Alors que l’inflation bat des records partout rognant le rendement des placements, se constituer un portefeuille obligataire de titres de la dette souveraine des Etats les mieux notés peut rapporter gros. Dans certains cas, le rendement atteint quasiment 2 chiffres. Concernant l’allocation entre les devises, il semble que le Dollar, par son statut de monnaie de réserve et de refuge, serait « la chemise moins sale des grandes devises ». Patrick FONTAN, directeur associé de Maubourg Patrimoine, basée à Paris, Frédéric Elbar, conseil fiscal international, dirigeant du cabinet Maghreb Consulting (Casablanca) et Steph NGUIMBI, conseiller financier, vous donnent des pistes. Les trois experts animent une table-ronde vendredi 27 janvier à Casablanca sur les supports financiers les plus attractifs sur le marché international.
Quels types de placements vous semblent-ils adaptés au contexte inflationniste actuel sachant que les banques centrales pourraient continuer d’augmenter les taux à moyen terme ?
Tout d’abord, il n’est pas certain que les banques centrales continuent d’augmenter les taux à moyen terme. Les marchés financiers anticipent que la remontée des taux sera terminée dans les principales zones économiques mondiales d’ici la fin de l’année 2023. Ils espèrent qu’ensuite, les banques centrales assoupliront progressivement leurs conditions d’intervention à mesure de la réduction des pressions inflationnistes
L’inflation est apparue pour des raisons exceptionnelles (relance monétaire et budgétaire massive après la pandémie, rupture des chaînes logistiques, hausse du coût de l’énergie et des matières premières après la guerre). La situation semble se normaliser sur ces différents points. Il n’est donc pas du tout certain aujourd’hui que les banques centrales continueront d’augmenter leur taux d’intervention au-delà de 2023.
Si les anticipations des marchés financiers se concrétisent (fin de la remontée des taux au 2ème semestre puis décrue en fonction de la baisse des tensions inflationnistes), le placement qui offre aujourd’hui le meilleur rapport rendement/risque est le marché obligataire, notamment les émetteurs les plus solvables (dette souveraine ou emprunts émis par des établissements financiers ou de grandes entreprises bien notées) qui ne seraient pas affectés par une éventuelle récession.
Si les banques centrales n’arrivent pas à maîtriser l’inflation rapidement, les placements qui bénéficieraient de cette situation seraient les actions des entreprises des secteurs de l’énergie et des matières premières, les actions des entreprises qui peuvent imposer leurs prix au consommateur (« pricing power »), les obligations indexées sur l’inflation et l’immobilier. Cette dernière classe d’actifs bénéficierait d’une part de l’indexation des loyers et d’autre part, du moindre poids de leurs emprunts souscrits à taux fixe.
Quel est le rendement moyen que peut espérer un épargnant ?
La remontée des taux a entraîné une baisse de la valeur des actions et des obligations. La contrepartie de cette baisse est que le rendement offert par ces supports a mécaniquement augmenté pour ceux qui souhaitent investir aujourd’hui. Il est ainsi possible de placer son épargne sur des actions de qualité offrant un rendement d’au moins 4 à 5 % (Stellantis, TotalEnergies, …) et sur des obligations émises par des entreprises solvables distribuant des coupons d’au moins 5 %.
Il paraît que la dette des Emergents retrouve un regain d’intérêt de la part des investisseurs. A quoi tient ce rebond ?
Trois facteurs principaux peuvent l’expliquer. D’abord, la majorité des financements de dettes émergentes se fait en dollar. Or, le coût du dollar sur le marché des changes a baissé depuis quelques mois. Les dollars pour financer/refinancer des dettes en cours pour des entités non américaines incluant certains pays émergents sont devenus moins chers à l’achat contre leurs devises locales.
Ensuite, en dehors des rendements en monnaies locales, ceux en dollar ont été extrêmes en 2022 sur de la dette émergente, souvent à 2 chiffres. Ces rendements sont devenus comparativement très attractifs. Les obligations classiques de sociétés américaines rémunèrent deux fois moins que certains émetteurs émergents par exemple.
Enfin, l’accès aux financement ou refinancement en dollar a été très perturbé par le conflit en Ukraine. Ce désordre de la première partie de 2022 à fortement pollué l’attractivité d’investir sur les dettes émergentes. Certains comme le Ghana, le Sri Lanka, le Pakistan, le Nigeria, l’Argentine, la Colombie, le Liban, etc. ne s’en sont pas remis. Dans d »autres pays, des grandes sociétés (principalement des pourvoyeurs de matières premières en lieu et place de la Russie ont survécu à cet épisode montrant leur résilience, réconfortant par la même les investisseurs internationaux à les soutenir plus amplement.
Sur quels paramètres faut-il fonder l’arbitrage entre actions et obligations sachant que ces dernières bénéficient de la remontée des taux d’intérêt ?
