Par Saleh Dagache Ousman
« Les démocraties en Afrique sont d’abord des processus en cours. Nous ne sommes pas, dans la plupart des pays de l’espace francophone, dans des démocraties mais dans des pays en voie de démocratisation. Il y a des préalables à la démocratie, à commencer par la séparation des pouvoir, qui ne sont pas acquis dans les pays africains. On voit que dans la plupart des pays, la justice est et sous l’influence du politique. Nous sommes plus proches de ce que certains appellent démocratures (…)[1]»
« (…) les instances régionales africaines sont victimes du discrédit du leadership politique mais aussi de l’image de « syndicats de chefs d’État » dont les affublent les populations, qui voient en elles les symboles mêmes d’une gouvernance antidémocratique, dont les leaders s’empressent de condamner les coups de force militaires mais ne se gênent pas pour mettre en place des « coups d’État constitutionnels » afin de perdurer au pouvoir.[2]»
Ces dernières années, l’Afrique de l’Ouest connaît une intensification variée des violences et une multiplication des conflits. Alors que les perspectives de croissance semblent très encourageantes, ces difficultés pourraient entraver son futur développement et remettre en cause les avancées économiques et sociales réalisées par les pays de la sous-région. L’Afrique de l’Ouest a en effet été déstabilisée par des flambées de violences, la résurgence de conflits et la montée de l’extrémisme religieux, en particulier au Mali, au Burkina Fasso, au Niger, au Nord du Nigéria.
Le trafic de drogue et la piraterie maritime s’y sont aussi rapidement enracinés. Le principal défi pour la sous-région sera de surmonter la violence et la fragilité dans ses zones les plus vulnérables afin qu’elle puisse poursuivre les avancées impressionnantes enregistrées au cours de la dernière décennie en matière de renforcement de la démocratie et de développement économique[3]. A cela s’ajoute la problématique persistante des coups d’Etat, devenue quasiment une sorte « d’opération de restauration de l’Etat de droit » fragilisant sérieusement nos « démocraties naissantes ».
Justement, notre réflexion porte sur cette dernière, en l’occurrence le coup d’Etat au Niger articlé sur la CEDEAO essentiellement.
Ce sujet trouve ainsi, toute sa pertinence, au regard des crises politico-démocratiques de ces dernières années dans la Région.
Contextualisation…
Créée en 1975, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)[4], organisation régionale au départ essentiellement vouée à la promotion de l’intégration des économies des quinze Etats membres s’est progressivement transformée, sous la pression des évènements politiques, en une organisation également chargée de trouver des solutions aux conflits armés et autres crises politiques qui mettaient en péril la paix et la sécurité dans l’espace communautaire. La décennie 1990 a vu la CEDEAO, sous l’impulsion de son pays membre de loin le plus puissant, le Nigeria, intervenir bien au-delà du terrain diplomatique traditionnel en envoyant des milliers de soldats tenter de restaurer la paix au Liberia puis en Sierra Leone et plus modestement en Guinée-Bissau.
Le bilan de ces interventions militaires décidées par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, la plus haute instance de décision de la CEDEAO, et mises en œuvre par le Secrétariat exécutif et les Etats membres, a fait l’objet de nombreuses études et génère toujours de vifs débats[5] plusieurs années après la création du Groupe de contrôle de cessez-le-feu de la CEDEAO (ECOWAS Monitoring Group, ECOMOG), la force de maintien de la paix de l’organisation. Ce qui semble incontestable, c’est que la CEDEAO a certes connu d’énormes difficultés à atteindre ses objectifs de pacification là où elle est intervenue mais que son engagement militaire et diplomatique a joué un rôle prééminent dans l’effort international qui a finalement permis de sortir du cycle de conflits qui ont dévasté la région du bassin du fleuve Mano entre 1990 et 2003[6].
Les interventions de la CEDEAO pendant la décennie 1990 visaient avant tout à mettre fin à des situations de guerre civile mettant aux prises un ou des groupes armés rebelles et le gouvernement d’un Etat membre légalement reconnu. La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO venait au secours d’un de ses membres confronté à une rébellion armée. Il s’agissait certes de défendre la légalité incarnée par un président en exercice et son gouvernement mais pas nécessairement de défendre des normes politiques adoptées par la communauté comme le respect de principes démocratiques précis ou le respect des droits de l’Homme. Lorsque le Nigeria a décidé de faire intervenir l’ECOMOG au Liberia quelques mois après l’attaque du mouvement rebelle de Charles Taylor contre le gouvernement de Samuel Doe, ni la victime de l’attaque rebelle, ni le gouvernement nigérian de l’époque ne pouvaient être décrits comme des modèles de démocratie et de respect des droits de l’Homme.
