Par Julien Barba,
Avocat, Associé, Diamantis & Partners
Ces derniers mois en République Démocratique du Congo (« RDC ») ont été marqués par la progression de plusieurs projets transfrontaliers d’importation d’électricité, à l’est comme à l’ouest du pays : à l’est tout d’abord, avec l’importation depuis la Zambie avec la publication en décembre 2022 du cahier des charges de la licence d’importation octroyée à la Copperbelt Energy Corporation DRC, et l’importation depuis le Rwanda avec la publication de l’avis favorable délivré le 22 septembre 2022 par l’Autorité de Régulation de l’Electricité à la société SOCODEE. A l’ouest, avec la progression de l’interconnexion de la « boucle de l’amitié » avec l’Angola et la République du Congo.
Si l’importation d’électricité étrangère connaît un certain engouement en RDC (tant de la part des industriels congolais que de la part d’opérateurs étrangers) et s’explique aisément par les besoins importants et immédiats d’électricité de certains secteurs clés de l’économie congolaise, comme l’industrie extractive, elle n’est pas sans soulever un certain nombre de problématiques si l’importation n’est pas surveillée et maîtrisée : risques d’atteinte à la souveraineté et d’indépendance énergétique du pays, entrave au développement des forces hydro-électriques nationales et du tissu industriel local, et affaiblissement du change.
A cet égard, le renforcement de l’importation d’électricité d’origine zambienne écoulée dans la région minière de l’ex-province du Katanga n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, la situation de dépendance énergétique croissante des industries de l’Est de la France (Mulhouse, Belfort, Colmar et plus généralement les Vosges) vis-à-vis de l’électricité produite et exportée par l’industrie hydro-électrique suisse voisine, après la première guerre mondiale, et la menace que cela a fait planer sur la capacité de développement de la houille blanche française, propulsant en réponse le développement des réseaux de transport d’électricité en France.
Il est vrai que le cadre juridique de la loi congolaise du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité prend déjà en compte ces risques, en conditionnant l’importation d’électricité à l’obligation de licence (article 66) et en octroyant expressément à l’État congolais le droit de suspendre la licence en raison de motifs graves liés au contexte international (article 72).
Cependant, nous verrons que ces leviers ne (i) protègent pas contre les décisions que pourraient prendre les Etats exportateurs, prises au nom de l’intérêt national, de réduire ou suspendre brutalement l’exportation d’électricité et (ii) ne suffisent pas à garantir que les principes de la loi relative à l’indépendance énergétique et au contenu local soient prolongés jusque dans le détail des accords commerciaux et dans les faits.
L’annonce récente de contrôles des autorités congolaises sur le respect des règles de contenu local dans le secteur de l’électricité par les opérateurs d’électricité étrangers, illustre cette vigilance.
- L’importation d’électricité d’un point de vue juridique – le cas de la RDC et de ses voisins
L’importation d’électricité est une opération juridique complexe puisqu’elle est soumise au régime juridique de deux pays frontaliers, le pays exportateur et le pays importateur, l’ensemble étant gouverné généralement par des conventions internationales (par exemple pour le cas de la RDC et de ses voisins, l’accord inter-gouvernemental du 12 avril 2003 relatif au pool énergétique de l’Afrique Centrale). L’opération nécessite par conséquent la mise en place de contrats d’interfaces entre ces nombreux contrats, lesquels sont soumis à des régimes juridiques distincts.
Dans le cas de l’importation d’électricité en RDC, le montage d’un projet d’importation nécessitera, schématiquement et sans viser à l’exhaustivité :
- Sur le licencing en matière d’électricité, entre autres :
- L’autorisation d’exportation de la part du pays exportateur (article 17 de l’Electricity Act de la République de Zambie et à l’article 40 de la loi sur l’électricité Rwandaise). Cette autorisation peut aussi prévoir l’approbation, par le pays exportateur, du contrat d’achat d’électricité destinée à l’exportation (cas de la République de Zambie) ;
- L’autorisation d’importation de la part du pays importateur (article 66 de la loi sur l’électricité de la RDC) ;
- L’examen et l’homologation, par le pays importateur, de l’autorisation d’exploiter délivrée par le pays exportateur (c’est le cas en RDC) ;
- Généralement, l’octroi par décision administrative du statut de client éligible dans le pays importateur (c’est le cas également en RDC).
