Malgré le contexte macroéconomique tendu, la croissance de l’écosystème tech africain ne faiblit pas. En 2022, les startups africaines ont enregistré une progression de 8 % des fonds reçus auprès des investisseurs par rapport à l’année 2021, selon les conclusions du rapport PartechAfrica Tech Venture Capital 2022. Crise des liquidités ou non, le contexte reste porteur pour le continent, qui attire de nombreux fonds d’investissements étrangers. « La période actuelle est celle d’une fuite vers la qualité », estime Melvyn Lubega, du fonds d’investissement français Breega, qui a récemment accéléré ses investissements en Afrique.
Des signaux encore au vert
C’est une résilience qui étonne de nombreux observateurs. Déjà, après la crise sanitaire, la bonne santé des économies africaines et le maintien de taux de croissance élevés avaient surpris des économistes, qui s’attendaient à une catastrophe trop souvent annoncée. Et le numérique n’échappe pas aux bonnes nouvelles. Malgré un contexte international de repli des investisseurs, de raréfaction des liquidités et d’inflation qui n’en finit pas, la Tech africaine reste encore dans le vert et a réussi à attirer 1 149 investisseurs uniques en 2022, soit une hausse de 29 % en rapport à l’année 2021. Avec 6,5 milliards de dollars levés, les startups africaines battent ainsi un nouveau record, confirmant une tendance lourde depuis plusieurs années. Les géants de la Tech ont en effet compris que le continent pouvait constituer demain un potentiel eldorado et y ont multiplié les implantations physiques. Facebook a ainsi installé à Lagos, au Nigéria, un nouvel incubateur high-tech en 2018, tandis que Google a choisi le Ghana pour y ouvrir l’un des nombreux laboratoiresd’intelligence artificielle qui commencent à essaimer sur le continent. Un intérêt renforcé aussi chez les grands groupes internationaux, comme le Japonais Sumitomo ou les Français Total, Axa et Orange, qui s’imposent désormais comme des investisseurs de premier plan pour les jeunes pousses africaines.
Autre point de satisfaction, la féminisation des filières numériques se poursuit à un rythme de croisière, tout en restant très insuffisante en rapport aux standards internationaux. La part de startups créées par des femmes a ainsi grimpé de 2 points, passant de 20 % en 2021 à 22 % à 2022, tandis que certains pays, comme le Kenya ou le Nigéria, apparaissent comme particulièrement en pointe sur cette problématique. Un enjeu d’importance, estime-t-on chez Breega. « Quand vous incluez une perspective de genre dans vos décisions d’investissement, vous finissez par obtenir des rendements plus élevés », explique Melvyn Lubega qui précise que « parmi (leurs) premiers investissements, plus de la moitié avaient une cofondatrice ». Une affirmation confirmée par les études scientifiques, qui soulignent qu’intégrer des femmes au plus haut niveau décisionnel des organisations est un vecteur d’amélioration des résultats des entreprises.
Des premiers nuages noirs qui s’amoncellent ?
Mais l’Afrique reste loin d’être monolithique et, à l’échelle du continent, les inégalités entre pays restent systémiques. « Les investissements ont été historiquement concentrés dans quatre pays anglophones, le Kenya — organisateur du dernier AfricaTech Summit —, le Nigéria, l’Égypte et l’Afrique du Sud », explique Melvyn Lubega. En 2017, par exemple, ces quatre pays accaparaient 84 % des financements. Les pays francophones sont, quant à eux, loin derrière, malgré un satisfecit pour l’Algérie, la Tunisie et le Sénégal, qui ont respectivement capté 150 millions, 117 millions et 105 millions d’investissements en 2022. Si certains pays ont en effet déjà pris de l’avance et fourbissent leurs armes pour remporter la course à la Silicon Valley africaine, d’autres rattrapent leur retard. Le Rwanda jouit d’un volontarisme politique marqué et s’affirme comme un « pays-numérique » à l’origine de l’Alliance Smart Africa. L’Algérie, qui a organisé en décembre dernier l’African start-up conference, souhaite suivre une voix similaire. Deux évènements rivaux qui démontrent aussi que, sur le plan des technologies numériques, les manœuvres d’influence entre États se déploient au grand jour.