La décennie 1990 fut également celle des transitions démocratiques sur le continent africain en général et en Afrique de l’Ouest en particulier, avec des fortunes diverses selon les pays. La CEDEAO ne pouvait logiquement incarner des valeurs et défendre des principes politiques qui commençaient à peine à être acceptés formellement par les chefs d’Etat et les gouvernements des Etats membres de l’organisation.
C’est le Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité adopté en décembre 1999 complété par le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en décembre 2001 qui a établi un lien explicite entre l’objectif de prévention et de résolution des conflits et la volonté d’ériger des principes politiques forts comme l’opposition de la communauté à toute accession au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels et la possibilité d’intervenir dans un Etat membre en cas de violations graves et massives des droits de l’Homme. Ce sont dans une large mesure les mêmes principes généraux qui ont été inscrits dans l’Acte constitutif de l’Union africaine (UA) adopté en juillet 2001[7].
1. L’Union africaine et l’architecture de paix et de sécurité à l’échelle continentale
Alors que l’OUA avait entamé un début de réforme dans sa gestion des conflits africains en 1993 à travers la Déclaration du Caire portant Mécanisme de prévention, de gestion et résolution des conflits en Afrique, c’est davantage le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine qui symbolisera la volonté politique de l’Union d’adapter son cadre institutionnel au modèle plus général de la prévention des conflits prônée par l’Organisation des Nations Unies.
L’Union africaine symbolise à cet effet, le passage normatif de la non intervention à la non-indifférence, avec la mise en place d’une architecture institutionnelle sophistiquée. Les signataires de l’Acte constitutif de l’UA (2000) s’engagent, entre autres choses, à respecter les principes démocratiques, les droits de l’homme, l’état de droit et la bonne gouvernance (article 4 (m)), le caractère sacro-saint de la vie humaine (article 4 o) et à condamner et à rejeter des changements anticonstitutionnels de gouvernement (article 4 (p). La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, le protocole relatif à la création du conseil de paix et de sécurité de l’union africaine parlent naturellement le même langage concernant les changements anticonstitutionnels.
Ce qui est nouveau, c’est l’institutionnalisation et la légitimation de la force en tant qu’expression de la puissance dans la résolution des conflits et l’édification de la paix dans le nouveau contexte de l’Union africaine : il apparaît clairement dans la nouvelle vision de l’Union africaine qu’il ne saurait y avoir de paix durable ni de sécurité collective sans une expression du jeu de la puissance qui institue et garantisse les structures de sécurité, de production et de distribution, bref de réalisation du bien commun.
La création de l’UA et de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (l’APSA) a entraîné celle d’un certain nombre d’instances qui forment l’ossature institutionnelle des activités et des interventions de l’UA et des CER (Communautés Economiques Régionales) au quotidien dans le domaine de la paix et de la sécurité en Afrique. L’APSA est diverse sur le plan institutionnel et loin d’être statique. L’APSA et ses institutions, tout en s’appuyant sur les expériences de certaines CER et de structures analogues au sein de celles-ci, fonctionnent comme une plate-forme de coopération et de coordination en interne, avec leurs homologues au niveau des CER et avec des partenaires externes. Cette plate-forme se compose des éléments suivants : le Conseil de paix et de sécurité (CPS), la Force africaine en attente (FAA), le Groupe des Sages, le Fonds pour la paix, le Système continental d’alerte rapide (SCAR).
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est par conséquent l’organe de décision permanent de l’UA pour tout ce qui concerne la prévention, la gestion et la résolution des conflits (Protocole relatif à la création du CPS, article 2 (1)) et la pierre angulaire de l’APSA. En effet, l’une des principales responsabilités du CPS est de délibérer sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement et de prononcer d’éventuelles sanctions lorsque des coups d’État sont perpétrés. Depuis l’adoption de la Convention de Lomé contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement en 2000, le CPS a eu à prendre de telles décisions à de nombreuses reprises. Avec une suspension immédiate et des sanctions dans la foulée des pays concernés[8].
