« L’unité fait la force ! »
Par Éric Bazin.
C’est cet argument que l’ancien ministre et premier vice-président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso, Stanislas Bénéwendé Sankara, a utilisé pour se féliciter du projet de rapprochement de son pays avec le Mali voisin.
Le président de l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (Unir/MS) a également évoqué « des réalités communes » entre les deux pays, « tant du point de vue de l’histoire que de la géographie ». Arguant du fait que Ouagadougou et Bamako ont « tout intérêt à faire ce que nous appelons une union à la base, par les peuples ».
Cet avocat de formation et ancien membre du Comité de défense de la révolution (CDR), pendant la présidence de Thomas Sankara, a réagi ainsi à l’annonce d’un projet de fédération entre le Burkina Faso et le Mali, lancée par le Premier ministre burkinabè, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambela, lors de sa visite « de travail et d’amitié » à Bamako, du 31 janvier au 1er février 2023.
Tour d’horizon des unions ratées…
Dans la capitale malienne, le chef du gouvernement burkinabè a expliqué pourquoi son pays a mis fin à la coopération de longue date avec la France, notamment dans le domaine de la lutte contre le djihadisme, qui n’a pas donné les résultats escomptés. « L’une des raisons pour lesquelles je me suis rendu au Mali est que, pendant longtemps, nous avons cherché des solutions ailleurs, alors qu’elles se trouvaient souvent justes sous notre nez », a indiqué Apollinaire Joachim Kyélemde Tambela. Celui-ci estime ainsi qu’« ensemble, nous pouvons davantage réaliser et beaucoup plus facilement. Dans la lutte contre l’insécurité, nous bénéficions de l’appui de nos frères maliens, ce qui sème maintenant la panique au niveau des terroristes », a-t-il affirmé.
Burkina-Mali : deux fois deux coups…
Pour le Premier ministre burkinabè, le président de la transition à Bamako, le colonel Assimi Goïta, est un « héros de l’Afrique ». A ses yeux, la vision et l’engagement patriotique de ce dernier pour restaurer la souveraineté du Mali ont redonné espoir au peuple.
« J’ai quitté chez moi, je suis venu chez moi », a déclaré Apollinaire Joachim Kyélem de Tambela à son arrivée à Bamako. Il n’y avait donc qu’un pas pour annoncer « la construction d’une alliance forte, à travers une fédération souple qui peut aller en se renforçant et en respectant les aspirations des uns et des autres ».
« Le Mali est un grand producteur de coton, de bétail et d’or. Le Burkina Faso aussi produit du coton, du bétail, de l’or. Tant que chacun va regarder ailleurs, nous ne pesons pas tellement, mais si vous mettez ensemble nos productions de coton, d’or et de bétail du Mali et du Burkina Faso, ça devient une puissance », a ajouté Apollinaire Joachim Kyélem de Tambela.
Les deux pays ont également en commun une situation politique issue d’un coup d’Etat militaire. Au Mali, le colonel Assimi Goïta est l’un des organisateurs du renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août 2020. La mutinerie se déroule alors dans un contexte de contestation du pouvoir incapable d’assurer la sécurité dans le pays et d’irrégularités dans les élections législatives.
La mise en place d’un Comité national pour le salut du peuple (CNSP), dirigé par le colonel Assimi Goïta, semble recueillir l’assentiment de la rue bamakoise qui manifestait, depuis juin 2020, contre le chef de l’Etat, l’accusant de ne pas exercer le pouvoir, mais seulement d’en jouir. Les militaires putschistes, eux, promettent une « transition politique civile afin d’organiser dans des délais raisonnables des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes ».
Le 20 août 2020, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) constate que le coup d’Etat ressemble fortement à celui de 2012, « qui a déstabilisé le Mali et favorisé les attaques de groupes terroristes ». L’institution exige donc « le rétablissement immédiat du président Ibrahim Boubacar Keïta, en qualité de président de la République, conformément aux dispositions constitutionnelles de son pays », demandant la mise en œuvre d’un ensemble de sanctions contre tous les militaires putschistes, leurs partenaires et collaborateurs ». Mais faisant fi de toutes les condamnations de leur coup de force, les putschistes nomment un président de la transition, en la personne de Bah N’Daw, ancien militaire, ex-ministre de la Défense, qui occupe cette fonction le 25 septembre 2020. A son côté, Moctar Ouane, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, est désigné pour occuper la primature. Une mission de la Cedeao à Bamako, menée par le médiateur nigérian Goodluck Jonathan, du 23 au 25 septembre 2020, ne peut qu’entériner le pouvoir en place et l’agenda de la junte.
