Par Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international, docteur d’ Etat en sciences économiques.
Après avoir connu des sommets à l’été 2022, où il a dépassé les 130 dollars, le baril de pétrole brut est aujourd’hui bien plus abordable. Le 1er juin, le Brent se négociait à 72 dollars le baril. Le WTI, lui, s’achetait autour de 68 dollars, un prix proche de mi-mars dernier, quand certains pays de l’Opec+, dont l’Arabie saoudite, avaient annoncé par surprise des baisses de production à partir de mai 2023. Le 04 juin 2023, les prix du pétrole ont poursuivi leur hausse suite à la réunion de l’Opep+ , de solides chiffres de l’emploi américain et l’impasse de la dette surmontée, mais parallèlement . une forte hausse des réserves commerciales de pétrole brut aux USA limitant l’accélération de la hausse des cours à 13h Gmt 76,40 dollars le Brent et 71,87 dollars le Wit avec une cotation euro dollar de 1,0708, contre 1,10 dollars un euro auparavant , ayant ajouté 2 à 3 dollars l’augmentation du cours du pétrole.
Quant au gaz naturel, le cours a subi une importante baisse en référence au début de la guerre en Ukraine qui avait dépassé les 300 dollars le mégawattheure. Celui-ci étant coté à moins de 50 dollars début juin 2023.
1.- Le premier facteur qui détermine le prix du pétrole est la croissance de l’économie mondiale et les tensions géostratégiques. Aucun expert ne peut prévoir au-delà de 2025 du fait d’importantes nouvelles mutations du modèle de consommation énergétique.
Pour 2023, selon l’AIE, la demande pétrolière mondiale va augmenter à environ de 2,2 millions de barils/j soit 102 de millions de barils par jour en moyenne, ce qui permettrait de stabiliser les cours. Les tensions en Ukraine ont exacerbé les tensions énergétiques qui ont influencé la hausse des taux d’inflation élevé dans la zone euro et aux États-Unis. L’inflation a atteint en 2022, un taux de 6,6% dans les pays avancés et 9,5% dans les pays émergents et les pays en développement.
Conséquences : un durcissement des conditions financières mondiales dont le relèvement des taux d’intérêts qui a d’ailleurs accru l’endettement e bon nombre de pays en voie de développement et ont eu un impact négatif sur le taux de croissance, avec des perturbations des chaînes d’approvisionnement. Cependant, existent des données contradictoires pour les prévisions de 2023, où selon la Banque Mondiale et le FMI , les trois locomotives de l’économie mondiale, à savoir la Chine (20% du PIB mondial et 72% du total du PIB des BRICS ) , l’Europe et les USA 40% du PIB mondial) soit au total 60% du PIB mondial. Les USA aurait un taux de croissance seulement de 1,4% en 2023 contre 2, 6% en 2022, la zone euro , 0,9% en 2023 contre 3,5% en 2022, l’inde 7% contre 9% en 2022, et seule la Chine échappe à ce scénario avec 4,8 % en 2023 contre 3,2 % en 2022, mais loin des taux de croissance de 7/8% du passé pour absorber la demande d’emploi du fait de la forte croissance démographique.
Les bourses seront attentives donc à l’évolution de l’économie chinoise, le plus gros importateur de pétrole où selon le Consensus Bloomberg de décembre 2022, l’économie chinoise ferait en effet face à quatre défis majeurs en 2023 : premièrement , malgré l’annonce de l’abandon de la stratégie «zéro Covid», la nouvelle vague de contaminations constitue une réelle menace et devrait retarder la reprise de la consommation privée; deuxièmement, la crise immobilière, qui a éclaté fin 2021, s’est amplifiée en 2022 et continuerait de peser sur l’activité en 2023; troisièmement, après un important soutien public en 2022, les marges de manœuvres des autorités budgétaires et monétaires ne semblent pas aussi larges qu’il n’y paraît et quatrièmement les incertitudes au niveau local interrogent sur les chiffres de croissance en Chine, le contexte international pourrait se traduire par un fort ralentissement de la demande externe.
2.- Le deuxième facteur, est l’action de l’OPEP+. Qui regroupe 23 pays dont 13 membres de l’OPEP qui sont par ordre décroissant de production de pétrole: Arabie Saoudite, Irak, Émirats arabes unis, Iran, Koweït, Nigeria, Libye, Algérie, Angola, Venezuela, République du Congo, Gabon et la Guinée équatoriale. Les dix autres pays dans le cadre de l’OPEP+ sont la Russie, le Mexique, le Kazakhstan, Oman, Azerbaïdjan, la Malaisie, le Bahreïn, Brunei, le Soudan et le Soudan du Sud. Cette organisation avait en octobre 2022 décidé de réduire sa production de pétrole de 2 mb/j par rapport au niveau de production nécessaire d’août 2022, ce qui correspond à une réduction de 4,5 % de l’offre totale du groupe, dans le but de soutenir les prix du pétrole qui ont chuté en raison des craintes de récession. L’OPEP+ avec la Russie représentent plus de 50% de la production mondiale, et sans la Russie environ 35%. Ces derniers mois, l’organisation a retiré des volumes de pétrole importants du marché, autour de trois millions de barils par jour, ayant réussi à fournir une relative stabilité aux prix, évitant un cours inférieur 70 dollars.