Toutefois, curieusement, le Tchad est devenu l’exception qui interroge. En effet, le communiqué de la 996e réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS) du 14 mai 2021, sur le Tchad, semble avoir mis le pragmatisme au-dessus des principes, pourtant non antinomiques dans ce cas de figure. Il faut rappeler qu’un un Conseil militaire de transition (CMT) s’est accaparé le pouvoir, le 21 avril, après le décès du président Idriss Déby Itno.
Or, selon l’article 82 de la constitution tchadienne adoptée en mai 2018 et révisée par une loi constitutionnelle en décembre 2020, en pareille circonstance, c’est le président du Sénat qui devait assurer l’intérim de la présidence. Le Sénat n’étant pas encore opérationnel, l’Assemblée nationale représentait cette même autorité. Si son président renonçait à assurer l’intérim, il fallait se tourner vers ses adjoints par ordre de préséance. Ce schéma constitutionnel n’ayant pas été suivi, il est évident que l’action des généraux du CMT est une opération de changement anticonstitutionnel de gouvernement[9].
2. Changement anticonstitutionnel de gouvernement : les sanctions de la CEDEAO au regard de l’article 45 du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance
La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réunie en Session Extraordinaire à Abuja, au Nigéria, le 30 juillet 2023, sous la présidence de S.E.M. Bola Ahmed TINUBU, Président de la République Fédérale du Nigeria et Président en exercice de la Conférence. Le Sommet extraordinaire avait été convoqué en réponse aux dernières évolutions politiques intervenues en République du Niger, depuis le 26 juillet 2023.
En effet, l’opération visant à démettre le président Bazoum de ses fonctions, était bien un coup d’État militaire et un cas de changement anticonstitutionnel. Le changement anticonstitutionnel de gouvernement est plus large qu’un coup d’État, qui en fait partie. La décision de suspendre le Niger des organes décisionnels de cette dernière envoie un message de fermeté aux militaires, condamnant leur coup de force et rappelant que les normes communautaires contre les coups d’État restent de mise. Cette mesure constitue le troisième degré des sanctions prévues par l’article 45-2 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance en cas d’atteinte à la démocratie dans un État-membre. L’alinéa suivant de cet article prévoit l’accompagnement du pays en question jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel.
3. La CEDEAO n’est-elle pas allée plus loin dans ses sanctions ?
Il importe de rappeler les sanctions qui s’imposent dans cette situation, conformément au protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Il s’agit de :
- refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales ;
- refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’Etat membre concerné ;
- suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les Instances de la CEDEAO ; pendant la suspension, l’Etat sanctionné continue d’être tenu au paiement des cotisations de la période de suspension[10].
Dès lors, concernant notamment la fermeture de la frontière et la suspension des transactions entre le Niger et les pays de la CEDEAO, le gel des avoirs, le protocole ne prévoit nullement de telles dispositions.
Mais plus grave encore, relativement au gel des avoirs, ces sanctions sont en violation flagrante avec le principe de fonctionnement de la Banque Centrale : « dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions qui leur sont conférés par le Traité de l’UMOA et par les présents Statuts, la Banque Centrale, ses organes, un membre quelconque de ses organes ou de son personnel ne peuvent solliciter, ni recevoir des directives ou des instructions des institutions ou organes communautaires, des Gouvernements des Etats membres de l’UMOA, de tout autre organisme ou de toute autre personne.[11] »
4. Une jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO en faveur du Niger ?
Il faut rappeler que la Cour de justice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine a suspendu le 24 mars 2022 les sanctions économiques et financières contre Bamako adoptées par les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO lors du Sommet du 9 janvier 2022 à Accra. En effet, le sursis à exécution desdites sanctions introduit par l’Etat malien a été déclaré recevable et « les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux compte tenu de la décision à venir sur le fond du litige… ».
En outre, ajoute l’ordonnance de jugement, « les arguments exposés par l’Etat du Mali sur les conséquences de l’exécution des sanctions prononcées à son encontre sont (…) pertinents et fondés dans la mesure où cette application risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables au regard de l’impact social, économique et financier… [12]».
