Par Abdelhak ZEGRARI, Migration & Développement Durable. UN Civil Society Forum.
La communauté internationale avait rendez-vous du 10 au 19 juillet 2023 au siège des Nations Unies pour un forum politique de haut niveau consacré au développement durable à mi-chemin de l’horizon 2030. Ce forum-marathon a constitué une grande opportunité pour certains pays de présenter leur rapport national volontaire, revu souvent par les pairs, permettant par la même occasion de mutualiser les bonnes pratiques, à deux mois du Sommet des ODD des 18 & 19 septembre prochain et le Sommet du Futur de 2024. Il y a là un devoir impératif à réfléchir collectivement aux moyens de relancer les objectifs de développement durable, à un moment où le risque d’échec est plus grand que jamais si on ne veut pas en faire un épitaphe. Il faut dire que le contexte géopolitique mondial est fragile, par ce temps caniculaire, feux de forêts, multipartisme en crise, conflits armés & incertitudes diverses.
Le constat à mi-chemin n’est guère réjouissant ; seulement 12% des ODD sont en bonne voie, 50% sont en stagnation, voire en retrait, et certains pays du Sud et notamment Africains, sont même en avance par rapport à ceux du Nord. L’équation est simple donc, il est urgentissime d’agir ensemble, en repensant la diplomatie et la gouvernance des ODD, en renforçant les capacités et en menant une action structurante sur le terrain. L’impact d’une action doit être évalué et doit conduire à un partage des bonnes pratiques, pour inspirer un nouveau paradigme. Pas moins de 204 ‘’side-events’’ et 25 expositions ont été programmés, dont certains coorganisés par les missions permanentes de plusieurs pays d’Afrique, la société civile Africaine présente en force dans les couloirs de l’Onu plaidant pour une meilleure représentation du continent dans les affaires mondiales.
La journée de l’Afrique au forum a même été célébrée par le conseiller spécial pour l’Afrique à l’Onu (OSAA) sur le thème « Exploiter l’eau et l’énergie pour une industrialisation durable et une transformation économique inclusive de l’Afrique ». Tous les ODD ont été revus dans une approche permettant de mesurer les retards dans beaucoup de secteurs afin de corriger les errements de certaines politiques économiques. Un danger guette le continent, celui de l’urbanisation effrénée, alors que les villes et les gouvernements ne semblent pas prêts à créer de nouveaux modèles sociaux, économiques et environnementaux !
Concernant le climat, le déni est peut-être en train de s’estomper, mais le rejet est en hausse. Des contenus courts et les personnalités controversées répandent le scepticisme plus rapidement que les preuves scientifiques, en particulier chez les jeunes. Une fracture climatique s’est dessinée, avec deux visions du monde qui s’opposent, les réalistes qui constatent les dégâts et les « idéologues» qui les minimisent. Ces derniers vont probablement perdre mais il sera trop tard pour inverser la tendance. Les scientifiques avaient déjà tiré la sonnette d’alarme dès 1965, au regard de la consommation grandissante de combustibles fossiles. Et au lieu de prendre la mesure de la menace, les Etats ont continué à subventionner les énergies fossiles, à hauteur de 1097 milliards de $ en 2022. Par ailleurs, le processus des Nations unies sur le climat, en particulier en ce qui concerne les pertes et dommages est loin d’avoir une solution multilatérale, tout comme les promesses d’abonder le Fonds Vert. Toutes les discussions tournent autour de la sécurité énergétique et alimentaire, et de l’accès à l’eau.
