Une chronique de professeur Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international docteur d’Etat.
L’Afrique en ordres dispersés dans le nouvel ordre géostratégique et économique mondial.
Concernant le volet géostratégique et la stabilité de la région du Sahel, face aux tensions géostratégiques dans le monde, chaque pays a des positions spécifiques, la majorité des pays d’Afrique ont opté pour une position de neutralité en privilégiant le dialogue face aux tensions internationales.
Face aux facteurs économiques et sécuritaires précédents, l’Afrique du fait de ses importantes richesses inexploitées, est un enjeu du XXIème siècle, expliquant les rivalités des grandes puissances et de certaines puissances émergentes qui peuvent déstabiliser ce continent où les tensions au Mali, en Libye et récemment au Soudan en sont l’illustration, n’étant pas étrangères à ces rivalités. Pour preuve, le regain d’intérêt des USA et de l’Europe en direction de l’Afrique sans oublier les tensions en Asie ( cas de Taiwan) rentre dans le cadre des rapports de force au sein de la nouvelle carte géostratégique mondiale où, à l’horizon 2030, on devrait assister soit à des rivalités ou à une coopération entre les deux plus grandes puissances économiques mondiales (Chine et USA) avec le partage des zones d’influence.
La population de l’Afrique est passée de 100 millions d’habitants en 1900 à environ 275 millions dans les années 1950-1960, puis à 640 millions en 1990 et à 1,4 milliard en 2022 soit 18 % de la population mondiale avec un quart à l’horizon 2035/2040. Ce serait une erreur politique de considérer l’Afrique comme un ensemble à l’homogène, il n’y a pas une Afrique mais des Afriques avec des spécificités économiques et culturelles inter et intra-régionales du fait du poids de l’histoire, expliquant certains conflits ethniques et des frontières souvent tracées par les anciennes puissances coloniales.
Le PIB de l’Afrique devrait passer de 2 980,11 milliards de dollars en 2022 . Un niveau agrégeant 55 pays qui ne représente que 12% du PIB des USA. Le produit intérieur brut du continent est néanmoins en forte progression, devant atteindre 4 288,08 milliards de dollars en 2027, soit une hausse de 43,89%. Mais bien que les exportations africaines de biens et services aient enregistré une croissance particulièrement rapide au cours des dix dernières années, elles ne représentent qu’à peine 3 % du commerce mondial en 2022, loin de ses importantes potentialités. Les raisons de ce faible niveau sur la scène économique internationale sont multiples. A commencer par la faiblesse de l’intégration du continent illustrée par un commerce intérieur dans l’ordre de 11 à 12% de ses échanges globaux contre 60% pour les pays de l’Union européenne.
Il est utopique pour l’instant de parler d’intégration de tout le continent Afrique, mais de sous intégrations régionales, l’important est de dynamiser des effets économiques de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) afin de stimuler la croissance, de réduire la pauvreté et d’élargir l’inclusion économique dans les pays concernés.
Le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et l’élargissement au niveau des BRICS auront un impact sur la reconfiguration géostratégique mondiale, s’orientant vers un monde multipolaire. Les Brics représentent 42 % de la population de la planète (3,2 milliards de personnes) et environ 25 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Cet ensemble est composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud avec comme leader la Chine. A lui seul, l’Empire du Milieu pèse 72% du PIB des BRICS. D’autres pays ont proposé leur adhésion soit comme membre plein ou à tire d’observateur. L’on peut ainsi citer sans être exhaustif l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, l’Iran, l’Egypte, l’Argentine, le Mexique, le Nigéria et l’Algérie.
Les BRICS arriveront-ils à challenger la domination américaine ? En 2022, l’Oncle Sam était toujours la première puissance économique mondiale avec un PIB dépassant 24.000 milliards de dollars pour une population d’environ 333 millions d’habitants. L’Europe y compris le Royaume Uni, pèse 520 millions d’habitants pour un PIB de plus de 17.000 milliards. Les deux ensembles pèsent pour moins d’un milliard d’habitants accaparant environ 40% du PIB mondial estimé en 2022 à environ 100.000 milliards de dollars. Mais paradoxe, les Brics ne disposent que de 15 % des droits de vote à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI). Avec les nouvelles adhésions, le PIB des Brics, étant à l’origine de plus de 50 % de la croissance économique mondiale au cours des dix dernières années, pourrait passer de 25% en 2022 à entre 30 et 35% sur la période 2025-2030.
En conclusion, il faut être pragmatique et réaliste : dans les relations internationales et surtout économiques, il n’existe pas de fraternité ni de sentiments. Il n’y a que des intérêts. Le devenir de l’Afrique, continent à très fortes potentialités, sera ce que les Africains voudront qu’il soit. Les pays du continent devront améliorer leur gouvernance et valoriser le savoir, fondement du développement des Nations du XXIème siècle. Les opérateurs – qu’ils soient arabes, algériens, chinois, russes, français ou américains – ont pour objectifs de réaliser le profit maximum. Il appartient donc à l’Etat régulateur de concilier les coûts sociaux et les coûts privés et de concilier l’efficacité économique et une profonde justice sociale face à ces inégalités tant internes que planétaires.