De notre envoyé spécial au Gabon.
A 300 km de Libreville, capitale gabonaise, hôte du tant attendu sommet sur la forêt du bassin du Congo (One Forest Summit) qui s’ouvre ce mercredi 1er mars en présence des chefs d’Etat des pays riverains du Bassin du Congo et du président français Emmanuel Macron, le vieux Kamaya poursuit son rituel quotidien : nourrir sa famille de quatre membres, en surveillant la turbulent dernier né, qui célèbre aujourd’hui son deuxième anniversaire.
Kamaya est un dos argenté, mâle dominant d’une famille de six membres, vivant à Luango, l’un des 13 parcs nationaux du pays. Ensemble, ces 13 parcs gérés par l’Agence nationale gabonaise des parcs (ANPN) représentent 11% de la superficie du pays. « Le petit Gabon dont 88% du territoire est couvert par la forêt fait beaucoup pour la protection de la forêt tropicale, poumon vital de la planète, qui séquestre désormais plus de carbone que l’Amazonie, mais ne reçoit guère plus d’un million de dollars du Fonds Vert pour le Climat», affirme Lee White, le ministre des Eaux, des Forêts, de la Mer, de l’Environnement, chargé du Plan Climat et du Plan d’affectation des terres.
C’est là tout le paradoxe de l’injustice climatique que subissent les populations autochtones et les pays riverains du Bassin du Congo. L’équation est simple sur le plan théorique: protéger la forêt primaire vitale à Kamaya et aux 35 000 gorilles du Gabon, aux 10 000 éléphants du parc de Loango, aux dizaines de milliers buffles, aux crocodiles, hippopotames et aux tortues marines et, en retour, espérer que les mécanismes climat mis en place lors des grandes négociations des COP puissent se concrétiser.
A ce jour, seule la Norvège a compensé le Gabon dans le cadre de ses efforts pour la séquestration carbone, en lui versant 17 millions de dollars pour les 3,2 millions de tonnes de CO2 supplémentaires séquestrées entre 2016 et 2017 à raison de 5 dollars la tonne. Ces décaissements faits après un audit du système de la protection de la forêt mis en place par Libreville a donné une lueur d’espoir aux pays riverains obligés comme dans le cas du Gabon, à trouver une reconversion aux autochtones vivant jusque-là de la chasse et de la pêche et à arbitrer des conflits parfois meurtriers entre villageois et éléphants. Face à ces questions locales aux réponses nécessairement globales, le Gabon développe l’écotourisme le long de ses parcs nationaux sous l’encadrement strict des eco-gardes, sortes de conservateurs de musées alliant des connaissances en botanique et en ressources animalières et maîtrisant les rites ancestraux du pays.
« Les crédits carbone et les certificats de nature positifs pour la biodiversité ont le potentiel de débloquer des financements supplémentaires provenant de diverses sources, y compris des entreprises du secteur privé qui se sont engagées à être positives pour la nature et à soutenir une transition nette zéro », déclare Carlos Manuel Rodriguez, patron du Fonds pour l’environnement mondial, co-auteur d’un rapport d’experts publié à la veille du sommet de Libreville. Ce document-plaidoyer appelle à tirer les leçons des travaux antérieurs sur les crédits carbone pour créer « un système unique et unifié de crédits forestiers qui tienne compte à la fois des préoccupations climatiques et de la biodiversité ». C’est là le hic, la non unification du marché carbone crée des disparités énormes. « Y aurait-il un carbone européen et un carbone africain ? », s’interroge le ministre Lee White face aux faibles retombées de l’argent du climat sur les autochtones de la forêt du Gabon.
Pour l’heure, à Louango, cette reconversion de chasseurs à protecteurs d’animaux est en train de prendre forme sous le regard attentif de chercheurs de diverses disciplines. Les pisteurs de gorilles savent lire dans la forêt et déceler les traces des grands fauves au grand bonheur des nombreux touristes qui arrivent du monde entier. A l’abri désormais du braconnage, Kamaya et les siens peuvent se consacrer à leurs besoins : consacrer 16 heures par jour à se nourrir avec, de temps en temps, cette rencontre parfaitement encadrée avec les objectifs des caméras et des téléphones. Ce site de 155 000 hectares entre forêt, lagon et océan est l’un des derniers paradis sur terre. Mais pour combien de temps encore résistera-t-il au changement climatique et à l’avancée de la mer ? Kamaya ne le sait pas sans doute, l’avenir des siens se jouera en partie lors de ce sommet multilatéral de Libreville où il est attendu du concret sonnant et trébuchant.
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