Groupe franco-canadien, Magil Construction est l’un des acteurs de référence des projets de construction industrielle, commerciale, institutionnelle et résidentielle au Canada et dans le monde. Implanté depuis quelques années au Cameroun sur plusieurs projets, son vice-président exécutif et directeur général Franck Mathiere nous livre son expertise sur les besoins en infrastructures du continent, le rôle du privé ou encore les perspectives du groupe en Afrique.
1 — De nombreux rapports pointent les exigences en infrastructures des pays africains, non seulement pour assurer l’accès aux besoins fondamentaux (santé, eau, électricité), mais encore pour soutenir la croissance économique, en améliorant les échanges et l’attractivité du continent. En tant que constructeur, comment le secteur privé doit-il selon vous répondre aux besoins des pays africains ?
Nous pouvons identifier trois types d’infrastructures prioritaires : d’abord celles dédiées aux besoins fondamentaux des populations, notamment en matière de santé, d’éducation, de numérique ou encore de fourniture d’eau et d’énergie. Ensuite, les infrastructures qui seront demain des catalyseurs de développement socio-économique, comme les axes routiers ou les ports. Enfin, celles qui ont vocation à aligner le continent africain sur les plus hauts standards internationaux dans un ensemble de domaines, comme le sport. Tous les rapports s’accordent aujourd’hui sur les mêmes conclusions : les infrastructures ne sont, en Afrique, pas assez nombreuses ; leur manque grève la croissance économique du continent ; et elles ne sont pas suffisamment financées.
C’est à partir de ce constat généralement partagé que le secteur privé doit agir, en tenant son rang pour répondre à ces enjeux et, tout particulièrement, en imaginant des mécanismes de financement qui soient avantageux pour tout le monde, qui préservent les capacités budgétaires des États et qui, surtout, répondent aux besoins des Africains.
2 — Qui dit infrastructures suppose évidemment financement des projets… Le déficit de financement est estimé à environ 108 milliards par an en Afrique. Un gouffre colossal qui appelle à une mobilisation globale des acteurs publics et privés. Quelles sont, pour vous, les pistes à déployer pour faciliter le financement des projets d’infrastructures sur le continent ?
Le continent africain fait face à un double problème structurel. D’abord, un déficit de financement pour ses infrastructures, estimé entre 100 et 150 milliards de dollars par an, parfois plus selon d’autres organismes. Ensuite, une qualité trop faible et un manque d’entretien de l’existant, qui entraîne aussi une perte nette de productivité. L’on ne compte plus les études déplorant une perte de points de PIB liée aux pénuries d’électricité. Ou encore celles calculant précisément la perte de productivité des travailleurs du fait du manque d’accès direct à l’eau. Le manque d’infrastructures a en effet des effets délétères gravissimes.
Combler ce manque est devenu d’autant plus délicat que les premiers acteurs du financement des infrastructures, à savoir les pouvoirs publics, ont des niveaux de dette publique très élevés et sont économiquement très fragiles. Une autre solution trop longtemps déployée est le recours à des bailleurs étatiques étrangers. Je pense ici à la Chine. Mais les gouvernements africains se sont rendu compte qu’il s’agissait là d’un jeu dangereux, potentiellement vecteur de politique de prédation et de dépendance par la dette. La Chine subit d’ailleurs aussi le contexte macroéconomique et ses investissements dans les infrastructures africaines sont en chute libre depuis quelques années. Les bailleurs de fonds multilatéraux et les agences de développement ne peuvent pas non plus assumer outre-mesure ce manque à combler.
Dans ce contexte, libérer les capacités d’investissements du secteur privé doit jouer un rôle central, en maintenant une approche partenariale et de coopération avec les différents gouvernements. Il ressort là encore des rapports et études internationaux que le secteur privé ne participe encore que trop au financement des infrastructures africaines, contrairement à d’autres régions du monde. La balle est en partie dans les mains des gouvernements africains et des organisations régionales. Plusieurs pistes peuvent en effet être envisagées pour accélérer la participation du secteur privé, comme une amélioration du cadre réglementaire, un effort dans la lutte contre la corruption, le clientélisme, un plus fort partage du risque entre les acteurs publics et privés. Le but est de faire tomber les nombreux freins psychologiques qui persistent encore trop souvent.
3 — Le développement des infrastructures de transport est souvent perçu comme l’un des préalables nécessaires à la réussite de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zeclaf). Vous êtes actuellement pleinement engagé sur le projet de pénétrante Est à Douala, au Cameroun. Quelles sont les spécificités des projets dans le secteur routier africain ?
Déjà, partons d’un constat : selon les différentes études prospectives, l’avènement de la Zeclaf devrait faire progresser de 50 % le commerce intra africain des transports dans ses différents modes (air — route — rail – mer). Dans le même temps, le réseau routier africain est aujourd’hui très largement inadéquat par rapport aux besoins actuels et à la hausse annoncée des échanges liés à la ZECLAF. Il faut en effet noter que le réseau routier africain est déjà surutilisé et représente environ 90 % du trafic du continent. C’est intenable à long-terme.
