A l’instar de ses confrères, le réassureur marocain, la Société Centrale de Réassurance doit affronter l’émergence de nouveaux défis, notamment les sinistres récurrents liés au changement climatique et la multiplication des cyberattaques. Entretien exclusif avec Youssef FASSI FIHRI, directeur général de la SCR.
A date, quelle première évaluation faites-vous de la mise en oeuvre du plan Strong et quelles sont les prochaines étapes ?
Youssef FASSI FIHRI : Le plan Strong II a été un succès pour la SCR grâce à l’implication et collaboration active de toutes les équipes à cette transformation, le soutien des actionnaires et la confiance de nos partenaires. En prenant en considération le contexte où évoluait la SCR (hausse des prix de la réassurance internationale, de plus en plus de cadres réglementaires favorisant le développement de la réassurance locale/régionale et offrant moins d’opportunité pour les réassureurs étrangers, etc.) les projets ont pu atteindre leurs résultats et ont réussi à démontrer la résilience de la SCR au niveau local et à l’international.
Strong II est un plan de transformation qui a permis de générer un chiffre d’affaires additionnel pour la SCR de 170 millions de dollars dans les années 2016-2019 et un résultat technique de 15 millions de dollars durant la même période.
Nous avons considéré que la période du Covid et le confinement une véritable opportunité pour se repenser, analyser les impacts et les nouveaux leviers stratégiques. En effet En chinois, le mot crise se traduit par 危机 (Wei Ji). Ce mot est composé de deux caractères. Le premier est Wei, qui signifie danger, et le second est Ji, qui signifie opportunité. Nous avons donc déployé un nouveau plan stratégique We Transform Tomorrow Together We3T pour la période 2021-2023 qui est suivi dans le cadre d’un PMO avec un bon taux d’avancement et des retombées positives constatées.
En tant que réassureur, quel défi pose la récurrence des sinistres liés au changement climatique à votre métier ?
Les acteurs de l’assurance et de la réassurance sont vulnérables au changement climatique sous deux volets. Premièrement, ils sont exposés du fait de leur qualité de preneurs de risques d’assurance lorsqu’ils détiennent un engagement pour indemniser les assurés qui ont subi des dommages liés au changement climatique. Il peut s’agir de dommages directs (par exemple, propriété endommagée par un évènement météorologique) et indirects (par exemple, perturbation de la chaîne logistique).
Deuxièmement, ils sont en position de fragilité en tant qu’investisseurs institutionnels. Le danger réside dans le fait que les réassureurs investissent leur capital dans des actifs qui peuvent perdre de la valeur à cause des dommages liés au changement climatique. En plus, ils sont exposés en tant que détenteurs d’actions ou de dettes d’entreprises ou de pays contribuant ou étant à la merci des effets du changement climatique (les pays producteurs de pétrole, par exemple).
En prenant en considération ces éléments de contexte, le défi des réassureurs par rapport au changement climatique réside dans le fait qu’ils doivent se doter des outils d’exposition « Catastrophe Naturelle » actualisés et très puissant permettant une bonne tarification des produits associés aux risques climatiques et une gestion agile et efficace de leur exposition. Nous sommes actuellement en phase d’intégration d’un outil de modélisation reconnu mondialement pour les risques inondations et tremblement de terre.
Le marché de la cybersécurité en forte croissance au Maroc
De ce que vous observez sur le marché marocain, quel est le degré de sensibilité des opérateurs économiques aux risques liés aux cyberattaques ?
Le marché marocain de la cybersécurité est en forte croissance. A l’heure où des secteurs d’activité clés comme les services financiers, la santé ou l’industrie accélèrent leur transformation digitale, l’explosion des cyberattaques a conduit les entreprises à mieux se protéger à travers la détection et la réponse aux cybermenaces, devenue une véritable nécessité économique. Selon la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’Information (DGSSI) le nombre de cyberattaques visant le Maroc en 2021 était de 577, chiffre qui est sans doute, en croissance en 2022.
A ce stade, nous observons une prise de conscience importante des opérateurs économiques marocains et une prise en main de ce type de risques de plus en plus averti. Nous sommes confiant par rapport aux tendances futures qui se tracent eu égard de cette agilité démontrée par ces acteurs et la SCR se porte comme maillon fort de cette chaine prête à partager ce type de risques avec les assureurs locaux et offrant une expertise importante à sa gestion via son réseau de partenaires internationaux.
Certains de vos confrères estiment que les attaques informatiques, notamment les cyber risques, comme les pandémies, sont quasiment non assurables. Quelle est votre analyse ?
Encore une fois, le sujet principal qui se pose est la disponibilité des données historiques pour ces types de risques émergents. A ce jour, nous n’avons pas une idée claire des comportements en survenance et en sévérité sur un intervalle de temps important permettant d’une manière détaillée d’avoir un tracée de profil de risque bien calibré. Ces éléments de contexte limitent l’assurabilité de ces types de risques systémiques et les rendent laborieusement modélisables et par conséquent, difficilement assurable. D’ailleurs nous avons constaté une raréfaction des capacités pour ce type de risque depuis 2 ans.
Primes en hausse de 30%
La SCR a-elle complètement absorbé l’impact de la crise du Covid-19 ?
Malgré un contexte de réassurance internationale difficile, marqué par la pandémie et le durcissement des prix de couvertures de réassurance au niveau mondial, la SCR a réussi à enregistrer des résultats importants et en évolution. La SCR a amélioré notablement ses performances avec une progression de plus de 30% des primes émises et de plus de 14% du résultat net.
Quelles sont vos ambitions sur le marché africain de la réassurance ?
Nous sommes confiants quant à notre politique d’expansion en Afrique, et nous envisageons de renforcer davantage notre présence au niveau continental, non seulement, à travers ce que nous offrons en termes de support technique à nos partenaires, mais aussi en mettant à leur disposition plus de capacité de souscription.
Aujourd’hui il est important de signaler que la SCR reste pionnière en tant qu’acteur clé de la réassurance sur le continent (4 bureaux de contact : Afrique du Sud, Egypte, Rwanda et Cote d’Ivoire) avec une performance continue au cours des 5 dernières années (un ROE moyen stable de 11,5%) et une marge de solvabilité en norme européenne Solvency II de 188,8% en 2021. Aussi, la SCR a su démontrer sa résilience malgré un contexte difficile marqué par la crise du Covid-19 tant en Afrique qu’au niveau international, en maintenant sa notation de B++ (Good) par AM Best et AAA STABLE par Fitch (notation locale).
Récemment, la SCR s’est distinguée par la qualité de son management et sa performance globale en obtenant le prix du « meilleur réassureur en Afrique pour l’année 2021 », la plus haute distinction accordée annuellement par le magazine International Business – catégorie Finance. Avec cette récompense, la SCR confirme une nouvelle fois sa solidité financière et ancre son développement au niveau local et régional.