Par ailleurs, ces sanctions peuvent avoir plusieurs conséquences sur le Niger, notamment : perturbation des échanges commerciaux[13], réduction des investissements étrangers (en cas de retrait du Niger)[14], perte des avantages régionaux(en cas de retrait)[15]. Au regard de ce qui précède, l’Etat du Niger pourrait saisir la Cour pour gain de cause.
5. Une intervention militaire, « une déclaration de guerre ? »
La particularité du cas du Niger réside dans le fait que ce dernier bénéficie d’un élan de solidarité notamment du Burkina, de la Guinée, du Mali. En effet, dans un communiqué conjoint publié ce lundi 31 juillet 2023, les autorités du Burkina et du Mali ont prévenu que « toute intervention militaire au Niger équivaudrait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali ». Les deux pays voisins du Niger indiquent qu’ils quitteront également l’organisation si elle met à exécution sa menace d’user de la force pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger comme annoncé lors du dernier sommet extraordinaire des chefs d’Etat, dimanche dernier à Abuja, au Nigeria[16].
« Les Gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali ont appris par voie de presse les conclusions des sommets extraordinaires de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) tenus le 30 juillet 2023 à Abuja sur la situation politique au Niger.
Les Gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali :
- Expriment leur solidarité fraternelle et celle des peuples burkinabè et malien au peuple frère du NIGER qui a décidé en toute responsabilité de prendre son destin en main et d’assumer devant l’histoire la plénitude de sa souveraineté ;
- Dénoncent la persistance de ces organisations régionales à prendre des sanctions aggravant la souffrance des populations et mettant en péril l’esprit de panafricanisme ;
- Refusent d’appliquer ces sanctions illégales, illégitimes et inhumaines contre le peuple et les Autorités Nigériens ;
- Avertissent que toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali ;
- Préviennent que toute intervention militaire contre le Niger entraînerait un retrait du Burkina Faso et du Mali de la CEDEAO, ainsi que l’adoption de mesures de légitime défense en soutien aux forces armées et au peuple du Niger :
- Mettent en garde contre les conséquences désastreuses d’une intervention militaire au Niger qui pourrait déstabiliser l’ensemble de la région comme l’a été l’intervention unilatérale de l’OTAN en Libye qui a été à l’origine de l’expansion du terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
Les Gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali sont profondément indignés et surpris par le déséquilibre observé entre, d’une part, la célérité et l’attitude aventurière de certains responsables politiques d’Afrique de l’Ouest désireux d’utiliser la force armée pour rétablir un ordre constitutionnel dans un pays souverain, et d’autre part, l’inaction, l’indifférence et la complicité passive de ces organisations et de ces responsables politiques à aider les Etats et les peuples victimes depuis une décennie et abandonnés à leur sort. En tout état de cause, les Gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali invitent les forces vives à se tenir prêtes et mobilisées, en vue de prêter main forte au peuple nigérien, en ces heures sombres du panafricanisme. Que Dieu bénisse l’Afrique et préserve les Africains.[17]»
6. Une guerre de plus au sahel, une catastrophe pour le Sahel
La menace d’action militaire de la CEDEAO n’a pas fait frémir les putschistes[18]. Mais, un tel scénario est catastrophique, quand bien même on ne connaît pas exactement la nature de l’intervention planifiée (ciblée ou de plus grande envergure). Les guerres au Sahel ne sont pas conventionnelles ; elles affectent dramatiquement des populations aux existences déjà très vulnérables.
Elles impliquent la mobilisation de myriades d’acteurs armés irréguliers (rebelles, milices, trafiquants) aux complexes connexions transfrontalières, elles déclenchent des effets en cascade que nul ne peut prétendre maîtriser. Le risque pour le Niger n’est pas seulement d’être exposé à une intervention militaire extérieure mais aussi de sombrer dans la guerre civile compte tenu de la polarisation actuelle des camps politiques que ne ferait qu’enflammer l’intervention extérieure. Une guerre de plus au Sahel n’aura qu’un vainqueur : les mouvements « djihadistes » qui depuis des années construisent leur expansion territoriale sur la faillite des Etats.