- Sur les contrats commerciaux en matière d’électricité, entre autres :
- Un contrat d’achat d’électricité signé avec le distributeur ou producteur du pays importateur ;
- Un ou plusieurs contrats de fourniture d’électricité (corporate PPA) signé avec les clients désignés comme éligibles du pays importateur ;
- Un contrat d’accès au réseau signé avec les entités en charge du transport de l’électricité des pays importateurs et exportateurs ;
- Les avantages de l’importation d’électricité
La consommation d’électricité en RDC, et en particulier celle de ses industries extractives et manufacturières, suit une augmentation constante qui dépasse de très loin ses propres niveaux de production. On peut raisonnablement penser que c’est une bonne fortune pour la RDC d’avoir à ses frontières des Etats producteurs d’électricité (parmi les 9 pays frontaliers) prêts à céder une partie de leur production nationale, et ce d’autant plus que ces États font face eux-aussi à des déficits de production.
Aussi, la RDC peut tirer parti de cette proposition pour ses propres besoins industriels et faciliter à l’intérieur de ses frontières le développement des applications de l’électricité.
Il vaut aussi de noter que l’importation depuis la Zambie affecte une région nettement déterminée de la RDC (la Copperbelt) qui n’est pas à l’heure actuelle en capacité de disposer totalement d’une production d’électricité locale suffisante à satisfaire sa demande d’électricité, malgré il est vrai l’existence des installations de Nzilo I, Nseke, Mwadingusha et Koni et le développement des projets Mumbotuta (pour 510MW) et Nzilo II pour ne citer que celles-là.
Pour les raisons exposées ci-dessus, l’importation d’électricité étrangère permet de remédier à cette situation fâcheuse, en apportant, dans le cas de l’importation depuis la Zambie, une force électrique dont les industries minières congolaises de la copperbelt se trouveraient dépourvues.
- Les dangers de l’importation d’électricité
Toutefois, l’importation d’électricité étrangère peut se révéler dangereuse si elle vise, ou a pour effet, de substituer l’électricité étrangère à l’électricité nationale qui pourrait être issue de la production d’électricité nationale, en l’entravant ou l’affaiblissant, tout en renforçant celle étrangère.
Ce risque est d’autant plus fort si l’électricité importée en RDC (i) n’est pas une électricité étrangère d’origine excédentaire, c’est-à-dire une électricité qui n’aurait pas eu de débouché sur le marché zambien ou rwandais et qui aurait été, à défaut d’exportation, perdue, et si (ii) elle résulte au contraire d’une politique volontariste et hégémonique d’exportation des pays voisins, au détriment parfois même de leur propre marché intérieur. Il faut garder en tête qu’une importation d’électricité d’origine excédentaire est généralement ponctuelle, incertaine, limitée en quantité, et généralement négociée à un prix inférieur, tandis qu’à l’inverse, l’importation prélevée sur un stock non-excédentaire est plus cher, mais généralement garanti, de longue durée, continu et plus important en quantités.
Dès lors, quelques-uns des risques liés à une importation d’électricité pérenne et non maîtrisée pourraient être regroupés comme suit :
- Un risque d’indisponibilité de l’électricité importée : les Etats exportateurs (Rwanda ou Zambie) pourraient à tout moment, en vertu de leurs propres lois et pour des raisons d’intérêt national, décider de réduire ou suspendre l’exportation d’électricité pour la réallouer vers leurs marchés intérieurs. La loi zambienne prévoit ainsi explicitement que le régulateur zambien pourrait suspendre ou révoque la licence d’exportation en cas de “ public interest ” (Article 19 de l’Energy Act Zambien). La question de ce que l’on entend par « intérêt public », au sens du droit zambien, doit évidemment d’être posée : la réponse aux besoins énergétiques de la population locale, le risque de guerre ou de graves tensions diplomatiques, la concurrence économique sont potentiellement autant d’hypothèses qui pourraient être qualifiées d’« intérêt public ». La question n’est pas anodine, et vaut de se poser aussi dans le cadre des graves tensions diplomatiques en cours entre la RDC et le Rwanda.
Les conséquences d’une telle situation seraient amplifiées si l’électricité importée était principalement destinée, non pas simplement pour les besoins complémentaires de l’industrie extractive congolaise, mais à couvrir ses besoins électriques de base. Quelques soient les accords contractuels passés, l’industrie minière congolaise pourrait alors brusquement s’en voir enlevé le bénéfice, et ce sans qu’elle ait aucun moyen d’empêcher la rupture brutale de son contrat d’achat ni de disposer de solutions alternatives. L‘examen des clauses de force majeure et de la répartition de l’indemnisation prévue par la loi zambienne, qui d’ailleurs reviendrait en premier lieu à l’exportateur et non au client final, revêt donc une importance cruciale – même si elle n’empêcherait, en attendant la résolution du conflit, d’être privées d’électricité sans alternative.