Mais gare à l’excès d’optimisme, estiment les fins connaisseurs du continent. Tout n’est en effet pas rose pour autant et l’Afrique n’échappe pas à la sinistrose qui frappe les acteurs technologiques mondiaux. Depuis plusieurs mois, plusieurs géants implantés sur le continent, comme Wave, Swvl ou encore 54Gene ont commencé à licencier à tours de bras. Malgré les perspectives de croissance, les spécialistes du secteur restent lucides : à terme, la tech africaine a vocation à changer de prisme et suivre la tendance mondiale, dont les maîtres-mots sont prudence et retour aux fondamentaux. « Les entrepreneurs vont désormais se concentrer sur certains fondamentaux clés de l’entreprise, comme la positivité des flux de trésorerie ou la rentabilité. Ces aspects sont restés trop longtemps marginaux, quand la croissance à tout prix était encore au cœur de la stratégie des entrepreneurs », affirme Melvyn Lubega.
Fintech, Greentech… : des secteurs porteurs pour le continent
Mais malgré le contexte, le continent continue de s’affirmer comme un immense terrain de création pour les startupers et d’accompagnement pour les fonds d’investissement. Près de 8 jeunes Africains sur 10 sont intéressés par l’entrepreneuriat, la force de travail y est abondante et de plus en plus formée et les besoins des populations africaines sont nombreux ettransversaux. « Il s’agit davantage de savoir où nous voyons l’opportunité de créer un impact et, en fin de compte, de capturer la valeur créée en résolvant les problèmes auxquels nous sommes généralement confrontés », affirme ainsi Melvyn Lubega. Pour orienter ses choix d’investissement, Breegaaffirme par exemple que « les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies constituent notre angle d’approche ». Et bonne nouvelle, les potentialités ne manquent pas pour les fonds d’investissement à impact : Agritech, EdTech, Healthtech, Fintech ou encore Greentech.La liste des besoins auxquels peuvent contribuer à répondre les startups est potentiellement illimitée. « Dans chacun des secteurs dans lesquels nous investissons, il faut s’attacher à créer de la durabilité », estime Melvyn Lubega.
Ces filières ont d’ailleurs la sympathie des investisseurs. Dans un rapport publié en février, AfricArena, un accélérateur d’entreprises technologiques, a calculé que les startups spécialisées dans la lutte contre le réchauffement climatique avaient levé 1,17 milliard de dollars en 2022. Dans le domaine de la Fintech, le nombre de startups a grimpé de 81 % entre 2019 et 2021, pour atteindre aujourd’hui le nombre de près de 600 jeunes pousses, selon les données du groupe Mastercard. Les financements relatifs aux Fintech ont connu une croissance tout aussi phénoménale entre 2021 et 2022, avec une hausse de près de 900 %, pour atteindre 1,56 milliard de dollars levés. Et les perspectives de croissance sont pour le moins flamboyantes. Le cabinet McKinsey prévoit ainsi une multiplication par 8 du revenu cumulé des fintechs africainesen 2025, en rapport à l’année 2020. Raison de ce succès ? « Il y a une grande partie de la population non bancarisée », affirme Melvyn Lubega qui poursuit : « Comprenons pourquoi ils ne sont pas bancarisés et nous pourrons ensuite répondre à leurs besoins là où ils se trouvent ». Autres secteurs en croissance : CleanTech et HealthTech ont aussi vu leurs investissements grimper très fortement.
Et demain ? Malgré le contexte, l’espoir est permis pour l’écosystème numérique africain. Et ce, malgré les nombreux freins encore à lever. Difficultés persistantes d’accès au financement, connectivité à internet parfois défaillante ou encore soutien trop partiel des pouvoirs publics minent encore le plein déploiement du secteur numérique continental. L’arrivée de nombreux fonds occidentaux et asiatiques sur le continent devrait déjà contribuer à libérer l’investissement et permettre l’émergence opérationnelle de nombreux acteurs. C’est en tout cas l’une des missions avouées de Breega et de ses concurrents implantés en Afrique : « À long terme, je voudrais que Breega soit un partenaire de premier plan pour les innovateurs africains ambitieux qui s’attachent à répondre aux besoins du continent », conclut Melvyn Lubega.