Ce scénario est évitable, pour peu qu’on se départisse des postures martiales figées et prenne la peine de comprendre les raisons pour lesquelles les putschistes nigériens sont parvenus en quelques jours à rallier derrière eux non seulement des franges importantes de l’armée mais aussi de la société civile ou de certains syndicats.
Forts des soutiens obtenus dans le pays, les putschistes semblent décidés à ne rien concéder. Les ralliements dont ils bénéficient sont le produit d’au moins trois facteurs combinés : un réflexe nationaliste épidermique face aux messages belliqueux émis depuis l’extérieur, une forte dose de propagande souverainiste antérieurement éprouvée aux Mali et Burkina voisins, mais aussi et surtout un soulagement de voir tomber un système de pouvoir affairiste caractéristique des mandatures successives depuis la Conférence nationale de 1991, accentué sous la présidence de Mahamadou Issoufou et non réformé suffisamment par son successeur Mohamed Bazoum.
Cet état de l’opinion ne saurait légitimer une prise de pouvoir par les armes. Il engendre néanmoins une situation du fait accompli auquel il serait absurde et désastreux de répondre par la guerre, qui n’aura d’autres effets que de renforcer les soutiens populaires envers les putschistes et, partant, leur accaparement du pouvoir.
Ce dernier est par définition anticonstitutionnel mais il n’abat pas une démocratie exemplaire. Si une voie de sortie pacifique et véritablement transformatrice à cette crise existe, qu’il conviendrait d’exploiter, il faut la chercher du côté de la mise à plat de l’économie politique qui a creusé les clivages sociaux et les inégalités structurelles ces dernières années et nourri le mécontentement des jeunes urbains. Si les putschistes sont sincères dans leur volonté réformatrice, alors ils n’ont pas de raison de refuser ce chantier ambitieux et incertain. Ils doivent accepter de céder le pas à un dialogue inter-nigérien.
Pour que ce chantier ait une chance de réussir et que cessent les logiques de gouvernance prédatrices et de captation pendulaire du pouvoir, la contribution de l’ensemble des forces politiques et sociales est requise. Face au blocage actuel, une désescalade et une sortie de crise par le haut ont pour préalable un accord permettant la libération du président Bazoum accompagné d’un choix résolu des forces politiques nationales de s’ouvrir à des compromis dans un cadre institutionnel assainissant de futures joutes électorales[19].
7. Et les drapeaux russes dans les manifestations ?
« On veut la Russie, à bas la France! ». Dans les rassemblements derniers (Burkina, Guinée, Mali, Niger), on peut lire ce genre de message des manifestants. Mais la Russie est-elle plus douce que la France ou une quelconque puissance ? Il serait naïf d’avoir une telle conviction ! Cet état de fait nous rappelle le triangle dramatique de Karpman[20] où il y a la victime, le sauveur et le persécuteur. Dans ce cas de figure, l’Afrique est manifestement la victime. La Russie apparait comme le sauveur. Et enfin, l’Occident est le persécuteur. Toutefois, au fil du temps le sauveur peut se transformer en persécuteur si ses intérêts… sont menacés… par conséquent, l’Afrique ne peut que compter sur elle-même et sur ses immenses et multiples ressources pour prendre son destin en main, tout en diversifiant librement ses partenaires dans le temps et dans l’espace !
[1] Ousmane Ndiaye lors d’un entretien réalisé par Atlantico. Voir « Coups d’État en série : mais pourquoi la démocratie est-elle si fragile en Afrique ? » Disponible sur https://atlantico.fr/article/decryptage/coups-d-etat-en-serie-mais-pourquoi-la-democratie-est-elle-si-fragile-en-afrique-ousmane-ndiaye
[2] Bakary Sambe est le directeur du Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies, situé à Dakar. Il est enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Voir https://theconversation.com/afrique-de-louest-le-sombre-avenir-de-la-democratie-168900
[3] Alexandre Marc, Neelam Verjee, et Stephen Mogaka, L’AFRIQUE EN DÉVELOPPEMENT : Relever les défis de la stabilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest. Disponible sur https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/22033/210464FrSum.pdf
[4] Les quinze pays membres de la CEDEAO sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo. La Mauritanie s’est retirée de l’organisation en 2002.
[5] Notamment à cause des violations graves des droits humains par les soldats et les drames humanitaires.
