À J-30, Marrakech, éprouvée mais debout, est prête à accueillir la plus importante rencontre économique et financière du monde. Pour Abdellatif Jouahri, le Gouverneur de Bank Al-Maghrib, la Banque Centrale Marocaine, ces Assemblées Annuelles du FMI et de la Banque Mondiale, qui ont lieu du 9 au 15 octobre 2023 dans la ville ocre, sont l’occasion de se pencher sur les réformes majeures de l’architecture de la finance mondiale, d’aborder la question de la dette (l’initiative G20 peine à rallier la Chine et les créanciers privés), de la sécurité alimentaire, de la fiscalité internationale et, entre autres, de donner plus de place à l’inclusion financière dans les politiques publiques. Des concertations permanentes sont en cours au sein de l’Association des Banques Centrales Africaines (ABCA).
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En outre, le caucus africain, formé des Ministères des Finances, des Gouverneurs de banques centrales et de représentants du continent au sein des deux Institutions s’est réuni récemment au Cap-Vert (juin 2023) pour accorder ses violons. «Des concertations techniques qui facilitent la prise de parole au nom du groupe africain », explique M. Jouahri qui préside le Comité scientifique des Assemblées.
En poste à la Banque Centrale depuis 20 ans, le Doyen africain et arabe des Gouverneurs de banques centrales, par ailleurs, ancien Ministre marocain des Finances, était au front lors de la crise économique des années 80, suivie des douloureuses politiques d’ajustements structurels. De ces épreuves, le banquier central en a tiré une sorte de ligne de conduite à vie: «il faut coûte que coûte préserver les équilibres macroéconomiques », déclare-t-il, le 12 septembre 2023, lors d’une conversation par visioconférence avec un groupe de journalistes représentatifs du continent dans sa diversité. Justement, beaucoup de pays africains, rangés pour la plupart dans la catégorie de pays à faibles revenus et pays à revenus intermédiaires /tranche inférieure, voient avec inquiétude la montée du service de la dette extérieure dans leurs budgets. Cette problématique de la dette, liée à celle générale du financement du développement et de la transition écologique, pose la question du devenir de la mission des organisations internationales et particulièrement de la mission des banques de développement et de la «Banque Mondiale». «Nous constatons que sur la dette, il est difficile de réunir à la fois les bailleurs publics et privés », rappelle le Gouverneur, invitant les participants à aller plus loin que l’initiative G20.
Difficile d’échanger avec le Gouverneur d’une banque centrale africaine sans aborder la question à la fois structurelle et conjoncturelle de la Dollarisation. Sur ce point, le Royaume du Maroc s’inscrit dans la logique rationnelle en plaçant davantage ses réserves en euros (60%), monnaie de l’Union Européenne, son principal partenaire. Le dollar n’est pas du reste, constituant 40% des réserves marocaines en tant que monnaie de facturation des importations de pétrole et des exportations de phosphates.
De la ZLECA et de son potentiel
De manière plus générale, le Gouverneur de Bank Al-Maghrib est plutôt partisan de la concrétisation de la Zone de libre-échange continental (ZLECA).
Aussi les questions actuelles sur la dédollarisation de l’économie mondiale ne doivent pas s’affranchir de la réalité de l’économie mondiale. Le dollar reste prépondérant et, par exemple, l’euro, après 23 ans, ne représente que 20% des réserves de change mondiales.
Bref, le Gouverneur appelle l’Afrique à développer les complémentarités économiques et commerciales dans le cadre de cette zone de libre-échange inédite.
De la vertu des équilibres macroéconomiques
En attendant, le Maroc poursuit une collaboration soutenue avec la Banque Mondiale et le FMI avec, depuis 2012, la mise en place d’une ligne de précaution et de liquidité pour faire face aux chocs exogènes. Renouvelé tous les deux ans, cet instrument n’a pas fait l’objet de décaissement de 2012 à 2019. Le Maroc a fait recours à cette ligne durant la pandémie de la Covid-19 en débloquant environ 3 milliards de dollars. Avec la crise Russo-ukrainienne, le Royaume a encore pris les devants anticipant sur de possibles chocs extérieurs pouvant peser sur ses avoirs extérieurs. Ainsi, une ligne modulable de 5 milliards de dollars a été mise en place avec le FMI. «C’est une ligne de précaution qui ne sera utilisée qu’en cas de choc exogène ». Pour bénéficier d’un tel mécanisme, le Royaume a du satisfaire à trois conditions : «d’abord ne pas être sur la liste du GAFI, disposer d’un déficit budgétaire contenu et d’un endettement maîtrisé. En troisième point, justifier de réserves de change confortables, entre 5 et 6 mois dans notre cas ». L’octroi de cette ligne est avant tout, une reconnaissance, selon les dires du FMI, des « très solides politiques économiques, cadres institutionnels et fondamentaux économiques, ainsi que de son engagement à maintenir ces politiques à l’avenir ».
Le déblocage de la ligne de précaution réaffirme l’importance pour les pays et les banques centrales au respect des équilibres macroéconomiques. La ligne de précaution a servi de levier permettant au Maroc de lever 2,5 milliards de dollars sur le marché international «à des conditions intéressantes et à des niveaux de souscription élevés ».
De la réforme du Dirham
Du reste, il y a encore ce grand chantier de la réforme du Dirham. « Nous avons volontairement commencé une transition pour passer d’un régime de change fixe, accroché à ce panier de devises (euros et dollars) » synthèse des échanges du pays avec l’extérieur, à un régime flexible. Cette réforme devrait à terme, promet Jouahri, aboutir à un ancrage de la politique monétaire plutôt axé sur le taux d’inflation.
La question complexe de la monnaie n’étant en définitive que le reflet de l’économie, le Maroc reste un pays où «Gouverner c’est pleuvoir ». Cette phrase du Général Lyautey est encore d’actualité. La preuve, la croissance du PIB qui a régressé de 8% en 2021 à 1,3% en 2022. Entre les deux années, les récoltes de céréales sont passées de 103 millions de quintaux à 34 millions, une variation abyssale qui traduit l’écart de pluviométrie entre les deux périodes. C’est pourquoi, plus que la déclaration de Marrakech qui fera le bilan du multilatéralisme, les milliers de petits agriculteurs de la région du Haouz espéreront que les 14 000 délégués prévus à cet événement viennent avec un peu de pluie.
Aux côtés de l’Agriculture, le Maroc qui équilibre ses exportations avec les exportations des phosphates et des engrais (12 milliards de dollars), de l’Automobile (11 milliards de dollars), du tourisme (10 milliards de dollars) et des transferts de sa diaspora (10 milliards de dollars) voit dans ce rendez-vous africain de Marrakech, qui interviendra un mois après un séisme dévastateur, soit l’occasion d’un nouveau départ pour le financement du développement. Pour cela, la mobilisation et la coordination des représentants africains sera indispensable.