Par DOURANDJI Jean Martin
Economiste diplômé des universités Adam Barka d’Abéché (Tchad) et de Yaoundé II (Cameroun).
Depuis 2003 et l’entrée du Tchad dans le cercle des producteurs du pétrole, l’or noir représente 90% de ses exportations et 40% de ses recettes publiques. Malgré les ressources supplémentaires engendrées par l’avènement du pétrole, le pays n’a pas su investir efficacement dans les secteurs importants qui sont l’agriculture et l’élevage dont il dispose d’un avantage comparatif pourtant indéniable. La chute brutale des cours mondiaux du brut en 2014 a mis la terre de Toumaï en récession sévère entre 2016 et 2017 respectivement avec des taux de croissance de -6,4% et -2,4%. De même, l’économie du Tchad s’est contractée à nouveau en 2020 à 0,9% à la suite de la crise sanitaire de la Covid-19.
L’on sait qu’avant 2003, les produits d’exportation pourvoyeurs de devises étaient le coton, l’élevage ou encore la gomme arabique. L’avènement du pétrole a éclipsé ces secteurs et les autorités ont sous-investi dans les secteurs économiques névralgiques. En dépit des recommandations pressantes des institutions de Bretton Woods, la question de la diversification économique n’a pris de l’ampleur qu’en 2014 lorsque les cours mondiaux du baril ont chuté et les équilibres budgétaires mis à mal. La récession qui s’en est suivie a vu l’apparition de fortes tensions sociales consécutives aux mesures d’austérité prises par le pouvoir.
Des projets de diversification économique financés par les partenaires internationaux
Les ressources hors pétrole devant permettre au Tchad de transformer structurellement son économie sont énormes. Troisième pays d’élevage en Afrique, son secteur bétail-viande s’impose incontestablement comme le secteur de l’avenir. Les chantiers en cours depuis de nombreuses années tardent à s’achever notamment les complexes de Mandelia au sud de la capitale, financés en partie par la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC) pour un coût global de quarante-deux milliards de FCFA. Il y a aussi le projet Djermaya dans la périphérie nord dont le coût de trente-sept milliards de FCFA sur financement de la BDEAC. Quant au complexe industriel des abattoirs du Logone à Moundou, inauguré depuis 2020, il n’est toujours pas en service. A terme, ces projets doivent permettre au Tchad de consolider sa position de leader dans la sous-région et booster fortement le secteur de l’élevage.
L’agriculture demeure rudimentaire et tributaire des aléas climatiques et les initiatives entrepreneuriales privées dans le secteur sont limitées. L’implantation de l’usine de la SIMATRAC (Société moderne d’assemblage des tracteurs) en 2009, fruit de la coopération Tchad-Inde, n’a pas permis la mécanisation de l’agriculture et le coût de location des tracteurs pour le labour reste élevé pour les paysans. Seul le coton semble tiré d’affaires grâce à sa privatisation et l’entrée du singapourien Olam à hauteur de 60% dans CotonTchad. La production est repartie à la hausse et le pays table sur 200 000 tonnes en 2025. L’enjeu de la diversification n’est pas qu’économique. Au Tchad, l’insécurité alimentaire et nutritionnelle frappe chaque année des millions de personnes. Une meilleure prise en compte du secteur agricole permet de lutter contre la pauvreté et la sous-alimentation.
Renforcer la transparence dans la gestion et les capacités de collecte des recettes hors pétrole
Un renforcement des capacités de mobilisation des recettes douanières et fiscales est préconisé, ce qui pour le moment est loin d’être acquis étant donné l’opacité qui entoure la gestion et l’incompétence dans le secteur. En comparaison avec des pays pairs, ces recettes sont insuffisamment collectées. Il y va aussi de la diversification économique que des services des douanes et des impôts soient à mesure de collecter efficacement les recettes et qu’une gestion efficace et efficiente des finances publiques s’en suive. Cela permettra à l’avenir d’amortir les chocs.
Le climat d’affaires : principal frein à la diversification économique
La diversification économique exige des investissements du secteur privé qui se doit d’être en première ligne. Compte tenu des capacités étroites du secteur privé local, le pays doit miser davantage sur les investissements étrangers. Cependant le climat d’affaires répulsif n’est guère favorable. Le Tchad est l’un des mauvais élèves en termes d’affaires. Il est avéré lors des différents classements Doing Business que le pays est peu attractif. En dépit de quelques reformes, les investisseurs ne se bousculent toujours pas aux portes de N’Djamena.
Cependant des initiatives, sans succès, ont été lancées pour pallier au problème d’attractivité. Parmi ces initiatives, il y a eu le projet d’appui a l’amélioration du climat d’affaires et à la diversification de l’économie du Tchad (PACADET) financé par la Banque africaine de développement. Lancé en 2013 pour une durée de quarante-huit mois, ce projet semble avoir eu peu d’effet sur la situation car la position du Tchad n’a pas changée. Dans le même objectif, le Conseil présidentiel pour l’amélioration du climat des affaires au Tchad présidé par le chef de l’Etat et crée en 2019 doit faire ses preuves car à ce jour aucune réalisation de cette instance n’est à noter.
Accroître les budgets d’investissement
Des lourds investissements doivent être effectués dans les secteurs stratégiques du pays. Par exemple le budget dédié à l’agriculture est toujours en dessous de 10% contrairement à la Déclaration de Maputo (2003) réitérée à Malabo (2014) engageant les gouvernements signataires à affecter au moins 10% de leur budget au secteur agricole. Le budget du ministère de l’élevage est tout autant faible comparé par exemple à celui de la Défense. Cette situation affecte les investissements du ministère réduits à quelques projets de construction de puits pastoraux et des infrastructures élémentaires.
Le budget d’investissement dans le pays en 2022 représentait 29,97% des dépenses budgétaires soit 360,5 milliards de FCFA contre 598,050 milliards FCFA soit une hausse de 66% pour l’exercice en cours.