Dans cette tribune, Taoufik Baccar, ancien ministre des finances de Tunisie, également ancien gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, explique l’importance de la conformité pour les institutions financière.
Nul n’ignore l’intérêt de plus en plus accru accordé aujourd’hui à la conformité en particulier dans le secteur bancaire et financier. Celle-ci consiste, faut-il le rappeler, à la mise en œuvre d’une stratégie visant l’adoption d’un programme de conformité et de gestion des risques qui assure la transparence des organisations et l’adoption d’une conduite éthique; cette stratégie doit également intégrer les pratiques de bonne gouvernance d’entreprise, qui couvrent « l’ensemble des processus par lesquels les entreprises sont gérées afin de protéger les organisations contre la fraude financière, la corruption, le blanchiment d’argent et le comportement et/ou l’inconduite des employés qui leur sont liés, évitant ainsi les dommages possibles à leur bonne réputation et leur solidité financière. Il s’agit d’un outil dont le but est d’établir des règles, des normes et des lignes directrices pour les processus internes au sein des organisations.
L’illustration la plus actuelle de la conformité réside dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ces délits ont été pris en charge par la communauté financière internationale, à travers notamment le standard du Groupe d’Action Financière (GAFI), introduit dans le Droit local des pays sous forme de lois et de règlements au caractère contraignant.
L’originalité du standard du GAFI réside dans le fait qu’il associe le secteur financier dans l’effort de lutte en lui imposant de mettre en place un dispositif complet qui permet de détecter les opérations suspectes et de les déclarer aux autorités compétentes (connaissance de la clientèle, conservation des documents, etc.).
Le bilan depuis les années 90 jusqu’aujourd’hui demeure toutefois, peu flatteur.
Pour ce qui concerne le secteur financier en Afrique, les déficiences concernent notamment (i) l’absence d’une vision globale et stratégique faute d’évaluations sectorielles des risques BA/FT, (ii) la faible appréhension des risques par les autorités de contrôle et le secteur privé, (iii) le déficit de conformité technique aux normes ainsi que le déficit d’efficacité et (iv) la faiblesse des dispositifs internes de contrôle.
En particulier, selon ces rapports, le secteur bancaire a une appréhension assez limitée des risques de BA/FT .
Pour ce qui concerne l’activité déclarative, bien que l’essentiel des déclarations de soupçon (DS) continue de provenir des banques, le nombre de DS demeure en deçà de ce qui est possible.
Les améliorations constatées au niveau de la conformité technique des dispositifs internes, contrastent résolument avec la quasi-absence d’effectivité desdits dispositifs.
Les risques induits par le manque d’effectivité sont de toute importance car ils exposent les pays concernés et leurs institutions financières à des sanctions extrêmement sévères, les premiers à travers leur inscription sur la liste du GAFI dédiée aux juridictions dont le dispositif LAB/FT présente des carences stratégiques et les secondes à travers les sanctions prononcées par les autorités de supervision et la rupture ou la menace de rupture des relations de correspondant bancaire.
L’énorme scandale qui a récemment ébranlé Danske Bank a mis un coup de projecteur sur les insuffisances de contrôle lié au blanchiment d’argent. Un problème qui n’est pas propre à la banque Danoise mais touche l’ensemble du secteur bancaire européen, à différentes échelles. Ainsi, 18 des 20 plus grandes banques européennes, soit 90% d’entre elles, ont déjà été sanctionnées pour des infractions aux dispositifs de lutte anti-blanchiment, selon une étude de la société britannique Fortytwo Data.
La mise à niveau des dispositifs nationaux LAB/FT relève de l’urgence, afin d’adhérer de façon plus résolue aux efforts de la communauté internationale devenue très active dans le domaine et contribuer ainsi positivement à la promotion des valeurs d’intégrité et de transparence du système financier.
L’expérience de la Tunisie est à ce propos fort édifiante. Inscrite en 2017/2018 dans la déclaration Publique du GAFI, le pays a réussi à combler les carences de son dispositif national et à améliorer sensiblement ses notations. Le secteur privé a œuvré lui aussi à mettre à niveau les institutions financières sur ce chapitre, notamment à travers l’initiative AML 30000. Il s’agit au concret d’un mécanisme de certification de la conformité technique et de l’effectivité des mesures LAB/FT adoptées par les institutions financières et les entreprises et professions non-financières désignées par le GAFI. L’exercice requiert un audit exhaustif du dispositif interne et des audits de suivi dans le cadre d’un cycle triennal renouvelable et repose sur les exigences objet du standard du GAFI et d’autres qui ont un caractère opérationnel, afin d’évaluer l’effectivité des mesures internes LAB/FT.
Ce mécanisme a été expérimenté en Tunisie et a donné d’excellents résultats avant de s’exporter dans le continent, en RDC, puis en Côte d’Ivoire sachant que d’autres pays ou institutions du continent ont également manifesté un grand intérêt à ce mécanisme . Dans certains cas, la certification est précédée par un programme de mise à niveau afin d’augmenter les chances des institutions concernées d’être certifiées.
Notre expérience de plus de vingt ans dans le domaine de LBA /FT nous amène à penser que le secteur privé peut jouer un rôle fondamental dans la lutte contre ce fléau à travers sa contribution à la mise à niveau des institutions financières et l’ouverture de la possibilité à ces dernières de se faire certifier dans le cadre de la norme AML 30000 .