Même situation de faits accomplis, lorsque, le 24 mai 2021, les putschistes décident de simplifier les choses à Bamako. Bah N’Daw et Moctar Ouane sont arrêtés par les militaires. La communauté internationale, et la Cedeao en particulier, condamnent le coup d’Etat dans le coup d’Etat, réaffirmant leur « soutien à la transition », réclamant la libération « immédiate et inconditionnelle » des dirigeants arrêtés.
Le colonel Assimi Goïta annonce avoir « démis de leurs prérogatives » le président et le Premier ministre, qu’il accuse de « sabotage » de la transition. « Jusqu’à nouvel ordre », ildevient président de la transition, par succession constitutionnelle, jusqu’au terme de la période transitoire.
De son côté, le Burkina Faso a également connu deux coups d’Etat successifs.
Le premier, remonte au 23 janvier 2022.
Comme Ibrahim Boubacar Keïta, le président élu, Roch Marc Christian Kaboré, est poussé à la démission par une mutinerie. Les institutions républicaines et démocratiques sont mises à mal par les militaires burkinabè : la Constitution est suspendue, le gouvernement et l’Assemblée nationale sont dissous. A la place, un Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) est porté au pouvoir. A sa tête, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Samiba.
Sa présidence ne dure que huit mois. Le 30 septembre 2022, il est renversé à son tour par le capitaine Ibrahim Traoré. Le nouveau président du MPSR s’excuse presque d’avoir réalisé un coup dans le coup : « Nous ne voulions pas ce qui est arrivé, mais nous n’avons pas eu le choix », déclare-t-il. Et de dénoncer « la dégradation continue de la situation sécuritaire », « l’idéal commun de départ trahi par le leader en qui [ils] avaient placé toute [leur] confiance ».
Aujourd’hui, le Burkina Faso dirigé par les militaires se rapproche donc du voisin malien.
D’ailleurs, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambela, en poste à la primature depuis le 21 octobre 2022, soutient que la « vraie révolution » menée par le Mali depuis la prise du pouvoir par le colonel Assimi Goïta a « inspiré » les nouveaux dirigeants burkinabè.
D’une fédération aux indépendances
Sa proposition de fédération entre Ouagadougou et Bamako pousse les observateurs à évoquer l’éphémère tentative d’union entre le Mali (à l’époque le Soudan français), le Sénégal, le Burkina Faso (ancienne Haute-Volta) et le Bénin(ex-Dahomey) au moment des indépendances des ex-colonies françaises. Le 17 janvier 1959, à Dakar, ces quatre territoires issus de l’Afrique-Occidentale française (AOF) décident d’éviter une « balkanisation » de la région en se regroupant.
La Fédération du Mali est née.
Par cette union, ses dirigeants veulent retrouver la grandeur de l’empire mandingue, mais aussi se démarquer de la vision du Rassemblement démocratique africain (RDA), mené par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, qui a défendu, en septembre 1957, à Bamako, une indépendance de chaque pays africain individuellement.
Le sénateur-maire de Dakar, Lamine Guèye, évoque « un acte de foi dans le destin d’une Afrique forte de l’union de tous ses membres sans discrimination d’aucune sorte ».
Son compatriote Léopold Sédar Senghor parle d’un « Commonwealth à la française ». Mais les dissensions se font rapidement jour.
Si le Sénégal et la République soudanaise ratifient la Constitution fédérale, les 21 et 22 janvier 1959, le Dahomey et la Haute-Volta se retirent, sous la pression de la France, et se rapprochent de la Côte d’Ivoire pour intégrer le Conseil de l’Entente.
Le 4 avril 1959, le Malien Modibo Keïta est élu président du gouvernement de la fédération, les Sénégalais Mamadou Dia,choisi comme vice-président, Léopold Sédar Senghor, désigné président de l’Assemblée. L’indépendance effective de la fédération du Mali est actée le 20 juin 1960.
Mais très vite des désaccords surgissent, aboutissant à son éclatement.
Problèmes d’hommes, de divergences politiques, d’inégalitéséconomiques et sociales, d’absence de relais populaire, d’incohérence d’une fédération à deux territoires seulement. Finalement, cette expérience ne dure que deux mois. Le 20 août 1960, le Sénégal proclame son indépendance.
Suivi, le 22 septembre 1960, par celle de la République soudanaise qui devient le Mali.
Le 7 février 1961, le président sénégalais, Léopold SédarSenghor, déclare : « Nous avions voulu les uns et les autres aller trop vite, en nous basant sur des réalités territoriales, mais des schémas abstraits à la française. » Tout est dit.
Les autres tentatives de rapprochement entre Etats indépendants vont aboutir plus ou moins rapidement auxmêmes échecs, basés sur un affrontement entre panafricanisme et panarabisme, non-engagement et alignement dans le cadre de la guerre froide, particularismes ethniques et tribaux, défense d’un pouvoir coutumier et pouvoir politique « occidentalisé », entre différents niveaux de vie et richesses potentielles, mais aussi, et surtout, entre leaderships et ambitions des hommes politiques.