Actuellement dans le monde, 820 millions de personnes souffrent de malnutrition, 840 millions n’ont pas accès à une eau salubre et près d’un milliard n’ont pas accès à l’électricité ou internet ; ce qui nuit à de nombreux aspects du développement humain. Ces grands défis de développement sont étroitement liés et conditionnés par l’action face au changement climatique ; des stratégies intégrées sont nécessaires pour les relever et trouver des synergies qui évitent des politiques conflictuelles. Des outils existent pour aider à mieux comprendre les interactions entre les différents éléments et les équilibres à trouver. On peut réduire la dépendance à l’égard des importations d’énergie et faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES), en recourant par exemple à la biomasse agricole et forestière qui est une source d’énergie renouvelable prometteuse même si elle est en concurrence avec l’agriculture pour les ressources en sols et en eau. Nos systèmes alimentaires actuels ont un impact majeur sur l’environnement. Ils représentent 30% des émissions de GES et le bétail seul représente 14.5% de ces émissions.
En outre, les surfaces agricoles irriguées augmentent alors que la surface agricole utile diminue, ce qui constitue un constat préoccupant quant à la gestion des ressources aquifères.« Sans progrès, il n’y a pas de paix possible. Sans paix, il n’y a pas de progrès possible. » disait Kofi Annan. l’ordre international actuel ne parvient pas à assurer la sécurité et il y a des limites aux accords de sécurité collective sur certains continents. Il est donc capital d’identifier spécifiquement les possibilités d’accélérer la mise en œuvre des cibles de l’ODD 16+ pour la paix, la justice, l’égalité et l’inclusion à tous les niveaux. En mettant en évidence toutes les données comme moteur de changement, on peut décortiquer les liens pour des résultats à grande échelle dans l’ensemble de l’Agenda 2030. Une réflexion est à mener sur l’importance cruciale de ces questions pour le développement durable, de manière plus générale, et comme tampon contre les revers inévitables. La mise en place de contacts sociaux améliorés et réactifs passe par la réalisation de cet objectif et un engagement collectif en faveur d’un monde pacifique, juste et inclusif.
Compte tenu de la complexité des inégalités dans le lien climat-environnement-social, se concentrer sur une seule dimension de l’inégalité ne se traduira pas par une transition juste pour tous. La planification de la transition écologique suppose une définition précise et claire des orientations et surtout des moyens. A quels défis les banques multilatérales de développement sont-elles confrontées lorsqu’elles s’attaquent, par exemple, à la mobilité climatique ? Peuvent-elles encore prévenir les déplacements ou aider les pays d’accueil ? Nul doute qu’en octobre prochain à Marrakech, à l’occasion des assemblées annuelles des Gouverneurs de la Banque Mondiale et du FMI, sera soulevée l’épineuse question du changement du financement et des partenariats, y compris la nécessité d’améliorer les mécanismes de financement, de tirer parti des mécanismes existants, de redéfinir la manière dont les banques mesurent et gèrent les risques, et d’exploiter les financements mixtes et privés. Le chemin qui reste à parcourir est jonché d’obstacles qu’il faudra impérativement franchir pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2030 et nécessite une approche holistique .
L’ampleur, la complexité et l’interconnexion des défis nécessitent des solutions multidimensionnelles, une coordination et une cohérence accrue des planifications dans l’ensemble des objectifs. Il faudra rétablir la confiance dans les institutions publiques, condition préalable au renouvellement du contrat social qui sous-tend une société inclusive et durable. La lutte contre la corruption à tous les niveaux devrait être une priorité, tout comme la transparence et la responsabilité pour garantir que les deniers publics sont dépensés efficacement. Il faudra initier des actions transformatrices afin de renforcer la gouvernance foncière, améliorer la sécurité alimentaire et prévenir la dégradation de l’environnement et la biodiversité. L’utilisation inclusive de l’IA peut conduire à un changement transformateur, au développement de la culture numérique, à condition de se prémunir contre les risques pour la vie privée, la liberté d’expression, la discrimination et les droits humains.
Enfin, il est urgent d’abroger les lois discriminatoires à l’égard des femmes et accroitre leur représentation dans tous les domaines grâce à des mesures spécifiques ; l’égalité et l’autonomisation des femmes sont à la fois un droit humain et un prérequis à la paix et au développement durable.