C’est une page de l’histoire politique du Cameroun de ces trois dernières décennies qui se tourne avec le décès du leader du Social Democratic Front (SDF), John Fru Ndi, survenu le 12 juin 2023 à Yaoundé à l’âge de 82 ans.
L’information a été confirmée dans un communiqué du parti : « c’est avec tristesse que nous annonçons le passage à la gloire éternelle du président national du Front social démocratique (SDF) S.E. Ni John Fru Ndi ce 12 juin à 23h30 à Yaoundé des suites d’une longue maladie ».
Ancien militant du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), John Fru Ndi démissionnera de ce qui était alors le parti unique pour lancer en mai 1990, le SDF. La légalisation des premiers partis politiques avec le retour au multipartisme en 1991 fera directement du SDF, le principal parti de l’opposition. Cela se traduira lors de l’élection présidentielle de 1992, lorsque Fru Ndi, candidat de cette formation politique et de la coalition de l’opposition, remportera 36% des voix, distancé de peu par le président Paul Biya crédité de 40% des voix. Un résultat que contestera l’opposition, pour qui, malgré « la fraude opérée par le camp présidentiel », le candidat de la coalition devrait être le « vrai » vainqueur dudit scrutin. Dans ces années de braise, Fru Ndi sera reçu à la Maison Blanche en marge de l’investiture du président américain Bill Clinton à la grande joie de ses partisans.
Pendant que soufflait le vent du changement en Afrique en prolongement au vent d’Est en Europe, l’opposition tiendra le pays en haleine pendant près de trois ans pour exiger la tenue d’une conférence nationale souveraine alors en vogue à travers le continent. Cette opposition maintiendra également la pression à travers la désobéissance civique avec l’organisation des « villes mortes », donnant l’impression d’une sorte de bicéphalisme dans le pays notamment dans les localités acquises à l’opposition. Dans la foulée, John Fru Ndi et le SDF s’enracineront dans l’International socialisme avec des compagnons de « lutte » à l’instar de Laurent Gbabo ou d’Apha Condé qui deviendront respectivement président de la Côte d’Ivoire et de la Guinée.
Dès lors, Fru Ndi s’imposera comme le principal leader de l’opposition camerounaise, en dépit d’une « erreur politique » qui avait amené le SDF à boycotter les élections législatives en 1992, favorisant l’émergence de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) et du parti nationaliste, l’Union des populations du Cameroun (UPC). Le chairman du SDF sera encore candidat en 2004 et 2011, gardant toujours la deuxième position derrière le chef de l’Etat Paul Biya. Entretemps, le SDF réussira à conquérir des élus, en l’occurrence, les députés et les conseillers municipaux dans plusieurs régions au point de faire du Nord-ouest, du Sud-ouest, de l’Ouest, voire du Littoral, ses principaux bastions. C’est l’époque des grands meetings populaires avec des slogans qui semblaient faire recette dont le fameux « Paul Biya must go » (Paul Biya doit partir) …
Rapprochement avec le pouvoir
Les deux dernières décennies ont été marquées par un rapprochement, suite au tête-à-tête entre le président Paul Biya et John Fru Ndi. Un acte politique d’apaisement que ses détracteurs assimileront comme une manière pour l’opposant d’entrer dans « la mangeoire ». Le veau qu’il offrit au président de la République en guise de cadeau lors du Comice agro-pastoral d’Ebolowa en 2011 donna lieu à toutes sortes de commentaires. Il est vrai, l’on constatera que le naguère farouche opposant au régime « corrompu et néo-colonial » tempérera ses prises de position acerbes contre le pouvoir, d’autant que Fru Ndi multipliera des sorties au Palais de l’Unité lors des événements d’envergure à l’instar de la Fête nationale ou lors des victoires à l’échelle continentale de l’équipe nationale fanion du football, les Lions indomptables du Cameroun.
A l’instar d’une autre grande figure de la nation, l’archevêque émérite de Douala, le Cardinal Christian Tumi décédé il y a deux ans, John Fru Ndi n’a pas pu malheureusement contenir l’ivresse des partisans de la sécession. Toutefois, sa participation au Grand dialogue national (GDN) en 2019 traduit son indéfectible attachement pour un Cameroun indivisible, même si sa préférence de la forme de l’Etat a toujours été le Fédéralisme. Si sa stature d’homme d’Etat fait l’objet des dissensions car en dehors du parti, on ne lui reconnait pas mandat électif obtenu lors d’un scrutin organisé à l’échelle nationale, aussi bien des élections législatives, sénatoriales, municipales ou de conseillers régionaux, John Fru Ndi restera un homme politique qui a marqué son temps.
Charismatique pour les uns, dictateur pour les autres, Jonh Fru Ndi aura marqué son passage à la tête du SDF tenu d’une main de fer depuis 33 ans à travers des exclusions récurrentes du plus petit militant aux pontes du parti. Son dernier fait d’arme est, sans doute, l’exclusion en début d’année d’une trentaine de cadres ; un acte politique qualifié par des observateurs comme étant un moyen pour ce vétéran de la politique de baliser le chemin à son « héritier », en l’occurrence, le député Joshua Osi, 1er vice-président national du SDF et candidat de cette formation politique lors de la présidentielle de 2018, par ailleurs signataire du communiqué annonçant le décès du chairman. Au-delà des structures et organes du parti devant favoriser un fonctionnement optimal du parti, la succession de Fru Ndi à la tête du SDF est loin d’être un long fleuve tranquille. L’organisation de ses obsèques pourrait déjà permettre de lever le voile de ce qu’adviendra le SDF post Fru Ndi.
Agriculteur, opérateur économique et homme de culture, John Fru Ndi était également un dirigeant sportif pour avoir longtemps dirigé le PWD de Bamenda, l’une des équipes du football les plus populaires du pays. Avec son décès, le Cameroun perd indéniablement l’un des principaux acteurs politiques des trois dernières décennies, probablement le dirigeant politique le plus emblématique hormis l’inégalable Paul Biya.