Par Abderrahmane MEBTOUL professeur des universités, docteur d’ Etat et expert international
Le premier ministre algérien vient d’annoncer, le 17 septembre 2023, une révision du calcul du PIB sans divulguer la méthode, le faisant passer, dernières estimations de 191,91 milliards de dollars (source FMI), à 233 milliards de dollars fin 2022 et un PIB par tête d’habitant de 5187 dollars contre 3995,58 dollars (source Banque mondiale), soit un écart énorme de 17,60 %entre les nouvelles données du gouvernement et celles des institutions internationales.
Je viens de recevoir deux courriers officiels de Washington, les 19 /20 septembre 2023, en tant qu’expert international de la part d’un haut responsable conjointement de la Banque mondiale et du FMI, un économiste travaillant sur la région du Maghreb, Emmanuel Cuvillier qui, selon ses propres propos, je le cite; « comment par miracle le gouvernement algérien qui, dans un passé récent, en juin 2023, se référait aux données internationales dont les données qu’il a lui même transmises au FMI et à Banque mondiale , qui les ont ajustées selon des tests de cohérence, a fait passé son produit intérieur brut, le PIB de 2022, de 187 milliards de dollars, selon les données internationales, à 233 milliards de dollars soit un accroissement de près de 46 milliards de dollars ? Il faudrait que le gouvernement algérien donne sa méthode de calcul en référence aux standards internationaux, renvoyant à un système d’information fiable et à un système de prix cohérent, condition pour effectuer le classement et les comparaisons internationales, s’il veut que ses nouvelles données soient prises en compte.
Les rapports du FMI et de la Banque mondiale, notamment le calcul du PIB, ne concernent pas seulement l’Algérie mais la majorité des pays et se réfèrent à des ratios internationaux réactualisés périodiquement …..Pour la sphère informelle, il est presque impossible de l’intégrer dans le calcul du PIB du fait surtout, pour la majorité des pays en voie de développement, des difficultés d‘évaluation et souvent des données contradictoires ».
1.-Pour le FMI, la Banque mondiale , l’OCDE, dont les données sont publiées officiellement, pour l’Algérie les indicateurs macro-économiques sont les suivants pour 2022 : le PIB courant est de 191,91 milliards de dollars (57ème position sur 194 pays) le PIB par tète d’habitant de 3995,58 dollars ( 122ème position) le PPA de 15558 dollars ( 84ème position), le taux de chômage de 14/15/%, incluant la sphère informelle et les emplois rente , le taux d’ inflation (moyenne 2022) de : 9,7% ; un solde budgétaire de -12,3% du PIB ; une dette publique de 63% du PIB , l’encours de la dette extérieure à moyen et long terme, faible de 1,3 milliard de dollar. La situation financière en 2022 est relativement bonne grâce essentiellement aux cours des hydrocarbures représentant avec les dérivés inclus dans la rubrique hors hydrocarbures selon les statistiques douanières de fin 2022 pour 67% du total de la valeur et ayant permis 85 milliards de dollars de ‘réserves de change fin août 2023 . Contrairement aux rapports internationaux , le premier ministre annonce une révision du calcul du PIB sans divulguer la méthode et après réévaluation, le PIB a atteint 233 milliards de dollars en 2022, et le PIB moyen par habitant a atteint 5187 dollars pour la même année. Selon les organisations internationales FMI, Banque mondiale, OCDE, OMC, le groupe des BRICS et afin de pouvoir faire des comparaisons objectives entre pays. Il n’appartient pas à un Etat de calculer son PIB selon sa propre méthode, sans une collaboration internationale. Le calcul objectif du PIB doit reposer sur une information fiable permettant des comparaisons internationales en référence à des standards internationaux . Si les données sont biaisées au niveau micro économique , la sommation au niveau national est donc forcément biaisée ne reflétant la situation économique réelle d’un pays donné et dans ce cadre la numérisation par des calculs exacts donnera une fausse appréciation ( voir ouvrage du professeur Abderrahmane Mebtoul ,Office des Publications Universitaires OPU Alger 1982, cours de doctorat – valeur , prix et croissance économique)) .Dans la majorité des pays et des institutions internationales , le calcul du PIB correspond à la somme des valeurs ajoutées (du secteur public et privé) à laquelle s’ajoute la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mais aussi les taxes sur des produits particuliers comme les produits pétroliers, le tabac et l’alcool ou encore les produits importés (droit de douanes). En contrepartie de ces taxes, les subventions reversées par l’État sont logiquement retranchées. Le produit intérieur brut au prix du marché vise à mesurer la richesse créée par tous les agents privés et publics au niveau national pendant une période donnée , en l’occurrence l’année , représentant le résultat final de l’activité de production des unités productives résidentes. IL peut se calculer de trois façons :premièrement, selon l’optique de la production, en faisant la somme des valeurs ajoutées de toutes les activités de production de biens et de services et en y ajoutant les impôts moins les subventions sur les produits ;deuxièmement selon l’optique des dépenses, en faisant la somme de toutes les dépenses finales (consacrées à la consommation ou à l’accroissement de la richesse) en y ajoutant les exportations moins les importations de biens et services ;troisièmement selon l’optique du revenu, en faisant la somme de tous les revenus obtenus dans le processus de production de biens et de services (revenus salariaux, excédent brut d’exploitation et revenu mixte) et en y ajoutant les impôts sur la production et les importations moins les subventions.
