Par Baudouin de Petiville.
Dimanche 20 août, une nouvelle attaque d’un groupe terroriste frappait l’armée nigérienne, tuant une douzaine de militaires. Cette embuscade qui s’est déroulée dans la région du Tillabéry illustre la hausse des opérations meurtrières des groupes armées terroristes au Niger depuis le coup d’État.
C’était la dernière d’une série de neuf attaques menées depuis le coup d’État du 26 juillet dernier. L’intensité de certaines de ces attaques s’est parfois révélée particulièrement forte : un degré de violence qui n’avait pas été enregistré depuis des mois. Ainsi, le 15 août dernier, un convoi de l’armée nigérienne a été pris en embuscade par le JNIM à Koutougou, dans la région du Tillabéry près de la frontière burkinabé. Deux colonnes d’environ cinquante motos chacune ont attaqué le convoi, causant la mort de 17 militaires et en blessants 20 autres. Dans un acte d’horreur supplémentaire, le même jour, un village était attaqué par les terroristes dans la même zone des trois frontières, faisant une trentaine de morts. Les villageois avaient refusé de payer la zakat.
La fin de l’état de grâce sécuritaire ?
Avant le coup d’État, selon l’ONG ACLED le Niger représentait 8% du nombre total d’événements violents survenus dans la région du Sahel en 2023. Le gouvernement avait été largement salué pour sa réponse sécuritaire à la menace terroriste, avec une baisse de 53% des événements violents par rapport à 2022.
Victime, comme les autres pays du Sahel, de la violence des groupes armés terroristes, le Niger était parvenu à se distinguer de ses homologues maliens et burkinabé par une amélioration générale de son climat sécuritaire et politique. Des résultats obtenus grâce à des forces bien entrainées, une politique d’apaisement social et un appui militaire de la France. Cette dernière fournissait un appui opérationnel et technologique croissant depuis 2019 aux Forces Armées Nigériennes (FAN) à la demande de Niamey. En 2020, le président Issoufou avait officiellement demandé une consolidation de cette aide, ultérieurement confirmée sous le président Bazoum, en 2022, par un vote massif de soutien à Barkhane au Parlement nigérien.
La fin des opérations conjointes décidée par la junte a privé l’armée nigérienne d’un de ses principaux atouts contre les terroristes : à savoir le soutien aérien, logistique et blindé fournis par l’armée française. De plus, les menaces d’intervention armée de la CEDEAO ont entraîné un allégement du dispositif de sécurité du pays. Des contingents de Diffa, Dosso et de la région de Tillabéri ont été rappelés à Niamey. Les groupes armés profitent donc du vide laissé par l’armée nigérienne. Cette recrudescence de l’insécurité explique en partie la fermeté des voisins d’Afrique de l’Ouest, tels que la Côte d’Ivoire, le Nigéria et le Bénin. Depuis 2019, ces pays se savent menacés par la progression du djihadisme vers le littoral. Ils ont donc besoin de voisins dotés d’une politique de sécurité solide et stable. Toutefois, ces facteurs ne sont pas les seules raisons expliquant la détérioration de la situation sécuritaire du pays et la difficulté des autorités à y répondre.
Les efforts de l’armée minés par la corruption
Tout d’abord, selon l’indice de corruption de Transparency International, le Niger se classe au 123e rang sur 167 pays en termes de corruption, ce qui en fait l’un des pays les plus corrompus au monde. Comme de nombreux autres pays africains touchés par ce fléau, la corruption affecte directement les capacités de l’armée. En 2020, un audit de l’Inspection générale des armées a révélé que 116 millions d’euros avaient été détournés dans le cadre de contrats d’armement entre 2014 et 2019. Une grande partie du matériel fourni par des entreprises internationales faisait l’objet d’une surestimation des coûts, de procédures d’appel d’offres fictives, voire n’était parfois pas livrée du tout. En cinq ans, 45% du budget annuel de l’armée a été détourné, alors même qu’il représente le principal poste de dépenses de l’État avec un peu plus de 19% de son budget. Ces opérations ont considérablement réduit les ressources financières de l’armée nigérienne, se traduisant concrètement par un manque de matériel et des retards dans les paiements des soldes, érodant le moral des combattants. Le Niger se retrouve donc isolé avec une armée mal équipée et minée par la corruption, pour faire face aux groupes terroristes. Aucune aide décisive n’est à attendre des armées maliennes et Burkinabé, traversant des difficultés de la même nature et perdant de plus en plus de terrain faces aux groupes armés.
De plus, comme l’a souligné Ornella Moderan, chercheuse spécialisée dans les questions de gouvernance et responsable du programme de recherche sur le Sahel à l’Institut d’Études de Sécurité basé à Dakar au Sénégal : « Ce scandale de corruption illustre d’abord la nature et l’ampleur systémiques de cette corruption. On ne peut pas détourner autant d’argent sans l’implication d’une série d’acteurs […]. Cela traduit également un sentiment d’impunité. Les menaces de sanctions n’étaient pas crédibles. Sinon, comment aurait-il été possible de détourner autant d’argent pendant quatre ans ? ». Or, comme l’a récemment rappelé le journal L’Express, ce sont justement ces généraux que l’ancien président Bazoum souhaitait évincer afin de lutter contre la corruption qui mine encore aujourd’hui l’efficacité de l’armée nigérienne.
Alors que la junte prétend ramener la tranquillité et la stabilité dans le pays, il est évident que l’insécurité et la corruption risquent au contraire d’accroître le désordre. Il n’est pas rare qu’un coup d’État, du fait de sa nature conquérante, engendre un nouveau coup d’État dans les mois qui suivent. Les tensions au sein même de la junte se font déjà ressentir et laissent présager un regain de désordre dans le pays.
Un commentaire
Je trouve quand même qu’il y a un lien étrange et fort entre « se brouiller avec la France » et las attaques terrissistes!