En faisant main basse sur Afriland First Bank CD et sur la mine d’or d’une valeur de 2 milliards $, des proches du président Félix Thisekedi ont terni l’image d’un pays qui se veut réformateur. Enquête.
François Beya, qui s’en souvient ? Le tout-puissant conseiller du président Félix Tshisekedi, incarcéré à la prison de Makala entre avril et août 2022 pour des « agissements contre la sécurité nationale », a été libéré sous caution avant de se rendre à Paris pour suivre des soins médicaux. Même guéri, on doute qu’il revienne à Kinshasa de sitôt. Quelle ironie du sort pour celui qui était depuis 2019 le conseiller du Président de la république en charge de la sécurité ! Mais parlant d’ironie du sort, il y a plus. En novembre 2021, soit deux mois seulement avant son arrestation, François Beya avait émis un mandat d’arrêt contre Fortunat Biselele (autre conseiller du même Fatshi et ami de longue date) donné alors en fuite au Rwanda.
Le contexte de la diffusion de la rumeur de la fuite de Fortunat Biselele, conseiller privé de Fatshi est marqué par l’affaire de la mine de l’Ituri, quand la presse apprend qu’un réseau organisé par Fortunat Biselele avait fait main basse sur une mine d’or de l’Etat située dans l’Ituri. Outre Fortunat Biselele, le prête-nom Amira Mining abrite plusieurs acteurs du pouvoir kinois : Guy Loando Mboyo, ancien sénateur et ministre de l’Aménagement du territoire ; Gaston-Thethe Kabwa Kabwe, avocat et ex-conseiller sécurité de Félix Tshisekedi ; Souaibou Abary, Patrick Kafindo (à l’époque respectivement directeur général et directeur général adjoint d’Afriland First Bank CD), Déogratias Mutombo, alors gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC)…
Fortunat Biselele et son réseau avaient consacré la somme de 20 millions de dollars irrégulièrement prélevée d’un compte d’Afriland First Bank CD pour acheter cette mine d’or valant près de 2 milliards de dollars. En effet, tout commence le 3 août 2020 quand le prête-nom Amira Gold se voit octroyé un compte bancaire sans dépôt dans les livres d’Afriland First Bank CD qui aurait été ouvert en violation de toutes les règles de formalité d’usage. Selon les documents en notre possession, entre le 16 septembre 2020 et le 30 juin 2021, Souaibou Abary et Patrick Kafindo débitent un compte interne de la banque et créditent Amira Gold ; ce qui signifie clairement que l’argent appartenant à la banque est volé et déposé dans le compte d’Amira Gold. Puis, les gérants d’Amira Gold et d’autres membres du réseau Fortunat Biselele décaissent les fonds portés au crédit du compte d’Amira Gold. Le total des fonds décaissés à la banque par ce mécanisme avoisinerait 35 millions de dollars.
Le président du conseil d’administration de la banque Joseph Toubi, alerté par le commissaire aux comptes s’en rendra compte et suspendra, dès le 1er juillet 2020, Souaibou Abary à titre conservatoire, le temps de mener des enquêtes. Il n’en faudra pas plus pour que le réseau Biselele se mette en branle. Déogratias Mutombo révoque la suspension à titre conservatoire de Souaibou Abary et suspend abusivement le président de la banque. Commence alors une cabale contre la banque : décapitation du conseil d’administration, nomination d’un conseil de surveillance rapprochée au sein de la banque ; chantage ; détournements de fonds massifs ; mise sous administration provisoire, refus de toute communication avec le conseil, l’actionnaire de référence, l’assemblée des actionnaires. La BCC reste sourde aux alertes d’un groupe d’actionnaires majoritaires. L’autorité de l’Etat refuse d’appliquer la décision de justice devenue définitive et nommant un administrateur provisoire. Dans la foulée, la BCC, par sa gouverneure, nomme un comité d’administration provisoire en lieu et place d’un administrateur provisoire, violant ainsi impunément la loi bancaire.
Les manœuvres portent leur fruit sans tarder car la trésorerie de la banque se dégrade considérablement. Mais le rapport officiel publié par la BCC en août 2021 présente la situation du marché bancaire au 30 juin 2021. On y apprend qu’Afriland First Bank CD occupait la 7ème place sur un total de 15 banques commerciales. Elle disposait de 9,12% des parts de marché du crédit et de 3,3% des parts du marché des dépôts. La BCC affirme dans ce rapport officiel que les fonds propres d’Afriland First Bank CD s’élevaient à 48,05 millions USD à cette date-là. Selon le propre rapport de la BCC, Il s’agit d’une situation largement satisfaisante. La BCC affirme elle-même que sur un total de 15 banques opérant sur le marché congolais, 7 sont loin du minimum de fonds propres requis qui, à cette date, est de 30 millions USD.
Dès le 1er juillet 2021, la BCC décapite les instances de gouvernance d’Afriland First Bank CD et prend en charge la gestion de la banque à travers une équipe de surveillance rapprochée et plus tard un comité d’administration provisoire respectivement. Aujourd’hui, la banque n’est plus que l’ombre d’elle-même. On apprend en lisant la lettre adressée par Marie-France Malangu Kabedi Mbuyi, la gouverneure de la BCC le 17 mars 2022, que les besoins financiers – à cette date-là – de la banque à 90 millions USD ! Comment en est-on passé en un an et demi de 48 millions de fonds propres positifs à un trou de 90 millions ?
Tout est clair : si le réseau Biselele a fait main basse sur Afriland First Bank CD, c’était pour dissimuler les traces des décaissements que ses membres ont effectués de façon frauduleuse pour acquérir la mine de l’Ituri, une affaire qui avait été révélée en son temps par des media internationaux. En effet, une enquête d’Africa Intelligence publiée le 10 janvier 2022 sous le titre « Les minerais du sérail ou comment un conflit minier affole le premier cercle de Félix Tshisekedi » a rendu compte des enquêtes menées par François Beya. On apprendra alors que ce dernier avait réuni tant de faits accablants qu’il avait interdit à Fortunat Biselele de sortir du territoire congolais, exception faite des séjours en compagnie du président de la république.
Si Fortunat Biselele séjourne bel et bien à la prison de Makala depuis janvier 2023, ce n’est pas du fait des révélations accablantes de la presse et des preuves réunies par François Beya suite au scandale d’Amira Gold. Il n’est pas inculpé de détournement de fonds, mais plutôt de « trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l’État et propagation de faux bruits ». C’est dire si, à l’heure actuelle, en dépit des preuves suffisamment graves, personne n’a été appelé à répondre de la main basse sur Afriland First Bank CD. Lancé sur une dynamique positive de financement de l’économie, tant au niveau formel quand des milieux défavorisés, cette banque a été sacrifiée à l’autel de la cupidité du premier cercle de Fatshi, sous le silence coupable et complice de ce dernier. Mais, quand on y pense, force est de se rendre compte que ce n’est pas une banque qui est sacrifiée, c’est l’épargne du public qui est sacrifiée et surtout un pan de l’économie qui est ainsi privée d’ingénierie en matière de financement. Comme quoi tout est permis au Far West.