La politique monétaire de 2022 (remontée des taux) a pour but de contrôler l’inflation en ralentissant la consommation à travers un loyer de l’argent plus cher. Or, ce ralentissement de l’activité économique plaide pour réduction des bénéfices de sociétés et par extension une baisse du prix des actions (les actions sont le reflet de la valeur de bénéfices futur, qui dit moins de bénéfices dit moins de valeur). Entre-temps, les obligations bénéficient de cette hausse des taux en offrant un rendement élevé par rapport aux années précédentes.
Avec une rentabilité des entreprises qui baisse, une obligation propose une meilleure visibilité pour un investisseur sur les flux de rente et par conséquent sur le retour sur investissement plutôt qu’une action où la distribution de dividende peut devenir aléatoire.
Lors d’un ralentissement économique sévère, les banques centrales ont tendance à recourir aux mêmes remèdes que ces dernières années, à savoir taux d’intérêts à zéro et planche à billets (ndlr : cette manne est fléchée vers des obligations, bons du Trésor principalement).
Si, sur les mois qui viennent, nous retournons vers ces solutions alors les obligations auront un potentiel de plus-value important ajouté à la rente en cours. Quand on additionne la plus-value et la rente, une obligation peut présenter un potentiel de performance à deux chiffres.
Des fragilités congénitales de l’Euro
Quelle pondération de portefeuille conseillez-vous entre l’euro et le dollar à moyen et long terme ?
Le dollar est considéré comme la « chemise la moins sale » des grandes devises. Il a le statut particulier d’être la monnaie de réserve du monde. A ce titre, le capital épargne mondial a tendance à se réfugier sur le dollar en période d’incertitude financière ou géopolitique, comme aujourd’hui.
Par ailleurs, cette monnaie est une expression d’un stock abyssale de crédit en dollar à travers le monde. La demande pour du dollar afin de payer ces intérêts ou bien rembourser ces dettes est structurellement importante, ce qui maintient sa valeur contre d’autres devises.
L’Euro a des fragilités congénitales. Ces fragilités ne feront que s’empirer sur les années à venir le temps d’une refonte de ce système monétaire. Pour se diversifier de l’Euro, il pourrait être souhaitable de privilégier le Franc Suisse, valeur refuge du continent européen.
Si les grandes devises sont parfois incertaines (manipulables, adossées à du crédit, etc. ), l’Or est une monnaie propre qui a su garder sa valeur à travers les âges. Je conseillerais par conséquent l’allocation suivante : USD 50%, CHF (Franc suisse) 25% EUR 15%, Or 10%. Si allocation devrait se faire entre USD/EUR uniquement, j’irai vers l’USD à 75% et 25% pour l’EUR.
Les ouvertures de la réglementation des changes au Maroc
Comment les épargnants résidents au Maroc peuvent surmonter les restrictions liées à la réglementation de change ? Quelles sont les options possibles ?
Il faut distinguer principalement 3 catégories de population : les étrangers résidents au Maroc, les Marocains résidents ayant procédé à la régularisation de leurs avoirs détenus à l’étranger et les ex-MRE.
Pour les étrangers, ils ont soit la possibilité d’utiliser librement les disponibilités qu’ils détiennent à l’étranger, soit la possibilité de transférer des fonds qu’ils détiennent au Maroc. Dans ce dernier cas, s’il s’agit de fonds issus de revenus de source marocaine, ils doivent rentrer dans les cadres prévus par l’Instruction générale de l’Office des Changes. Ainsi, si un étranger résident a fait des investissements au Maroc en devises et qu’il en a fait le compte rendu à l’Office des Changes, il sera autorisé à transférer les revenus tirés de ces investissements hors du Maroc ; si par contre ses investissements ont été faits en dirhams, il ne sera pas autorisé à transférer les fonds.
Pour les Marocains qui ont procédé à la régularisation de leurs avoirs détenus à l’étranger en 2014, en 2020 ou de manière spontanée, c’est-à-dire ceux qui ont déclaré à l’Office des Changes les avoirs qu’ils détenaient à l’étranger et qui se sont acquittés à ce titre d’une contribution, ils disposent de plusieurs possibilités. Ainsi, ils peuvent utiliser les liquidités qu’ils ont rapatriées dans le cadre de la régularisation (pour la partie qui a pu être rapatriée dans un compte en dirhams convertibles ou dans un compte en devises), et ils sont ainsi autorisés à transférer leurs fonds à l’étranger afin d’acquérir des actifs financiers ou immobiliers. Ceux qui possèdent encore des actifs immobiliers ou financiers à l’étranger peuvent les céder et investir à nouveau (dans un bref délai) dans des actifs financiers ou immobiliers.
Enfin, en ce qui concerne les Marocains Résidents à l’Etranger (MRE) qui sont revenus s’installer au Maroc, dans la mesure où ils ont régulièrement déclaré leurs avoirs à l’étranger après leur retour au Maroc, ils sont libres d’utiliser leurs avoirs à l’étranger comme ils le souhaitent. Par ailleurs, s’ils ont investi au Maroc au moyen de devises, ils sont également autorisés à transférer leurs revenus hors du Maroc.
On précisera que les ex-MRE qui, après au moins 5 années de travail hors du Maroc, viennent dans le Royaume pour être embauchés dans le cadre d’ un détachement ou d’un contrat local, disposent de la possibilité de transférer leurs économies sur salaire hors du Maroc.