Une 2 G espérée…
Parmi ces échecs, on peut citer la création d’une union entre la Guinée et la Ghana, en novembre 1958, deux territoires qui n’ont pas de frontières communes.
Le président Ahmed Sékou Touré et le Premier ministre Kwame Nkrumah décident d’harmoniser la politique de leurs deux pays, « notamment en matière de défense, de politique étrangère et économique ». Une première étape avant l’élaboration d’une « Constitution donnant consistance à l’établissement de l’Union ». Bien qu’élargie à la république du Mali, qui a renoncé à la fédération du Mali, cette entité n’a d’existence que sur le papier, malgré des entretiens entre les trois chefs d’Etat, et la publication, à Accra, en avril 1961, d’une Charte créant une Union des Etats africains (UEA).
Nombreuses initiatives…ensablées
On peut également évoquer l’Union Sahel-Bénin, en 1958-1959, qui devait regrouper la Côte d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger. Lui succède un Conseil de l’Entente, qui réunit ces mêmes Etats, en 1959, rejoints par le Togo en 1966, mais qui se limite à une coopération régionale à finalité économique.
Plus au sud, le Centrafricain Barthélemy Boganda, futur président du gouvernement en 1958-1959, imagine les Etats-Unis de l’Afrique latine, qui doivent, à terme, réunir l’Angola, le Cameroun, le Congo, le Congo belge (actuelle République Démocratique du Congo), le Gabon, la Guinée équatoriale, l’Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine), le Ruanda-Urundi (actuels Rwanda et Burundi) et le Tchad.
Apparaît ensuite le projet de l’Union des républiques d’Afrique centrale (Urac), qui est aussi une volonté des territoires colonisés par la France d’accéder à l’indépendance sous une organisation fédérale ou confédérale. Elle doit regrouper le Congo, le Gabon, le Tchad et l’Oubangui-Chari.Toutefois, dès le renoncement gabonais, au sommet de Fort-Lamy – actuelle N’Djamena – en mai 1960, l’union à trois qui en résulte ne voit jamais le jour, chacun des territoires préférant accéder individuellement à l’indépendance.
Plus tard, en février 1982, la Confédération de Sénégambie associe le Sénégal francophone et la petite Gambie anglophone voisine, dans le cadre d’une coopération en matière d’affaires étrangères et de communications internes. Par ce biais, Dakar souhaite désenclaver sa province de Casamance. Mais les supporters d’un Etats sénégambien ne voient pas leur rêve aboutir : la confédération est gelée en août 1989, avant d’être dissoute le mois suivant à l’initiative de Dakar.
On pourrait également évoquer les multiples tentatives d’union à l’initiative du colonel Mouammar Kadhafi.
En quatre décennies de pouvoir absolu, le numéro un libyen va tenter de mettre en œuvre ses visions d’ambition panarabique et panafricaine.
En avril 1971, apparaît l’Union des républiques arabes entre la Libye, l’Egypte et la Syrie. Au programme une capitale, des organes politiques, une diplomatie et une armée en commun. Le projet est même approuvé par référendum dans les trois pays. Toutefois, l’année suivante s’il est évoqué une « union totale entre l’Egypte et la Libye », la Syrie disparaît de l’accord.
Puis le président égyptien Anouar el-Sadate s’éloigne du projet et du « déséquilibré » Mouammar Kadhafi. Dès 1973, les tensions sont au paroxysme entre les deux chefs d’Etat,aboutissant même à un conflit armé, en 1977.
En octobre 1984, l’Union est définitivement enterrée.
Cette première tentative ne ralentit pas les rêves de Mouammar Kadhafi.
Après avoir fondé la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, il tente de séduire l’Algérie, puis la Tunisie (projet de République arabe islamique), le Tchad et même le Maroc.
A chaque fois en vain, les unions se limitant le plus souvent à des projets de papier et quelques déclarations, comme celle du président tchadien Goukouni Oueddei, en 1980, à Tripoli. Et à l’heure où il accède à la présidence tournante de l’Union africaine, en février 2009, cette course à l’unité à tout prix amène le « Guide de la révolution » à vouloir qu’on l’appelle désormais le « roi des rois traditionnels d’Afrique », rêvant d’une fédération à l’échelle d’un continent, où les habitants partageraient la même monnaie, un même passeport, et pourraient circuler librement.
Un doux rêve inachevé.
D’ici là, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambela a donc encore bien du travail devant lui pour transformer son idée de fédération entre le Burkina Faso et le Mali.
En réalité, il devra en priorité commencer par convaincre le régime au pouvoir à Bamako de l’intérêt de ce rapprochement.
Vaste programme…