Réunis à Addis-Abeba, les chefs d’Etat africains ont pris acte des avancées de la médiation africaine en Libye. Menée depuis plusieurs années par la diplomatie congolaise, cette épineuse mission semble rencontrer l’approbation du peuple et des leaders libyens, même si l’équilibre dans ce pays poudrière demeure éminemment précaire.
C’est une grand-messe diplomatique qui, du fait de sa concomitance inopinée avec le premier anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, est cette année un peu passée sous les radars des observateurs et commentateurs de la scène internationale ; mais ce ballet de chefs d’Etat n’en revêtait pas moins une importance stratégique majeure, à l’heure où se recomposent les équilibres géopolitiques mondiaux. Comme chaque année à la même époque, se tenait les 18 et 19 février, à Addis-Abeba, le sommet de l’Union africaine (UA). Le temps d’un week-end, la capitale éthiopienne a été le théâtre d’intenses débats, à huis clos, entre la cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement du continent africain.
Plusieurs dossiers chauds, voire brûlants, étaient au menu des participants, à commencer par la situation du pays hôte, l’Éthiopie, qui a récemment mis un terme au sanglant conflit dans la région rebelle du Tigré. La crise sécuritaire en République démocratique du Congo (RDC), les tensions entre le Maroc et l’Algérie, ou encore la création d’un siège, pour l’Afrique, de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, ont également été abordées. Mais c’est bien la situation en Libye qui a, en quelque sorte, fait office de plat de résistance pour les leaders africains, au point de monopoliser la cérémonie de clôture du sommet, au cours de laquelle le président de la commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a annoncé l’organisation prochaine d’une conférence de réconciliation nationale.
Quand la médiation africaine en Libye porte « enfin ses fruits »
« Nous avons réuni les différentes parties et nous sommes en train de travailler avec eux sur la date et le lieu » de cette conférence, s’est, à la tribune, félicité l’ancien ministre des Affaires étrangères du Tchad. Une lueur d’espoir pour ce pays plongé, depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, dans un chaos sans fin, entretenu par des factions tribales elles-mêmes soutenues par de grandes puissances rivales. Officiellement nommé, il y a sept ans de cela, médiateur de l’UA sur le dossier libyen, le président de la RDC, Denis Sassou-Nguesso, a profité du dernier sommet d’Addis-Abeba pour présenter à ses homologues un rapport d’étape de la médiation africaine sur cet interminable conflit. Une médiation qui, selon le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, « commence enfin à donner des fruits ».
Dans un long entretien accordé au site Afriquinfos, le chef de la diplomatie congolaise a estimé que « les Libyens adhèrent de plus en plus à l’idée d’une réconciliation nationale, préalable à ces élections générales qui ne peuvent être indéfiniment différées. Un assez large consensus s’est formé autour de l’initiative portée par le président Denis Sassou-Nguesso d’organiser au cours de cette année 2023 une conférence sans exclusive, au cours de laquelle les Libyens videront littéralement leur sac, les yeux dans les yeux, apprendront aussi à se pardonner et traceront les perspectives du nouveau pays qu’ils lègueront à leurs enfants et petits-enfants ». Appelant de ses vœux un élargissement de la mission – et, notamment, de sa charge financière – à d’autres pays africains, le diplomate a également insisté sur le « rôle essentiel » jusqu’à présent joué par la RDC dans ce difficile processus de médiation.
Depuis 2017, a encore tenu à rappeler Jean-Claude Gakosso, « le Président Sassou-Nguesso a été de tous les rendez-vous sur le dossier libyen : à Brazzaville, à Addis-Abeba, à Paris, à Berlin, au Caire. Il s’agit d’un engagement panafricain sincère et sans calcul. Un engagement accompli avec abnégation, malgré les tentatives incompréhensibles de certaines puissances de tenir l’Afrique à l’écart de ce dossier… ». Or il s’agit bien, pour le ministre congolais, d’un sujet « africain à tous égards ». Revenant en détail sur les nombreux obstacles rencontrés par la médiation africaine – au premier rang desquels l’opposition d’une partie des interlocuteurs libyens eux-mêmes – et sur la manière dont la mission menée par le président congolais est parvenue à les lever en suscitant la confiance des parties prenantes, Gakosso s’est réjoui de ce qu’aujourd’hui, « la plupart des Libyens sont convaincus de l’efficacité de notre intervention ».
La recette congolaise du succès : préserver le cessez-le-feu, mettre fin aux ingérences étrangères et s’armer… de patience
Mais comment obtenir, concrètement, des avancées durables dans ce conflit si sensible ? « Il est essentiel », martèle le ministre congolais, « que le cessez-le-feu soit préservé. Il est également essentiel que les Libyens s’approprient tous la démarche de réconciliation portée par l’Afrique ». Enfin, « il est crucial que soit maintenu le consensus sur l’inclusivité de toutes les forces politiques et sociales du pays, quelles qu’elles soient, ce, en vue de la conférence de réconciliation et des élections à venir ». Et le dirigeant de plaider « inlassablement pour la fin des ingérences étrangères en Libye et pour le retrait progressif des forces étrangères ainsi que des mercenaires de tout bord ».
Quoi qu’il advienne dans les semaines et mois à venir, Jean-Claude Gakosso a enfin tenu à rappeler qu’en Afrique comme ailleurs « toute médiation (est) une course à obstacles. Par-dessus tout, il faut être patient, car le résultat est rarement à l’entame de l’entreprise ».