Quel est le régime fiscal appliqué aux produits de placements à l’international ?
MAGHREB CONSULTING :
Tout dépend des pays où se situent les placements et de la convention fiscale qui peut trouver à s’appliquer entre le pays où se situe le placement et le pays où se situe le bénéficiaire des revenus du placement.
Dans le pays où se situe le placement il est fréquent que les revenus de ce placement soient imposés par le biais d’une retenue à la source. Cet impôt prélevé directement par l’émetteur (l’entité qui gère le placement) peut valoir crédit d’impôt dans le pays du bénéficiaire.
Si on prend l’exemple d’un placement financier en France (par exemple une action d’une société française cotée en bourse) et d’un bénéficiaire résident au Maroc : lors de la distribution des dividendes la société française va opérer une retenue à la source de 30% (composée d’une partie d’impôt sur le revenu -pour 12,8%- et d’une partie de contributions sociales : CSG et CRDS pour 17,2%).
Au Maroc, le bénéficiaire qui a l’obligation de déclarer tous ses revenus, de source marocaine ou étrangère, devra donc déclarer ces dividendes qui seront soumis au Maroc à un taux forfaitaire et libératoire de 15%.
Or, comme il s’est déjà acquitté d’un impôt de 30%, et comme le permet la convention fiscale, il va pouvoir imputer cet impôt français sur l’impôt marocain à payer. Au cas particulier, il ne devra rien au Maroc. Bien entendu il devra fournir un justificatif selon lequel l’impôt prélevé en France apparaît.
Or, dans cet exemple avec la France on voit qu’en plus d’un impôt sur le revenu) il y a également une retenue à la source relative à des contributions sociales. Le fisc français considère que la CSG et la CRDS font partie de l’impôt français et peuvent donc être imputés sur l’impôt à payer au Maroc. Or, là on voit bien qu’on ne peut imputer qu’au maximum 15% et donc on subit bien en tout sur les deux pays 30%.
Au cas particulier de la France, les non-résidents sont susceptibles d’être exonérés de ce prélèvement social (CSG-CRDS)relatifs à des placements financiers. Il faut à ce moment faire une démarche auprès de l’émetteur. Dès lors, étant exonérés de la CSG et de la CRDS, si l’émetteur français ne retient que l’impôt sur le revenu soit 12,8% alors le bénéficiaire imputera 12,8 sur l’impôt de 15 à payer au Maroc, et il lui restera donc 2,2 à payer au Maroc.
Si on se situe sur un placement immobilier ou à vocation immobilière, comme par exemple de la pierre-papier ou SCPI, et dans la mesure où le revenu est bien qualifié de revenu foncier, l’impôt est dû uniquement dans le pays où se situe le bien immobilier. Dès lors, le revenu foncier n’est pas imposé dans le pays de résidence du bénéficiaire (sous réserve d’une convention fiscale de non-double imposition) mais uniquement dans le pays où se situe le bien immobilier. Par contre, si le bien immobilier se situe en France, outre la fiscalité française trouvant à s’appliquer sur le revenu foncier concerné, il y aura application également de contributions sociales (17,2%) qui trouvera à s’appliquer. Par ailleurs, le revenu foncier devra être déclaré au Maroc ; il n’y sera pas imposé mais peut contribuer à augmenter la tranche d’impositions sur les autres revenus du contribuable.
Si on prend maintenant l’exemple d’un bénéficiaire résident au Maroc et qui a des actions d’une société sise aux USA, il n’y aura pas de retenue à la source (fiscale ou sociale). Dès lors, le bénéficiaire devra s’acquitter de l’impôt marocain de 15% sur les dividendes.
En ce qui concerne les plus-values sur les placements, l’imposition est généralement renvoyée sur le pays où se situe le bénéficiaire. Ainsi, dans les exemples précédents si le bénéficiaire cède son placement et réalise une plus-value, il sera imposé au Maroc sur la plus-value à un taux forfaitaire et libératoire de 20%.
L’assurance-vie garde-t-elle toujours son attractivité ? Quelle est votre analyse?
MAUBOURG PATRIMOINE :
Fiscalement, l’assurance-vie présente deux avantages principaux pour le souscripteur. D’une part, les gains sont capitalisés et ne sont imposables que lors des rachats ou lors de la transmission. D’autre part, la fiscalité sur la transmission reste très intéressante si le bénéficiaire du contrat est assujetti à la fiscalité française.
Par ailleurs, le Luxembourg a récemment introduit des modifications dans le fonctionnement des contrats d’assurance-vie qui rehaussent encore l’intérêt du produit. Il est ainsi possible dans certaines situations de créer à partir de 200.000 euros dans les contrats d’assurance-vie luxembourgeois des compartiments appelés « Fonds d’Assurance Spécialisés » qui permettent d’investir sur des supports très variés auparavant accessibles aux seules grandes fortunes : private equity, placements financiers de type OPCVM à frais réduits, immobiliers, produits structurés sur mesure.