Dans sa résidence de la sablière au bord de l’Ocean Atlantique, Ali Bongo n’avait rien vu venir. Voici ses dernières heures au palais du bord de Mer.
Par Rodrigue Fénelon Massala depuis Libreville
29 août à 20 heures. Le président Ali Bongo reçoit un groupe restreint de proches. Les membres de la «Dream Team», nom donné au cercle rapproché de Nourredine Bongo, le fils du président, font du bruit dans les couloirs et les officines de l’immense bâtisse. Petits fours, champagne. L’ambiance est festive mais les mines graves.
Autour de la première dame Syvia Bongo, les téléphones crépitent. La proclamation des résultats était proche. Plusieurs collaborateurs, fatigués par des jours de veillée dans les QG de campagne, commençaient à se retirer, revigorés par les chiffres d’une réélection mode «un tour KO » qu’il restait à annoncer au peuple.
L’idée était prise de procéder dans la plus grande prudence, à l’heure du laitier. Interpellé, le commandant en chef de la garde Républicaine, le Général Brice Oligui, laissait entendre que «la situation était sous contrôle», édifices et bâtiments publics bénéficiant d’un dispositif de surveillance spéciale.
Le plan Oligui Nguéma avait du mal à convaincre. Un officier des renseignements se serait étonné de la décision prise de muter certains éléments de sécurité affectés auprès de certains autorités sans s’en référer au «boss». La décision prise par Oligui Nguéma en solo est un élément nouveau peu apprécié dans l’entourage immédiat. D’aucuns parlaient d’une démarche fatale à son auteur.
«La disgrâce était dans l’air», spéculait-on dans les couloirs. L’éloignement du Général Oligui ne faisait pas de doutes, subodorait-on au sein de la garde rapprochée de Noureddine.
En réalité, en ce moment même, le commandant de la garde présidentielle et un groupe d’officiers restreints dont le colonel Mafoumbi de l’armée de terre préparaient un plan consistant dans un premier temps à informer le président sur la réalité d’un scrutin somme toute difficile. Mais ces derniers étaient repoussés par le mur de Sylvia Bongo qui avait éloigné le président de ses securocrates depuis le soir du scrutin.
Isolé, Ali Bongo n’a reçu aucun des proches du parti et du cabinet à l’exception des personnes filtrées par Sylvia Bongo que d’aucun ont surnommé la Grace Mugabe du Gabon.
Des journalistes de Gabon 24, la chaîne de télévision de la présidence érigée dans l’enceinte de l’immense palais, étaient retenus pour un long brief.
Dans l’entourage présidentiel, la guerre des clans faisait rage. La nouvelle garde rapprochée de Ali Bongo, aux premières loges depuis l’éviction de l’équipe de Brice Lacruche et l’éloignement de Maixent Accrombéssi, ne parlait pas le même langage que les caciques du Parti Démocratique Gabonais (PDG). Ceux-ci découvrirent à la télé, presque en même temps que la plupart des gabonais, la nouvelle de la victoire de leur champion, Ali Bongo, vraisemblablement réélu avec 64 % de voix. En ce moment les dés étaient pipés.
En effet, 48 heures avant la proclamation du résultat des élections et du coup d’Etat, le Général Oligui avait procédé au renforcement de la sécurisation des édifices publiques, des centres névralgiques et des résidences des dignitaires du régime en remplaçant plusieurs éléments afin de couper la familiarité qui prévalait déjà entre les éléments et certaines personnalités dont-ils avaient la charge la sécurité de leur résidence.
Sauf que le dispositif militaire renforcé mis en place sur toute l’étendue du territoire gabonais n’était pas là pour assurer la sécurité de la victoire annoncée de Ali Bongo mais plutôt pour barrer la route à celui-ci et à la «Young Team » qui le quadrillait, nous fait observer un cadre du parti au pouvoir après recoupement des informations.
L’armée, notamment la garde Républicaine, qui est l’unité la mieux équipée, avait verrouillé Libreville et ses environs. Tout était préparé de façon millimétrée, le président Ali Bongo, isolé et cerné, n’avait rien vu venir, se fiant aux assurances de la marraine de la Young Team, son épouse Sylvia Bongo et de son fils Noureddine lequel dirigeait l’équipe de campagne. L’un et l’autre l’ont assuré, la veille, d’avoir pris toutes les dispositions. Pourtant il régnait une certaine suspicion vis-à-vis de Oligui et de son fameux dispositif décidé en solo.
Entre la présentation des résultats et le coup d’Etat, il y avait quinze minutes.
La télévision venait juste de terminer de présenter ce qui est convenu d’appeler un ras de marée qu’un groupe de soldats fit irruption. Le programme est interrompu.
« Nous, forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), au nom du peuple gabonais et garant de la protection des institutions, avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place », a annoncé un des militaires, un colonel de l’armée régulière, dans une déclaration également diffusée par la suite sur la chaîne d’État Gabon 1ère. « À cet effet, les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés», a-t-il ajouté.
Parmi les militaires, figuraient des membres de la garde républicaine (GR), reconnaissables à leurs bérets verts ainsi que des soldats de l’armée régulière et des policiers.