[6] Dr. Gilles Olakounlé Yabi, Le Rôle de la CEDEAO dans la Gestion des Crises Politiques et des Conflits Cas de la Guinée et de la Guinée Bissau, p7. Disponible sur https://library.fes.de/pdf-files/bueros/nigeria/07449.pdf
[7] Ibid.
[8] C’est le cas entre autres : de la République en Centrafrique (Mars 2003, François Bozizé, aidé par des mercenaires, renverse le président André Kolingba), du Togo (Février 2005, à la mort de Gnassingbé Eyadema, Faure Gnassingbé arrive au pouvoir avec le soutien des militaires et après une réforme controversée de la Constitution) ; de la Mauritanie (août 2005, une junte militaire dirigée par le colonel Ely Ould Mohamed Vall renverse le président Maaouiya Ould Taya) ; de l’Egypte ( juillet 2013, des soldats menés par le maréchal Abdel Fattah el-Sissi renversent le président Mohamed Morsi) ; du Burkina Fasso ( Septembre 2015, le général Gilbert Diendéré à la tête de militaires renverse brièvement le président de la transition Michel Kafando) ; du Mali (août 2020, des soldats renversent le président Ibrahim Boubacar Keïta après plusieurs semaines de manifestations contre le régime) etc.
[9] Lors de sa première réunion au sujet du Tchad, le CPS, qui adopte habituellement une position stricte lors de prises de pouvoir par des militaires, a simplement exprimé sa « grave préoccupation » concernant la création du CMT et a « exhorté » les militaires à rétablir l’ordre constitutionnel. Dans sa déclaration, l’organe a évoqué les textes pertinents à cet égard, à savoir l’Acte constitutif de l’UA, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance et la Déclaration de Lomé sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Il a ainsi reconnu que la prise de pouvoir du CMT était bel et bien anticonstitutionnelle. Le Conseil n’a cependant pas mis en œuvre les conséquences logiques de ce constat, qui aurait dû aboutir à la suspension pure et simple du Tchad des activités de l’UA ou à imposer un délai strict à la junte pour céder le pouvoir. L’on peut ainsi dire que le CPS a de fait approuvé le plan de transition de la junte tchadienne et sa nomination d’un Premier ministre civil. Même si, le CPS a déclaré qu’une prolongation de la période de transition ne serait pas acceptée, et que les membres du CMT ne seraient pas autorisés à se présenter aux élections post-transition.
[10] Article 45 alinéa 2 du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.
[11] Article 04 du principe de fonctionnement de la Banque Centrale. Disponible sur https://www.bceao.int/sites/default/files/inline-files/StatutsBCEAO2010_0.pdf
[12] Voir https://www.impact.sn/attachment/2285381/
[13] Le Niger perdrait les avantages commerciaux liés à l’appartenance à la CEDEAO, notamment la libre circulation des biens et les accords commerciaux préférentiels avec les autres pays membres.
[14] Le retrait du Niger de la CEDEAO découragerait les investissements étrangers dans le pays. Les investisseurs seraient préoccupés par l’incertitude économique résultant de la sortie de la communauté régionale, ce qui entraînerait une diminution des investissements, du développement d’infrastructures et des perspectives d’emploi.
[15] : La CEDEAO offre des avantages régionaux, dont la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes entre les pays membres. Le retrait priverait la population des avantages liés à ces accords, par exemple l’accès facilité au marché régional, la mobilité des travailleurs et les programmes de coopération régionale.
[16] Voir https://www.actuniger.com/international/19383-sanctions-cedeao-le-burkina-et-le-mali-mettent-en-garde-contre-toute-intervention-militaire-au-niger.html
[17] Voir le communiqué conjoint, https://burkina24.com/wp-content/uploads/2023/07/Communique-conjoint-Burkina-Faso-et-Mali.pdf
[18] Une première délégation de la CEDEAO a quitté Niamey jeudi 3 août sans être parvenue visiblement à ouvrir un dialogue constructif avec les hommes qui ont renversé (et détiennent toujours prisonnier) le président Bazoum et certains de ses proches depuis le 26 juillet.
[19] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/niger-il-faut-empecher-le-scenario-catastrophique-dune-guerre-20230805_64VIIARMQBCOZKRGY62ZMAN4K4/
[20] Voir https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Triangle_dramatique