- Un danger pour le développement de la filière hydro-électrique de la RDC : Laisser la liberté aux opérateurs frontaliers d’écouler, sans contrôle et sans limites, une électricité d’origine étrangère, reviendrait indirectement à entraver, gêner et ralentir l’aménagement des propres forces hydro-électriques congolaises. En effet, l’énorme capacité de consommation du marché de la République Démocratique du Congo, par sa population et son industrie minière, servirait non pas à développer l’industrie hydro-électrique congolaise, mais à accroître l’industrie électrique étrangère, de surcroît si elle se pérennise dans le temps, s’étend dans des zones profondes du pays et vise à satisfaire non pas des besoins de pointe mais des besoins de base. Le déploiement rapide des capacités de production de l’autre côté de la frontière congolaise (en République du Congo, République de Zambie ou Rwanda) et le développement des interconnexions doivent appeler à une certaine vigilance.
Parfois même, de tels résultats peuvent être volontairement recherchés par des Etats frontaliers en situation de concurrence économique. Ainsi, les historiens ont mis en évidence que dans les années 1920, le gouvernement Suisse s’était efforcé, afin assurer le développement de ses propres capacités, par l’entremise de différentes commissions internationales et de toutes sortes de manœuvres, d’obtenir de la France voisine qu’elle renonçât au développement de ses propres projets hydro-électriques dans les Alpes et ce afin de développer ses exportations et amortir de manière optimale le capital investi dans ses installations hydro-électriques (voir les déclarations de la délégation suisse à la Commission Centrale du Rhin en 1921).
- Un danger pour la souveraineté et l’indépendance de la RDC. Au-delà des obstacles possibles au développement de la filière hydro-électrique congolaise, laisser toute liberté de développement à l’importation de l’électricité de ses voisins ferait planer une menace pour la souveraineté et l’indépendance énergétique de toute la RDC et serait certainement contraire à l’intérêt national. Rappelons en effet que les installations hydro-électriques, même réalisées et exploitées par les entreprises privées, ne sont pas leur propriété et qu’elles sont destinées, au terme d’un laps de temps relativement court, à revenir à l’Etat congolais et à devenir ainsi, une partie intégrante de l’outillage national.
- Un danger économique et financier car, comme pour toute importation, acheter à l’étranger contribue à l’affaiblissement du change du pays importateur. Le fait d’importer une électricité qui pourrait, si on le souhaite, être produite en RDC ne serait-il alors pas alors en contradiction avec les efforts menés par le gouvernement portant sur l’amélioration du change ? Il est certain que lorsqu’il est possible de trouver à fabriquer dans un pays une matière ou un produit quelconque, il reste anormal de la faire venir de l’étranger. Aurait-on par exemple idée d’aller acheter du cuivre à l’étranger alors que la RDC en possède dans ses mines ? Il faut bien se pénétrer de l’idée que toute dépense et investissement fait à l’intérieur d’un pays n’est jamais un appauvrissement pour ce pays, car pour le dire de manière triviale, c’est de l’argent qui reste. A l’inverse, l’importation, c’est de l’argent qui sort et qui ne revient jamais.
- Les mécanismes en place pour lutter contre ces risques
La Loi n°14-011 relative au secteur de l’électricité offre tout de même un certain nombre de protections contre certains des risques évoqués ci-dessus, à la fois en termes de prévention et de répression. On peut citer tout d’abord la soumission de l’activité d’importation à l’obtention d’une licence, et la possibilité, pour l’Etat congolais, de pouvoir suspendre sans délais de telles licences pour des motifs graves (tensions diplomatiques ou risque de guerre, engagements dans des missions de maintien de la paix). L’existence d’un droit de contrôle de la documentation, d’accès et de visite permanent des installations d’importation conféré aux autorités congolaises et l’obligation pour les opérateurs importateurs de recourir aux entreprises locales et agrées constituent un levier supplémentaire pour prévenir lutter contre les conséquences négatives de l’importation d’électricité d’origine étrangère.
De nombreuses législations étrangères, présentes et passées, regorgent de mécanismes juridiques et efficaces pour contrebalancer ces risques, et il serait utile de les avoir en tête.
Par ailleurs, les contrôles qui vont être lancés ce début d’année 2023 dans le secteur de l’électricité aux fins de vérifier la conformité à la loi sur le contenu local et la sous-traitance atteste de la vigilance des autorités congolaises sur ce sujet.
Toutefois, des améliorations pourraient sans doute être engagées en matière de rédaction de la documentation contractuelle avec, pour n’en citer que quelques-uns, la suppression de la liberté de l’importateur de fournir aux tiers, de la suppression du principe contractuel de rentabilité optimale des installations d’importation ou encore, de la suppression des obligations de type pacte sur décisions futures qui seraient susceptibles de lier l’administration ou à défaut, engager sa responsabilité.
Diamantis & Partners est un cabinet d’avocats international spécialisé en énergie et infrastructure, particulièrement actif en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest.