«La finalité de nos actions, le renforcement de la résilience du secteur privé et de l’économie communautaires »
Longtemps discrète et peu disserte sur ses activités, la Chambre Consulaire Régionale de l’Union économique et monétaire Ouest africaine (CCR-UEMOA), présidée depuis mai 2021 par le banquier ivoirien, Daouda Coulibaly, est un maillon important de l’architecture communautaire. Son objectif, créer les meilleures conditions pour une prise en compte effective, par les autorités de l’Union, des perspectives du secteur privé communautaire dans le processus d’intégration régionale. C’est ce que déclare Daouda Coulibaly, Président de la CCR-UEMOA, dans cet entretien exclusif.
Question d’actualité, Monsieur le Président de la CCR-UEMOA, le secteur bancaire international parait dans la tourmente depuis quelques semaines. Faut-il avoir des inquiétudes pour le système bancaire de l’UEMOA ?
Il est vrai que les systèmes bancaires américain et européen, -notamment suisse- ont enregistré quelques convulsions au cours des dernières semaines avec la faillite ou la cession de certains établissements bancaires. Il est aussi vrai que cette situation intervient dans un contexte économique général pas forcément serein où se mêlent conjoncture défavorable sur le marché de nombre de matières premières du fait du conflit russo-ukrainien, taux d’inflation élevé, relèvement par les banques centrales, de par le monde, de leurs taux d’intérêt directeurs…
Mais, quoiqu’on ne puisse pas parler de risque systémique zéro ou d’impossibilité ferme que la tourmente dans laquelle se sont retrouvées les banques américaines Silicon Valley Bank, Signature Bank et Sivergate Bank et la suisse Crédit Suisse, -pour ne citer que celles-là-, fasse des vagues, il faut reconnaître que le théâtre de ces faillites reste assez bien circonscrit géographiquement. Toute chose qui minimise sérieusement le risque que l’onde de choc atteigne frontalement notre système bancaire. Au surplus, il est important de noter que notre système bancaire est l’objet d’une surveillance, j’allais dire rigoureuse, des autorités de régulation de notre Union pour s’assurer de sa stabilité et sa résilience. Sans oublier que les établissements bancaires ont pris, eux-mêmes, ces dernières années, diverses mesures pour améliorer leur gestion des risques et leur résilience aux chocs extérieurs. Toutefois, il faut signaler que dans notre zone, pour lutter contre l’inflation, la Banque Centrale augmente ses taux directeurs quasiment à chaque trimestre -entre juin dernier et maintenant, nous sommes à quasiment + 100 bp- avec un resserrement de la liquidité injectée.
Ces décisions ont eu pour impact, une réduction de la liquidité qui pourrait mettre en difficulté certaines banques. Il convient donc d’être vigilant même si nous savons que notre système bancaire du fait des décisions prises depuis une dizaine d’année par le régulateur s’est renforcé et fait preuve de résilience.
Comment le secteur privé communautaire réuni au sein de la CCR-UEMOA appréhende les perspectives d’évolution au sein de l’UEMOA ?
Les choses sont on ne peut plus claires pour nous : dans le contexte économique mondial post-pandémie de la Covid-19 et l’effectivité des transactions sous le régime de la ZLECAf, la finalité des actions des pouvoirs publics et des acteurs privés de l’Union doit prioritairement être le renforcement de la compétitivité et de la résilience du secteur productif et des économies. C’est ce fil rouge qui conduit l’action de la CCR-UEMOA, -organe consultatif de l’Union avec pour cadre d’action de donner des avis sur les législations sociales et économiques, les accords économiques et les politiques économique et monétaire de l’Union-, au cours de la mandature 2021-2024. La plupart des initiatives que l’institution a suggéré, ces derniers temps, à la Commission de l’UEMOA, au terme de ses réflexions, s’inscrit dans cette logique. Il en va de même des sujets sur lesquels la Commission, par l’entremise de ses Départements, a sollicité l’analyse du secteur privé communautaire. C’est dire si les pouvoirs publics communautaires et le secteur privé de l’Union ont une convergence de vue sur les enjeux majeurs pour le développement de notre communauté économique sous régionale.
Quels sont donc les projets ou sujets visant à renforcer la compétitivité et la résilience du secteur privé et de l’économie au centre des travaux de la Chambre consulaire régionale ?
Il faut savoir que pour nous, renforcer la compétitivité et la résilience des entreprises et des économies de notre Union revient à agir en faveur, d’une part, de la création ou du développement de plus valeur ajoutée localement par la transformation des matières premières ; d’autre part, de la modification de la structure du panier des exportations de nos pays par le développement de produits plus élaborés, et, enfin du renforcement des capacités productives des entreprises de notre espace communautaire.
Les projets structurants sur lesquels la CCR-UEMOA travaille aux fins de recommandations fortes aux hautes autorités de l’Union ont trait, entre autres, à l’enrichissement institutionnel de l’écosystème général de financement du secteur productif par un nouveau dispositif de financement assis sur les Caisses des Dépôts et Consignations (CDC) ou équivalent dans les Etats membres de l’Union au profit des très petites, les micro, les petites et les moyennes entreprises ou industries, les entreprises artisanales et structures agro-sylvo-pastorales. Nos pays sont pour la plupart dotés de CDC. Il s’agit de structurer une armature institutionnelle communautaire qui consacre leurs interventions au travers de filiales à caractère financier pour innerver les secteurs et sous-secteurs d’activités mal ou peu irrigués par le système bancaire et financier classique.
Lesdits projets structurants portent également sur la mise en place d’un Fonds structurel de soutien, de stabilisation, de relance et de reconstruction du secteur privé communautaire en cas de chocs économiques majeurs imprévus. On a tendance à n’appréhender que très faiblement le fait qu’au-delà de compromettre les trajectoires de croissance économique des Etats et de mettre à mal les finances publiques, les aléas majeurs imprévus lorsqu’ils surviennent affectent aussi et très gravement le secteur privé qui est le principal moteur de la croissance.
Un troisième projet, consiste en l’élaboration de la stratégie régionale de renforcement de la compétitivité des économies des Etats membres et du secteur privé de l’UEMOA dans le cadre de la mise en œuvre de la ZLECAf. La plupart de nos Etats ont élaboré leur stratégie nationale ZLECAf. Dans leur articulation, ces stratégies répondent à une question structurante, la même pour tous ces Etats : quelles conditions pertinentes mettre en place ou créer pour que notre économie tire le meilleur parti du marché unique continental ? Et cela emporte des réponses, en grande partie, institutionnelles. De manière complémentaire, dans le cheminement initié par la CCR-UEMOA, la question servant de trame est plutôt privé-centrée : quelles sont les capacités dont il nous faut, en tant qu’entreprises, nous doter pour tirer les meilleurs avantages des opportunités liées à l’unicité du marché africain ? Une approche qui nous place devant nos responsabilités !
Relativement à la création d’un Fonds structurel régional de soutien aux économies, on peut noter une forme de convergence de vue avec la Commission de l’UEMOA sur la feuille de laquelle il est fait cas de la mise en place d’un tel outil financier.
Le Président de la Commission de l’UEMOA, M. Abdoulaye DIOP, nous a donné l’occasion, à maintes reprises, de noter qu’il est très à l’écoute du secteur privé communautaire. Et cela est une bien belle aubaine pour la CCR-UEMOA qui dans son rôle d’organe consultatif, essaie, au mieux de ses capacités, d’accompagner de ses réflexions, avis et initiative, l’ambition majeur des Etats membres de l’Union portée par la Commission de l’UEMOA.
Ainsi, le Fonds de soutien et de stabilisation macroéconomique (FSM) sur lequel travaille ardemment la Commission, vise prioritairement à apporter un appui financier aux Etats de l’Union en cas de déséquilibres macroéconomiques importants consécutifs à des chocs endogènes ou exogènes. Il s’agit donc d’un dispositif pour accompagner essentiellement les Etats.
Nos réflexions à la CCR-UEMOA tendent à enrichir la perspective de la Commission en ce qu’elle élargit le champ d’intervention de cet outil, dont la nécessité, la pertinence et l’opportunité ne sont plus à démonter, pour qu’il couvre le secteur privé communautaire également.
Y aurait-il des raisons particulières qui justifieraient une extension du genre, d’un tel dispositif d’appui ?
Cette inclinaison tient beaucoup plus de la logique. En effet, comme je l’indiquais tantôt, les chocs économiques et sociaux imprévus affectent les finances publiques par le canal des entreprises. Quand les activités du secteur productif sont compromises, cela se traduit par une baisse des recettes des États. Ainsi face aux catastrophes exceptionnelles, Etats et Entreprises sont logés à la même enseigne. Nous travaillons donc, à fournir aux pouvoirs publics communautaires, des informations sur l’intérêt, la pertinence, l’opportunité et la faisabilité d’un dispositif structurel d’accompagnement des entreprises.
Ainsi, dans une belle dynamique de rôle partagé et complémentaire, le Département des Politiques Économiques (DPE) de la Commission est à la manœuvre pour mener à bien une étude d’opportunité et de faisabilité pour la création du FSM ; et nous, la CCR-UEMOA nous en faisons de même mais en nous focalisant sur l’opportunité, la pertinence et la faisabilité d’un ciblage du secteur privé. Au final la Commission disposera d’un matériel d’analyse suffisamment riche et couvrant les segments public et privé pour bien dimensionner ce Fonds structurel communautaire qui, pour nous, est à priori, plus que nécessaire pour renforcer la résilience de nos économies et nos entreprises.
Quels sont les chantiers majeurs de la CCR-UEMOA pour l’année 2023 ?
Cette année, qui est quelque part, la dernière année plein de notre mandature, avant de passer le flambeau à la Guinée-Bissau, est placée à la CCR-UEMOA, sous le signe des résultats. Ainsi, les différentes études appuyant les principaux projets structurants, dont je vous ai fait part de certains, vont être livrées et les conclusions portées aux autorités décisionnaires de l’UEMOA ; un répertoire des actes législatifs communautaires régissant les activités économiques au sein de l’UEMOA, sera mis à la disposition des entrepreneurs avec en appui, une base de données des textes ; nous allons tenir un Forum économique et de coopération pour favoriser des partenariats pouvant contribuer à renforcer la résilience du secteur privé communautaire.
Notre sous région est en proie à de nombreux défis structurels dont la forte exposition de nos économies aux chocs extérieurs, l’instabilité politique et sécuritaire et le déficit de financement adéquat n’en sont pas les moindres. Face à cet état de faits, renforcer la compétitivité et la résilience du secteur privé et par ricochet les économies de l’Union, demeurera une solution décisive ! Comme on aime bien le dire, à la CCR-UEMOA « un secteur privé fort, pour une Union forte »