Cet article est le résumé non technique des travaux de GBONGUE et BAMBA (2022), publiés dans le dernier numéro (32) de la Revue Economique et Monétaire (REM) de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il s’inscrit dans le prolongement des applications macroéconomiques de la courbe des taux en zone UEMOA. Au regard des plans nationaux de développement ambitieux des pays de l’Union, cette étude répond doublement aux problématiques de mobilisation optimale des ressources externes sur le marché financier régional en tenant compte de la perception du risque souverain implicite des investisseurs et de niveau d’endettement optimal qui n’alarme pas les investisseurs sur le marché financier régional.
1-Problématique et objectifs
Dans la zone de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), les primes souveraines implicites (PSI), qui constituent une mesure essentielle de la perception du risque des émetteurs souverains, existent et ont des incidences importantes sur la soutenabilité de la dette publique, ainsi que les sphères réelle et financière dans le contexte de la pandémie Covid-19. En effet, l’encours de la dette publique (en % du PIB) a progressé de 6,5 points pour s’établir à 50,1% en 2020, contre un taux de pression fiscale de 12,8%, largement en deçà de la norme communautaire de 20%. Cette situation a naturellement des incidences importantes sur le déficit budgétaire, qui continue à se creuser a priori en raison de la crise sanitaire Covid-19. La présente étude propose d’étudier la relation entre la macroéconomie et les marchés financiers. Plus précisément, elle présente une approche d’estimation du taux d’endettement dans l’UEMOA à partir des données du marché financier régional (MFR).
Rappelons que notre objectif est de proposer une règle d’endettement à partir des anticipations des marchés financiers contenues dans les structures par terme de taux, par opposition aux modèles à seuils proposés dans la littérature. Ce faisant, elle contribue à la littérature existante sur la détermination des seuils d’endettement. L’originalité de cette approche réside dans sa capacité à capter les anticipations du taux d’endettement sur les marchés financiers à n’importe quelle date de cotation, en s’appuyant sur la décomposition de la structure par terme des primes souveraines implicites (PSI). Cette information précieuse pourrait servir à orienter la politique d’endettement des pays de l’Union au cours de l’année.
2-Méthodologie
De manière opérationnelle, la règle du taux d’endettement est alimentée par les paramètres des marchés financiers en l’occurrence les structures par terme des taux zéro-coupons (ZC), primes de crédit et de liquidité, ainsi que le taux de recouvrement implicite, par opposition aux modèles d’endettement (à seuils) proposés dans la littérature. Nous proposons une approche méthodologique en trois étapes.
La première étape s’intéresse à la construction de la structure par terme des taux ZC du marché secondaire à l’aide du modèle modifié de Nelson Siegel (1987) proposé dans Gbongue (2019b). Ce choix stratégique vise également à contribuer au développement du marché financier étant donné que l’ensemble des modèles de valorisation des instruments financiers (y compris les produits dérivés), s’appuie sur des courbes de taux ZC du marché secondaire.
La seconde étape s’intéresse à la détermination des paramètres de risque souverain en l’occurrence les structures par terme des primes souveraines de crédit et de liquidité, ainsi que le taux de recouvrement implicite. Ces structures par terme sont obtenus à l’aide du calibrage des lois de probabilité extrêmes en l’occurrence les modèles de Weibull, Gumbel et Log-Normale, adaptées à la quantification des risques (cf. Andritzky [2006]). Enfin, la dernière étape propose une règle d’endettement, qui s’appuie sur les paramètres de risque souverain issus du marché des capitaux.
3-Résultats, analyse et recommandations
Les résultats révèlent que l’ensemble des structures par terme de taux sont sensibles aux décisions des autorités monétaires. En pratique, l’on observe empiriquement que la politique monétaire modifie le comportement de la courbe des taux ZC à travers ses effets sur les taux courts. Notons que cette information se transmet le long de la courbe des taux ZC, ce qui affecte par la suite les structures par terme de crédit et de liquidité. Ce résultat traduit également l’évolution radicale du secteur financier de la zone UEMOA au cours de cette dernière décennie.
En effet, celui-ci était taxé d’insensible aux variations des taux directeurs de la Banque Centrale (cf. Bamba [2001]), caractéristique des économies d’endettement par opposition aux économies de marché financier. C’est à croire que les réformes de libéralisation du secteur financier des années 90 dont les effets n’étaient pas encore nettement perceptibles durant les années 2000 (cf. Bamba [2011]), sont aujourd’hui devenues réelles, traduisant une transformation structurelle du secteur financier. De plus, les résultats montrent que la perception du risque souverain implicite est aussi sensible aux décisions des autorités monétaires, dont l’objectif est d’assurer la stabilité des prix.
Par exemple, l’on observe une amélioration de la capacité de remboursement sur le marché financier régional dans le cas d’une politique monétaire accommodante, pour s’établir à 64% au 31/12/2020 contre 55% au 31/12/2019. Cette situation tend à améliorer la perception du risque souverain implicite, ce qui est favorable aux émissions obligataires sur le marché financier régional. Par conséquent, nous recommandons aux pays de l’Union d’ajuster leurs politiques d’emprunt à la stratégie monétaire de la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) pour une meilleure coordination des politiques monétaire et budgétaire. Soulignons que la perception du risque souverain est appréhendée par le taux d’endettement anticipé, qui apparaît comme une nouvelle variable macroéconomique (non observable) cruciale pour les émetteurs souverains en ce sens qu’il peut renseigner sur la dynamique des taux sur le marché financier régional.
Par:
Florent Gbongué, Spécialiste de l’Actuariat et de la finance quantitative, Maître-Assistant des Sciences économiques du CAMES, Chercheur associé à la CAPEC, Docteur en Actuariat de l’université de Lyon.
Lambert N’galadjo BAMBA, Maître de Conférences de Sciences économiques à l’UFR-SEG de l’UFHB et chercheur au Centre Ivoirien de Recherches Economiques et Sociales (CIRES), Conseiller Technique du ministre de l’économie et des finances de Côte d’Ivoire.
Université Felix Houphouët Boigny (UFHB)
FINAIR Conseil