurer dans une posture républicaine ».
Le 16 septembre 2021, au Sommet extraordinaire d’Accra, les chefs d’Etat et de gouvernement présents décident notamment du « maintien de la suspension de la Guinée de toutes les instances de la Cedeao jusqu’à la restauration de l’ordre constitutionnel », de la « tenue, dans un délai de six mois, des élections présidentielles et législatives pour la restauration de l’ordre constitutionnel en république de Guinée », de la « mise en œuvre des sanctions ciblées conformément aux protocoles de la Cedeao, impliquant l’interdiction de voyage des membres du CNRD ainsi que des membres de leur famille et le gel de leurs avoirs financiers », et de « l’interdiction aux membres du CNRD d’être candidats à l’élection présidentielle ».
Par la suite, une mission de la Cedeao se rend à Conakry, le 29 octobre 2021, sous la direction du président de sa Commission, Jean-Claude Kassi Brou, également gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Celle-ci se félicite « des importantes décisions qui ont été prises par les autorités de la transition, notamment l’adoption de la Charte de la transition, la nomination d’un Premier ministre civil, et la formation en cours d’un gouvernement élargi ». Et qu’un « Conseil national de la transition, organe législatif, sera mis en place dans les meilleurs délais ».
Le communiqué final indique également que « la mission a encouragé les autorités de la transition à entamer le processus nécessaire en vue d’assurer le retour à un ordre constitutionnel normal, conformément aux dispositions du Protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance ».
Le sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao qui suit, le 7 novembre 2021, « encourage les autorités de la transition à soumettre rapidement un chronogramme détaillé d’activités à entreprendre dans le cadre de la transition, en vue d’assurer la tenue d’élections » en Guinée.
Néanmoins, au sommet extraordinaire du 3 février 2022, celle-ci pousse « les autorités de la transition à soumettre rapidement un chronogramme détaillé d’activités à entreprendre dans le cadre de la transition, en vue d’assurer la tenue d’élections ». Puis, elle « constate avec préoccupation que, cinq mois après le coup d’Etat, un calendrier de transition n’a toujours pas été mis en place ».
Le 27 février 2022, nouvelle mission de la Cedeao à Conakry, conduite cette fois-ci par la ministre ghanéenne des Affaires étrangères, Shirley Ayorkor Botchwey. Si elle peut saluer la libération d’Alpha Condé, elle « reste très préoccupée par l’absence d’un chronogramme acceptable pour le retour à l’ordre constitutionnel, six mois après le coup d’Etat militaire ».
Rien de neuf au sommet extraordinaire du 25 mars : « La Conférence exprime sa forte préoccupation par rapport à l’absence de visibilité sur la transition. En effet, la Conférence note que le délai de six mois fixé par la Cedeao pour la tenue des élections n’a pas été respecté. En outre, le chronogramme de la transition n’est toujours pas disponible, les priorités ne sont pas définies et peu de progrès ont été réalisés dans le processus. De même, la situation socio-politique se dégrade du fait de l’insuffisance de dialogue entre le gouvernement et les acteurs politiques et la société civile », indique le communiqué final. Résultat, la Cedeao décide urgemment de… nommer un « facilitateur pour la Guinée ».
De quoi faire trembler le colonel Mamadi Doumbouya à Conakry.
Puis changement de ton. Le 27 avril 2022, la Commission de la Cedeao indique que « la Guinée a présenté les évolutions récentes concernant le processus de transition et souhaité également avoir davantage de temps par rapport à l’échéance du 25 avril 2022 pour permettre la poursuite des consultations ». Le 4 juin 2022, le médiateur Thomas Boni Yayi salue « la mise en place par les autorités de la transition du cadre de concertation inclusif, et invite les parties prenantes à trouver des compromis pour rendre le dialogue inclusif et consensuel ». L’ancien président béninois exhorte « les partis politiques n’ayant pas encore pris part au cadre de concertation initié par les autorités, lequel cadre pourrait être actualisé de manière consensuelle, de le faire afin d’assurer une transition apaisée ».
Et finalement, « dans un compromis dynamique », les experts de la Cedeao acceptent le chronogramme des autorités putschistes, qui prévoit un délai de vingt-quatre mois de transition à compter du 1er janvier 2023. Selon les vœux de Doumbouya, qui en réalité, souhaite un délai total de trois ans et quatre mois, si les militaires tiennent leurs promesses. Une médiation arithmétiquement peu efficace !