2.-Pour une appréciation objective, le calcul du PIB doit tenir compte de quatre déterminants. .Premièrement, le PIB global ne tient pas compte des inégalités On peut avoir un PIB moyen qui augmente alors que les revenus pour une majorité de la population T.Piketty et E. Saez ayant mené une étude aux Etats-Unis démontrent que la moitié de la croissance américaine est due aux individus les plus riches et Xavier Timbeau estime que cette correction des inégalités donnerait une mesure beaucoup plus juste de l’activité économique. Ainsi, la comparaison des niveaux de PIB permet de donner que des éléments quantitatifs qui ne sont pas toujours pertinents pour analyser des niveaux de bien-être et ne permet .pas de comparer des niveaux de satisfaction puisque la notion de niveau de satisfaction reste subjective et diffère selon les pays, les cultures ou encore les régions. Le PIB ignore ce qui est qualitatif, comme le bien être, les loisirs, la sécurité, , le niveau d’éducation, de santé et les libertés au sens large, qui contribuent au développement économique et social d’une Nation L’IDH l’indice du développement humain du PNUD qui intègre trois facteurs :l’espérance de vie à la naissance, car elle est significative des conditions de vie à venir des individus (alimentation, logement, eau potable…) et de leur accès à la médecine ; le niveau d’éducation, qui détermine l’autonomie tant professionnelle que sociale de l’individu et le revenu national brut par habitant, révélateur du niveau de vie des individus et ainsi de leur accès à la culture, aux biens et services, aux transports, me semble plus approprié. Car le PIB ignore ce qui est qualitatif, comme le bien être, les loisirs, la sécurité, , le niveau d’éducation, de santé et les libertés au sens large, qui contribuent au développement économique et social d’une nation. Deuxièmement, le calcul du PIB, utilise uniquement les prix du marché renvoyant au débat entre les économistes, les néo classiques ,les néo keynésiens et les marxistes sur la valeur , qui ne fait pas consensus , ne disposant pas de prix de marché pour le secteur non marchand.. Pour le secteur marchand, les prix résultent de la manipulation, d’un rapport de force ou d’un monopole, les prix du marché étant donc biaisés, notamment à cause d’un phénomène de « rentes »Aussi le PIB ne prend pas en compte, le travail non énuméré que l’on fait pour soi même(travail domestique dominant en Afrique), le bénévolat et le travailla au noir . Troisièmement, le PIB ne prend pas en compte les effets environnementaux . Certaines activités économiques créent des dommages non intégrés dans le calcul du PIB. dont les émissions de carbone qui ont un coût pour les générations futures , modifiant l’équilibre climatique dégradant l’environnement supporté par les générations futures , posant la question de l’arbitrage entre les urgences présentes et les inquiétudes futures. Quatrièmement, au niveau international le PIB est évalué en monnaie locale puis converti en dollar .Or toute dévaluation de la monnaie locale convertie en dollar lui-même fluctuant fait baisser le PIB en dollars courants le PIB , la réévaluation ayant un effet contraire, ce qui rend les comparaisons dans le temps hasardeuses.
En conclusion, . si l’ONS tient compte de l’emploi informel pour déterminer le taux de chômage, qu’en est-il du calcul du PIB qui selon le FMI et la Banque mondiale représenterait en 2022 pour l’Algérie entre 33/37% du PIB et contrôlant selon la Banque ‘Algérie plus de 6200 milliards de dinars au sein de la masse monétaire en circulation soit au cours de 137 dinars un dollar 45,25 milliards de dollars ,le Président de la république ayant dénoncé l’effritement du système d’information avait donné un montant variant entre 6000 et 10.000 milliards de dinars( voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul- Institut Français des Relations internationales IFRI Paris « ,les enjeux stratégiques de la sphère informelle -2013-reproduite en synthèse réactualisée dans la revue Stratégie IMDEP du ministère de la défense nationale octobre. On ne peut isoler la sphère réelle de la sphère monétaire, le cours du dinar sur le marché officiel étant passé de 5 dinars pour un dollar durant les années 1970, à 76 dinars pour un dollar vers lesannées 2020 et est coté le 21 septembre 2023 du 21 au 25 septembre 2023 137,0471 dinars un dollar et 146,2567 dinars un euro. Sur le marché parallèle, le 22 septembre 2022 l’euro s’échange à 227 dinars à l’achat et 229 dinars à la vente et le dollar américain 210 dinars à l’achat et 212 dinars à la vente. Pour son équilibre budgétaire selon le FMI et en référence à la loi de finances 2023, l’Algérie a besoin d’un baril de pétrole à près de 149,2 dollars, dans son rapport d’octobre 2022 contre 135 dollars pour l’exercice 2020/2021 et 100/109 pour l’exercice 2019/2020.§qu’en sera-t-il pour la loi de finances 2024 où il est prévu une augmentation des dépenses, l’équilibre budgétaire dépendant avant tout des recettes de Sonatrach. Il donc est urgent afin d’éviter des discussions byzantines qui nuisent aux intérêts supérieurs de ‘l’Algérie , d’éclairer l’opinion publique sur la nouvelle méthode de calcul du PIB afin que les médias qui souvent répercutent des données fournies par les officiels, puissent fournir une information sur une base objective.