Par Ould Amar Yahya, Economiste, Banquier, Financier
Les bouleversements en cours sont en train de façonner les évolutions politiques et économiques de ce 21ième siècle. Pour les pays africains, ces bouleversements ont pour la plupart des impacts inflationnistes, un alourdissement considérable des dettes, une baisse des financements extérieurs et une réduction des revenus d’exportation pouvant entretenir des tensions sociales explosives et une instabilité permanente.
Dans un contexte de superposition et chevauchement de grands changements liés : aux coûts exorbitants de la transition énergétique imposée aux économies africaines avec l’abandon à terme de l’exploitation de leurs ressources pétrolières, à l’impact du vieillissement des populations dans les pays développés y compris en Chine, à la «remondialisation » et à l’avènement de l’intelligence artificielle, les pays africains seront poussés pour éviter le chaos et la désolation à renforcer l’intégration continentale de leurs économies, à développer leurs industries locales et à investir massivement dans l’éducation, la santé et l’innovation.
Ces bouleversements sont porteurs de grands risques, mais aussi d’opportunités pour des économies africaines diversifiées donnant une priorité à la modernisation technologique.
Transition énergétique : coûts exorbitants pour l’Afrique
Certes, la transition énergétique vers des sources d’énergie plus propres et durables est un processus nécessaire pour lutter contre le changement climatique, réduire les émissions de gaz à effet de serre et assurer la sécurité énergétique à long terme. Bien que cette transition énergétique nécessite des investissements colossaux, elle génère également des avantages à long terme, tels que des économies de coûts liées à la réduction de la dépendance aux énergies fossiles, des avantages environnementaux, la création d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables, et la stimulation de l’innovation technologique. Les coûts de production des énergies renouvelables continueront aussi de baisser à mesure que la technologie s’améliore et que l’échelle de production augmente, ce qui rend la transition énergétique de plus en plus économiquement viable, mais à long terme.
Cependant, pour l’Afrique, avant d’arriver à ce long terme prometteur, il y a des risques réels d’écroulement des états conséquence des difficultés structurelles intrinsèques au sous-développement, amplifiées par les crises économiques successives, qui obligent les pays africains à prioriser la gestion du court et moyen terme, voire même du quotidien.
L’Afrique a-t-elle les moyens de mener cette couteuse transition énergétique, en s’endettant davantage et s’engageant sur des normes destinées aux pollueurs dont elle n’a jamais fait partie, engagement la privant de ses richesses pétrolières à un moment où le continent croule sous le poids de la dette, menacé de famine, d’instabilité voire de chaos, dans l’indifférence des promoteurs de cette même transition. La pandémie de la Covid a montré aux africains les limites de la coopération internationale.
Il s’agit pour l’Afrique d’un choix qui n’est pas neutre sur le quotidien de ses populations et d’un agenda de transition qu’elle ne peut respecter sans une solidarité internationale concrète et des compensations financières équitables. De dures négociations en perspectives, que seule l’Union africaine pourrait mener au nom de tous.
L’agenda des pays africains depuis leurs indépendances demeure la transition vers le développement économique dont ils n’ont jamais pu obtenir le financement suffisant.
Cette transition va coûter cher à l’Afrique, pour plusieurs raisons :
- Des investissements initiaux colossaux relatifs à la mise en place de nouvelles infrastructures énergétiques propres et durables, telles que les parcs éoliens, les centrales solaires, les réseaux électriques intelligents et les systèmes de stockage d’énergie ;
- Des coûts de technologie et de production plus élevés que les énergies fossiles traditionnelles ;
- Une intégration couteuse aux réseaux électriques existants. Des investissements sont nécessaires pour mettre à niveau et adapter les réseaux électriques afin de gérer efficacement la variabilité des sources d’énergie ;
- Des subventions et incitations fiscales aux entreprises et aux particuliers qui adoptent des technologies propres, pour encourager la transition énergétique. Ce qui entraînera des coûts budgétaires importants pour les états ;
- Un développement de nouvelles compétences pour la conception, la construction, l’exploitation et la maintenance des nouvelles infrastructures et technologies. La formation de cette main-d’œuvre engendrera des coûts supplémentaires ;
- Une rénovation et/ou remplacement d’infrastructures existantes pour les rendre plus économes en énergie et moins polluantes. Cela entraînera également des coûts importants.
- Des coûts de réglementations environnementales et de conformité obligeront les entreprises à investir dans des technologies plus propres et à se conformer à des normes environnementales, ce qui entraînera des coûts supplémentaires.
Vieillissement de la population dans les économies développées et en Chine : impact sur les économies africaines
Le vieillissement de la population dans les pays développés et en Chine entraînera, une baisse du nombre d’actifs, des pénuries de main-d’œuvre, une hausse des dépenses publiques liée aux soins médicaux et retraites, une baisse de recettes budgétaires par habitant, un endettement dans un contexte de hausse de taux d’intérêt. La contrainte clé de pénuries de main-d’œuvre et autres, alimentent aujourd’hui l’inflation aux États-Unis, puisqu’un marché du travail tendu maintient la croissance des salaires à un niveau élevé.