Dehors, de brefs tirs de sommation déchirèrent la nuit. Une dizaine de militaires loyalistes sont neutralisés. Le président est réveillé par son majordome et son médecin personnel. Étonné, Ali a du mal à réaliser la situation, appelant tantôt son fils, tantôt sa femme, tantôt le général Brice Oligui Nguéma. « What’s happen, tell me? « s’interrogea celui qui depuis son AVC s’est réveillé avec plus d’aptitudes à s’exprimer dans la langue de Shakespeare que dans celle de Molière.
Avant même qu’il n’obtienne une réponse, des soldats font irruption et chassent tout le monde. « Calmez-vous monsieur le président, nous vous sécurisons », lança un jeune capitaine Teké en charge de l’opération.
La surprise d’Ali Bongo
Le Président Ali Bongo qui avait connu la veille une journée de bonne ambiance, venait encore de modifier son discours de victoire. Ses équipes avaient déjà préparé le message qu’il devait prononcer dans la journée du 30 après la publication nocturne des résultats. Il s’était entretenu au téléphone avec quelques dirigeants étrangers selon nos sources.
En apprenant par son médecin et son majordome que l’armée venait d’annoncer sa chute et sa mise en résidence surveillée, Il s’empressa tout d’abord d’engager le dialogue avec les soldats. Puis il tenta de joindre en vain quelques sécurocrates de son sérail. Silence Radio. Laissé seul un instant, il enregistre une courte vidéo en Anglais postée plus tard dans les réseaux sociaux. «Faites du bruit» lançait-il à des amis restés bien silencieux.
Les putschistes feront rallier sans coup ferir les généraux restés en rade. A 10 heures GMT, la messe était dite. La dernière partie de sa garde rapprochée restée loyale est désarmée. Les soldats fidèles sont interpellés un à un par les putschistes. Parallèlement, la traque de la Youg Team est lancée. Des milliards de CFA et de milliers de dollars saisis dans des valises et des coffres forts sont exhibés à travers les réseaux sociaux et les chaînes de télévisions gabonaises. La première dame est conduite vers une destination inconnue tandis que son fils, Noureddine Bongo, mal aimé des Gabonais, est obligé de poser devant des milliards de Francs CFA à côté de son directeur de cabinet Yan Ngoulou mitraillé par des questions embarrassantes sur ce qu’il présentera comme des fonds de campagne.
Pendant ce temps, l’armée s’organise. L’idée d’un Conseil pour la transition et de la restauration des institutions (CTRI) a fait son chemin. Le matériel de vote et les résultats ont été récupérés. Le général Brice Oligui Nguema a été nommé « président de la Transition » par les putschistes.
Esseulé
Mis « à la retraite », placé en résidence surveillée, son épouse et son fils arrêtés,… Ali Bongo Ondimba est aujourd’hui seul malgré son appel à l’aide. Un appel qui n’a pas eu d’effet notable, tant les réactions de la communauté internationale sont «prudentes».
A noter que les putschistes ont assuré à plusieurs chancelleries, la préservation de l’intégrité physique du président sortant. D’ailleurs, selon les informations en notre possession, Ali Bongo a reçu tour à tour la visite de sa fille aîné Malika Bongo et de sa sœur aînée Pascaline Bongo dans sa résidence le 1er septembre. Sa mère Patience Dabany est sur une liste d’attente.
Ce coup d’État est intervenu en plein couvre-feu et alors qu’Internet était coupé dans tout le pays, deux mesures décrétées par le gouvernement samedi 26 août avant la fermeture des bureaux de vote afin de parer, selon le porte-parole du gouvernement sortant, à d’éventuelles « violences ». Internet a été rétabli peu après la lecture de la déclaration des militaires . On a enregistré dans les premières heures de la matinée à des scènes de liesse populaire à Libreville et dans plusieurs autres contrées du pays.
Dans leur argumentaire, les militaires ont estimé que l’organisation des élections n’avait « pas rempli les conditions d’un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais ». Ils ont dénoncé « une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos ».
« Toutes les institutions de la République sont dissoutes, notamment le gouvernement, le Sénat, l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle (réhabilitée momentanément pour la cérémonie de préstation de serment du nouveau chef de l’Etat de la transition), le Conseil économique, social et environnemental, le Centre gabonais des élections »…les frontières du Gabon resteront » fermées jusqu’à nouvel ordre », ont encore annoncé les auteurs du coup de force.
Au regard de tout ce qui précède, il sied de noter que les militaires qui ont perpétré le coup d’Etat au Gabon sont pour la plupart des jeunes officiers de la génération de l’ère Ali Bongo. Le président renversé après 14 ans de règne a été durant 10 ans, sous Omar Bongo, de 1999 à 2009, ministre de la Défense. C’est donc une armée forgée par Ali Bongo constituée des jeunes officiers promus sous son magistère et qui ont servi à la fois le père et le fils qui a retourné les armes contre son parrain.
Quant à Brice Oligui, dernier aide de camp de Omar Bongo, il a remplacé à ce poste le Général Flavient Nzengui nommé ministre des Travaux publics. Le Général Oligui connait les arcanes du système Bongo. Ayant eu à gérer l’agenda officiel et secret de Omar Bongo, il était certes un homme du système mais qui, selon ses proches, a fait preuve de sursaut patriotique à travers une opération qui sonne comme une révolution salutaire de palais.
C’est dans ce contexte que devant la société civile, le Général Oligui a déclaré : « pour renverser un système, il fallait être à l’intérieur du système ».