Rappelons que trois pays ne sont pas soumis aux quotas , le Venezuela, la Libye et l’Iran. Exemple , la Libye a 42 milliards de barils de pétrole de réserves, pouvant produire sous condition d’une stabilisation politique plus de 2 millions de barils/j plus de 1.500 milliards de mètres cubes gazeux, pour une population ne dépassant pas 6,5 millions d’habitants et de l’Irak (3,7 millions de barils jour, un grand réservoir mondial à un coût de production inférieur à 20% par rapport à ses concurrents, pouvant aller vers plus de 5/6 millions/jour).
A ces deux pays, s’ajoute l’Iran (s’il y a accord sur le nucléaire, ayant des réserves de 160 milliards de barils de pétrole lui permettant facilement d’exporter entre 4/5 millions de barils/jour de pétrole et ayant le deuxième réservoir de gaz traditionnel mondial, plus de 30.000 milliards de mètres cubes gazeux).
Le troisième facteur, les sanctions contre la Russie par l’OTAN ont fait que le prix du pétrole est cédé à un prix plus bas que celui du marché notamment vers la Chine et l’Inde ce qui accentue la baisse sur les prix .
Le quatrième facteur, du côté de l’offre, nous assistons à une hausse plus rapide que prévue de la production de pétrole (non conventionnel) des USA qui a bouleversé toute la carte énergétique mondiale, étant devenue le plus grand producteur au monde avec plus de 11 millions de barils/j avant l’Arabie Saoudite et la Russie ( 10 millions de barils/j avec les réductions au sein de l’OPEP+).
Les gisements de pétrole et gaz de schistes moyens américains affichent une rentabilité de 60 dollars pour les petits gisements, 40 dollars pour les gisements moyens et 30 dollars pour les grands gisements. Selon The Telegraph, les Etats-Unis devraient pénétrer fortement le marché mondial avec des quantités sans précédent de gaz naturel liquéfié (GNL) ; 30 projets sont en cours de réalisation grâce au gaz et pétrole de schiste pesant ainsi sur le marché mondial du GNL.
Le cinquième facteur , en plus de l’important gisement qui est entré en production au Kazazthan, fin 2016, l’entrée de nouveaux producteurs, les nouvelles découvertes dans le monde en offshore, notamment en Méditerranée orientale (20.000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région) ainsi qu’ en Océan Arctique qui contiendrait 13 % du pétrole et 30 % du gaz naturel au niveau mondial, donc de futures tensions géostratégique à prévoir au niveau de cet espace, et en Afrique, dont le Mozambique, (plus de 4500 milliards de mètres cubes gazeux) qui pourrait être le troisième réservoir d’or noir en Afrique.
Le sixième facteur, l’évolution des cotations des monnaies. En janvier 2021, la part de l’euro dans les paiements mondiaux s’élevait à 38 %, l’euro faisant ainsi jeu égal avec le dollar. Quant à la part de l’euro dans les avoirs de réserves de change, elle était d’environ 20 % en juin 2020 tandis que celle du dollar américain se situait aux alentours de 60 %.
Le septième facteur déterminant entre 2025/2030, le nouveau modèle de consommation énergétique mondial qui aura un impact sur les prix actuels, l’investissement en 2022 dans les énergies alternatives ayant été supérieur aux investissements dans les énergies fossiles classiques) afin de lutter contre le réchauffement climatique poussant les grands pays -Inde, Chine, USA, Europe- à accélérer la transition énergétique. Il est prévu sur les 30 prochaines années 4.000 milliards de dollars par an d’investissement dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, avec une prévision de réduction de /40/50% de la consommation des énergies fossiles, surtout le pétrole, et à un degré moindre le gaz moins polluant à l’ horizon 2030. L’énergie de l’avenir horizon 2030/2040 étant l’hydrogène où la recherche développement connaît un réel essor..
Quelles conclusions tirer ? Les enjeux géostratégiques mondiaux et le nouveau modèle de consommation devront faire émerger un nouveau pouvoir mondial à l’horizon 2030. Selon bon nombre d’experts, afin d’éviter une accélération de l’inflation mondiale via le prix de l’énergie, pénalisant les pays mono exportateurs de pétrole avec l’accroissement de leur facture d’importation, et surtout les pays pauvres doublement pénalisés, prix de l’énergie et facture alimentaire, mais qui ne pénalise pas aussi les pays les pays producteurs, l’investissement étant lourd et à maturation lente, devant avoir un taux de profit raisonnable, le prix d’équilibre pourrait varier selon le taux d’inflation mondial entre 70/85 dollars le baril.