Une probable et inédite «récession de plein emploi» n’est plus exclue dans les pays développés – en raison du vieillissement de la population – entrainant une dégradation importante de la productivité et des marges bénéficiaires des entreprises avec des difficultés pour les banques centrales de mettre en place des politiques monétaires efficaces pour faire face aux conséquences de choix politiques liés au vieillissement.
Pour l’Afrique, le vieillissement dans les économies développées va entrainer une :
- Diminution de l’aide au développement puisque les économies développées seront confrontées à des pressions budgétaires accrues en raison des coûts croissants liés au vieillissement de leurs populations ;
- Baisse de la demande de matières premières en raison de la faiblesse de la croissance économique conséquence du vieillissement de la population, ce qui aura un impact négatif sur les exportations et les recettes budgétaires dans de nombreux pays du continent.
Comment l’Afrique pourrait gérer l’impact du vieillissement dans les économies développées, elle dont la jeunesse entre 15 et 35 ans représente 77% de sa population ?
La cherté des produits fabriqués dans ces économies vieillissantes dont la Chine, sera telle que l’Afrique n’aura de choix que de produire localement les besoins de ses marchés.
Il est donc essentiel que les pays africains développent des politiques axées sur : l’investissement dans l’éducation et la formation pour améliorer la qualité de la main-d’œuvre, la promotion de l’innovation et de la diversification économique.
«Remondialisation» : impact sur les économies africaines
La fragmentation de la mondialisation est en train de se produire dans les secteurs stratégiques de confrontation géopolitique, tels que la technologie, la sécurité et la défense.
La mondialisation change de nature à travers l’accent mis par les pays sur le renforcement des liens régionaux et la formation de blocs économiques pour les secteurs sensibles et stratégiquement importants.
Les économies développées ne peuvent plus produire autant, sans déclencher une inflation plus élevée. Les contraintes d’approvisionnement seront une caractéristique permanente en raison des bouleversements en cours. La fragmentation géopolitique et celle des chaînes d’approvisionnement mondiales devraient faire grimper les coûts de production.
Un découplage à grande échelle de la Chine est inconcevable afin de renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement et permettre au monde entier de bénéficier de la double transition vers les économies vertes et numériques.
Cette « remondialisation » entrainera :
- Un ralentissement de la croissance économique conséquence de la diminution : des échanges commerciaux, de l’investissement transfrontalier et de la coopération économique ; ce qui limiterait la croissance économique mondiale.
- Des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement eu égard aux interconnections des économies, entrainant des retards de production, une augmentation des coûts et une diminution de l’efficacité économique.
- Une Incertitude pour les entreprises en raison de la volatilité politique et économique associée à la fragmentation, rendant plus difficile toute planification à long terme et décision d’investissement.
- Une diminution de l’efficacité économique liée à la remise en cause de la spécialisation économique des pays qui résultait d’une allocation plus efficace des ressources.
Les économies africaines doivent s’attendre à :
- Une baisse de leurs exportations entrainées par celle du commerce international ou des barrières commerciales accrues
- Une diminution de l’investissement étranger direct conséquence des incertitudes liées à la fragmentation mondiale pouvant dissuader les investisseurs étrangers d’injecter des capitaux dans les économies africaines
- Une réduction de l’aide au développement en raison des priorités économiques internes croissantes, dans les économies développées,
- Des fluctuations des prix des matières premières exacerbées par la fragmentation de la mondialisation.
L’Afrique sera poussée :
- Au développement de son industrie locale et à sa diversification économique pour réduire ses dépendances à l’égard des marchés mondiaux, notamment celles liées à la production alimentaire, aux technologies et à la santé ;
- A l’intégration économique continentale en développant des partenariats commerciaux et en favorisant les échanges intra-africains, stimulant ainsi la croissance économique au sein du continent ;
- A la diversification des partenaires commerciaux pour explorer de nouveaux marchés au-delà des économies développées.
L’avènement de l’intelligence artificielle
Le développement de l’intelligence artificielle remodèlera les secteurs d’activité et les entreprises à travers le monde entrainant une augmentation des marges bénéficiaires, en particulier pour les entreprises ayant des coûts de personnel élevés ou une grande partie des tâches pouvant être automatisées, créant de nouveaux produits, de nouveaux besoins, de nouvelles activités, … Cependant les retombées positives de ce développement ne se feront pas sentir avant les quinze prochaines années.
En conclusion, le monde vivra à court et moyen termes avec une inflation persistante, conséquence des bouleversements en cours. La dégradation des pouvoirs d’achat qui en résultera se traduirait vraisemblablement par une montée des troubles sociaux et des protestations populaires notamment en Afrique, à moins de mise en place de politiques budgétaires appropriées.
Ould Amar Yahya, Economiste, Banquier, Financier