Même inefficacité au Burkina Faso
L’organisation ouest-africaine n’a pas fait mieux dans le cas du Burkina Faso. Un premier putsch s’y déroule le 23 janvier 2022, organisé par un Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Le président élu, Roch Marc Christian Kaboré, est déposé. Lui succède Paul-Henri Sandaogo Damiba. Ce lieutenant-colonel est peu original dans ses premières mesures : il impose la fermeture des frontières, un couvre-feu sur l’ensemble du territoire, la dissolution du gouvernement, de l’Assemblée Nationale et la suspension de la Constitution. Le leader du MPSR s’engage à « proposer dans un délai raisonnable (…) un calendrier de retour à un ordre constitutionnel, accepté de tous ».
La Cedeao ne fait guère mieux. Par un copier/coller de ses précédents faits d’armes, elle suspend, le 28 janvier 2022, le Burkina Faso de l’organisation, à l’issue d’un sommet virtuel, demande la libération du président renversé et décide de l’envoi d’une mission à Ouagadougou. Le 3 février, le sommet extraordinaire d’Accra note « la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire au Burkina Faso, requérant un retour rapide à l’ordre constitutionnel pour trouver des solutions efficaces à ces problèmes ». La Conférence « appelle l’autorité militaire à mettre en place les organes de la transition, à adopter un calendrier électoral et favoriser le retour à l’ordre constitutionnel le plus rapidement ».
Pour faire court, celle-ci n’ira pas à son terme. Le 30 septembre dernier, un coup d’Etat dans le coup d’Etat se déroule à Ouagadougou. Le capitaine Ibrahim Traoré prend la direction du MPSR. Son prédécesseur aurait trahi les idéaux originels et voulu profiter du pouvoir au lieu d’assurer la sécurité du pays face aux violences terroristes.
Le 2 octobre 2022, la Cedeao condamne, sans surprise, la prise du pouvoir par la force, appelle les forces de défense et de sécurité « à éviter l’escalade de violence et au renforcement de la protection des civils », et réaffirme son attachement au chronogramme qui prévoit le retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024. C’est l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou qui mène une mission de l’organisation à Ouagadougou, le 4 octobre 2022. « Je suis totalement satisfait de l’entretien que j’ai eu avec le capitaine. Nous repartons confiants », déclare-t-il, malgré des manifestations hostiles à sa venue, assurant que la Cedeao va « continuer à accompagner le peuple burkinabè dans cette épreuve très difficile qu’il traverse ».
Le nouveau président du Faso – investi le 21 octobre 2022, à 34 ans, il est le plus jeune chef d’Etat de la planète – a le soutien de la rue burkinabè grâce notamment à ses référents sankaristes, promet à son tour de ne pas s’attarder au pouvoir. Son mandat de la « charte de la transition » prendra fin « avec l’investiture du président issue de l’élection présidentielle » prévue en… 2024 !
Dans ces trois exemples – Burkina Faso, Guinée et Mali – la Cedeao est incapable de peser sur la situation politique de ses Etats membres. Au-delà de déclarations de principes, sa méthode semble consister à envoyer des missions d’experts composées de ministres et d’anciens chefs d’Etat. Puis, à l’occasion de sommets ordinaires ou extraordinaires, les membres de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’organisation « prennent note du rapport de mission de haut niveau », « saluent la qualité des rapports soumis ainsi que la pertinence des recommandations qui y sont soutenues », condamnent « fermement », annoncent des sanctions… et décident de rester saisis de la question.
Après quelques mois de médiation, entre communiqués qui se complaisent dans le satisfecit, avec un art de l’autocongratulation peu commun aux autres institutions internationales, de missions en sommets, la Cedeao accepte les propositions imposées par les putschistes, remettant à plus tard le retour à l’ordre constitutionnel.
Dans cette situation, la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao s’apparente à un club de dirigeants promouvant la bonne gouvernance, mais totalement impuissants ou trop frileux à faire valoir leur vision sur le terrain dans la gestion des conflits. Une situation qui pourrait devenir problématique si un autre Etat membre était à son tour prochainement victime d’un coup d’Etat militaire.
Eric BAZIN