Par Joseph Helmut ESSONO, Cadre de Banque & Expert en Management de Projets.
Les changements climatiques sont une réalité qui impacte la planète dans son ensemble, avec des conséquences multiples. Les plus en vue de ces dernières portent sur la diminution de la disponibilité en eau, la baisse des rendements des cultures, l’augmentation des risques de sécheresses et de perte de la biodiversité, les incendies de forêt, les vagues de chaleur…etc. Ces variations des températures et des conditions météorologiques sur le long terme, imposent à l’homme une adaptation, qui peut aller carrément jusqu’à la refonte de certains secteurs d’activités.
Le secteur financier n’échappe pas à cette réalité, car il doit non seulement apporter une réponse à la montée importante des risques financiers liés au réchauffement climatique, mais aussi contribuer fortement à la transition vers une économie plus saine. Ainsi, l’on peut à juste titre se demander :
-Comment la durabilité est-elle prise en compte dans la gestion des risques financiers en Afrique Centrale ?
Plus précisément :
-Quelles initiatives sont engagées par les autorités de régulation pour sensibiliser les institutions financières aux risques financiers associés aux changements climatiques ?
– Comment renforce-t-on les capacités des institutions financières, en matière d’analyse et de gestion des risques financiers associés aux changements climatiques ?
-A-t-on une mesure (même approximative) des risques auxquels sont exposées les institutions financières de la zone CEMAC en matière climatique ?
S’il n’est pas aisé d’apporter tout de suite des réponses à ces questions, on peut s’inspirer de ce qui a été fait dans d’autres environnements également confrontés aux changements climatiques. Qu’est ce qui s’est fait ailleurs ? L’ACPR est l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution qui est adossée à la Banque de France. Il s’agit de l’institution chargée de la supervision des secteurs bancaires et d’assurance. En effet, elle veille à préserver la stabilité du système financier et à protéger les clients, par la surveillance des établissements bancaires, d’assurance et de leurs intermédiaires. Entre 2020 et 2021, cette institution a initié un exercice pilote de stress-test climatique. Il a été question de mettre ensemble les groupes bancaires (9 établissements bancaires, soit 85% du total bilan en France) et d’assurance français (15 groupes d’assurance, soit 22 organismes représentant 75% du total du bilan et des provisions techniques des assureurs), pour non seulement les sensibiliser aux risques financiers liés aux changements climatiques, mais surtout accroître leurs capacités d’analyses et de gestion face auxdits risques.
Au terme de l’exercice, il a été possible d’estimer l’exposition des banques et compagnies d’assurances françaises, au risque de transition, sur la base des scénarios élaborés par le réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du secteur financier. Il a également été possible d’estimer l’exposition des banques et compagnies d’assurances françaises au risque physique, via l’estimation de son impact sur le passif des assureurs (avec l’assistance de la Caisse centrale de réassurance – CCR). L’on concluait en somme une exposition dite globalement « modérée » des banques et des assurances françaises, aux risques liés au changement climatique. Il faut préciser que depuis la tenue de ce stress test climatique par l’ACPR, des exercices similaires ont été menés en 2021 par la Banque d’Angleterre, et en 2022 la Banque centrale européenne (BCE) pour les banques. C’est fort de ce coup d’essai qu’on peut à juste titre qualifier de coup de maître, qu’il a été décidé par l’ACPR de mener un second exercice climatique en 2023, uniquement consacré au périmètre des assurances.
Vers une réplication de stress test climatique pour les banques en zone CEMAC ?
Au regard des avancées présentées dans le rapport sur « Les principaux résultats de l’exercice pilote climatique 2020« , il serait intéressant de procéder à une réplication de cette initiative en zone CEMAC. Ainsi il pourrait revenir à l’organe de supervision de l’ensemble des établissements de crédit et des établissements de microfinance de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (COBAC), de piloter cette initiative. L’objectif ici pourrait être d’évaluer le niveau d’exposition des banques, et surtout leurs capacités de réponse face aux risques climatiques, suivants des scénarios divers. Ces derniers pourront porter sur des transitions ordonnées, et ensuite sur des transitions désordonnées.De façon pratique L’on pourrait procéder d’abord par une phase préparatoire, que pourra suivre une phase opérationnelle.
Une phase préparatoire
Cette phase pourra débuter par une Collecte de données qui pourra prendre la forme de consultation publique des acteurs du secteur bancaire de la zone. Cette consultation pourra être appuyée par une analyse des publications d’informations extra-financières sur les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) des établissements bancaires, ainsi que leurs stratégies relatives au risque climatique. L’exploitation de toute autre œuvre scientifique permettant de mesurer l’exposition des banques au risque climatique, viendra ainsi renforcer cette collecte de données. Cette première étape pourra déboucher sur la publication d’un rapport, véritable livrable sur « l’existant » en matière climatique dans le secteur sur la zone CEMAC.
Dans la suite, afin de mesurer l’impact financier et d’identifier les potentielles vulnérabilités du secteur bancaire de la zone CEMAC, l’on pourra procéder à l’analyse des scénarios et hypothèses de changement climatique. Pour bien encadrer l’opérationnalisation et limiter le coût de l’exercice, des procédures usuelles mises en œuvre dans le cadre des exercices standards de stress-tests, pourraient être élaborées.
Une Phase opérationnelle
Cette phase devrait après l’analyse de l’existant et l’identification des scénarios et hypothèses, permettre d’atteindre des objectifs précis tant en matière de mobilisation et sensibilisation des acteurs aux risques de changement climatique, qu’en termes d’évaluation chiffrée des scénarios complexes de transition. L’objectif in fine restant d’arriver à une première mesure, de l’exposition des banques aux risques climatiques. A ce niveau la Commission bancaire pourra se faire accompagner, par des partenaires de la recherche, pour modéliser efficacement ces données. Les résultats de l’exercice contribueront ainsi à enrichir les corpus de connaissances existant, sur l’intégration des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), dans la gestion des risques des intermédiaires financiers et des exigences prudentielles.
A propos de l’auteur
Joseph Helmut ESSONO est un cadre de banque, en charge depuis une dizaine d’années de projets et programmes majeurs au sein du Groupe bancaire International SOCIETE GENERALE. Egalement sensible aux problématiques de développement durable, il est passé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Initialement formé en Sciences de Gestion, il est également diplômé en Etudes du développement International (Option Management de projets) de l’Université Senghor d’Alexandrie (EGYPTE). Joseph est par ailleurs titulaire d’un Executive Certificate de la Public Policy School de l’Université Mohammed VI Polytechnique (Maroc).