Nous retrouvons ici une problématique précédemment évoquée : un mauvais réseau routier augmente les coûts du commerce intra africain, freine la croissance et plombe la productivité. N’oublions pas aussi que le changement climatique aura un impact négatif sur les actifs routiers africains, particulièrement vulnérables aux événements climatiques exceptionnels, aux précipitations ou encore aux inondations. Là encore, le seul secteur public ne pourra pas combler l’énorme gap entre les infrastructures existantes, l’adaptation aux enjeux, notamment climatiques, à venir, et les besoins des populations.
La spécificité des réseaux routiers en Afrique est que nous partons de très loin en termes d’existant, que nous devons agir dans l’urgence pour répondre aux besoins futurs et nous adapter aux bouleversements à venir. Il y’a aussi évidemment des enjeux locaux, en fonction de l’implantation géographique du projet. Dans le cas de la Pénétrante Est de la ville Douala par exemple, un projet qui se déploie dans un cadre urbanisé, nous faisons face à un ensemble de défis majeurs. Les enjeux environnementaux et sociaux de la population urbaine ont été des facteurs cruciaux pour le montage du financement. Dans la phase opérationnelle, nous avons eu à gérer la mise en œuvre des travaux dans un contexte de circulation maintenue et la problématique d’occupation de la zone de travaux par des commerces ou des dépôts sauvages. Il s’agit d’un défi technique et opérationnel mais, comme à chaque fois, nous mettons tout en œuvre pour y répondre.
4 — De nombreuses entreprises internationales demeurent assez imperméables à la perspective d’investissements en Afrique, du fait d’une perception du risque trop importante. Vous avez déjà mené plusieurs projets au Cameroun. Quelle est, selon vous, la réelle nature du risque pour les investisseurs sur le continent africain, notamment après les difficultés que vous avez pu rencontrer sur le site du chantier d’Olembé au Cameroun ?
Le climat des affaires n’est parfois guère incitatif pour d’éventuels investisseurs étrangers et des difficultés ponctuelles peuvent advenir pendant la conduite d’un projet. Les constructeurs étrangers en ont conscience et peuvent parfois être relativement hermétiques à l’idée de s’engager sur un territoire quand le risque — perçu ou réel — est jugé trop élevé et qu’un manque de garanties persiste.
Dans le cas d’Olembé, nous avons eu à déplorer des manquements contractuels de la part de notre maître d’ouvrage qui, malheureusement, ont freiné le financement du chantier et la conduite des travaux. Le tout, dans un contexte d’attaques délétères dans la presse camerounaise.
Ce type de manquements aux engagements contractuels peut avoir des conséquences dangereuses et devenir le vecteur d’un déficit de confiance des acteurs privés qui pourraient renoncer à des projets sur le continent au prisme de risques jugés trop grands. C’est, à terme, dommageable pour les populations qui attendent de voir émerger des infrastructures de haut niveau et répondant à leurs besoins. Mais aussi pour les sous-traitants et salariés locaux, qui ne reçoivent pas l’argent qui leur est pourtant dû. Ce genre de situation pénalise ainsi toute la chaîne et, en fin de course, les populations.
5 — Vous êtes à l’origine un groupe canadien, qui s’est illustré dans de nombreuses réalisations dans le pays. Quelle a été l’impulsion pour votre implantation sur le continent africain et, tout particulièrement, au Cameroun ? Vous avez d’ailleurs, au Canada, multiplié les projets dans le domaine des infrastructures de santé. Souhaitez-vous vous positionner sur ce segment de marché en Afrique ?
Notre groupe a 75 ans d’histoire. Une histoire en grande partie canadienne durant laquelle nous sommes en effet à l’origine de nombreux grands projets dans le domaine de la santé (hôpitaux, centres de recherche…), mais pas seulement. Nous agissons aussi sur le segment des bâtiments commerciaux, industriels ou encore éducatifs. Notre groupe est en relation avec des établissements bancaires internationaux de premier rang, en mesure de proposer des financements à des entités privées ou étatiques. Notre modèle d’affaires, fondé sur le recours au contrat EPCF & EPCM (Engineering, Procurement and Construction Management), nous permet d’intervenir comme gestionnaire de construction pour le compte du Maître d’ouvrage et de mettre à la disposition de ce dernier un ensemble de sous-traitants, dont l’expérience et l’expertise sont au plus près des réalités et besoins locaux. En Afrique, nous aspirons à répondre au cas par cas à tous les projets pour lesquels notre expertise pourrait être utile.
6 — Quelles sont, à moyen et long-terme, vos perspectives de développement sur le continent africain ?
Nous aspirons évidemment à achever nos projets en cours au Cameroun d’une part, en levant les difficultés parfois persistantes. Notre groupe fait l’objet de sollicitations diverses sur le continent africain et nous serons fiers d’apporter notre expertise sur tout type de projet, notamment des projets structurants ayant un impact significatif en termes de développement pour un pays et sa communauté. Nous restons d’autre part toujours à l’écoute des éventuels besoins spécifiques du continent pour y répondre.