« Le contrat de partage de production confère aux Etats un rôle très important, de veille et de contrôle absolu »
Au lendemain de la première édition des Journées Pétrole organisée du 31 mai au 03 juin 2023 par le 3M-Partners & Conseils, cabinet africain spécialisé dans les hydrocarbures, Gacyen Mouely Mouanga, associé co-gérant de 3M-Partners & Conseils, était de passage dans les locaux de Financial Afrik. Le responsable a évoqué, entre autres, la démarche du cabinet qu’il dirige, notamment sur la démocratisation du secteur des hydrocarbures en Afrique.
Début juin 2023, vous organisiez les Journées pétrole à Dubaï. Quel bilan pouvez-vous faire de cet événement ?
L’objectif de cette première journée pétrole, c’était de pouvoir réunir des Africains, les acteurs africains du secteur des hydrocarbures sur des problématiques communes. Nous avons réussi à mobiliser six pays producteurs de pétrole africains qui représentaient quinze administrations, et nous avons eu le plaisir et l’honneur de recevoir deux ministres, dont la vice-ministre des Hydrocarbures de la République démocratique du Congo qui a procédé à l’ouverture des Journées Pétrole. Nous avons également eu le ministre du Pétrole et du Gaz du Gabon qui, lui, a procédé à la clôture de ces journées. Il y a deux points principaux à retenir. Nous avons réussi à réunir des Africains de manière à échanger sur des problématiques communes sur un sujet hautement stratégique que sont les hydrocarbures. Deuxième, élément que nous avions pu également retenir, c’est que le cabinet 3M Partners a permis à de nombreuses administrations de disposer d’outils importants dans la meilleure gestion des hydrocarbures à travers les contrats de partage de production.
Dans le fond, la rencontre portait sur les Contrats de partage de production. Pouvez-vous revenir sur la définition de ce cadre particulier liant les États producteurs et leurs partenaires privés ?
Le contrat de partage de production est un dispositif juridique qui permet de mettre en relation un État et une société pétrolière. La particularité de ce contrat, c’est que l’Etat est le propriétaire du sol et du sous-sol et donc, en conséquence, il est le propriétaire de la production en cas de découverte. La philosophie du contrat est que, une fois qu’on a trouvé du pétrole, les opérateurs seront remboursés d’abord de leur investissement et ensuite la partie de la production restante va être partagée entre l’Etat d’une part, et la compagnie pétrolière. Ce mécanisme permet à nos Etats de pouvoir disposer de façon permanente et régulière de recettes tout au long de la durée de vie du contrat, tant qu’il y aura de la production, ce qui est quelque chose de fort appréciable. Deuxième élément, autre particularité, c’est que ce contrat confère à l’Etat des prérogatives qui sont importantes. Premièrement, c’est de pouvoir autoriser l’ensemble des opérations et activités qui vont se dérouler. Ensuite, elle a une deuxième prérogative, c’est de pouvoir collecter des données issues de différentes activités qui auront lieu durant toute la vie du contrat, c’est-à-dire en phase d’exploration, en phase de développement et en phase d’exploitation. La troisième prérogative, c’est le contrôle qui, permet aujourd’hui à nos Etats d’avoir un œil et un suivi sur l’ensemble des activités qui se font sur la durée de vie du contrat. Contrairement aux contrats de concession où là l’Etat n’a qu’un rôle de collecteur d’impôts, alors que là, l’Etat a un rôle direct où il peut intervenir à tout moment et surtout avoir un contrôle sur l’ensemble des opérations qui sont menées. Enfin le dernier point, c’est que le contrat de partage de production a un spectre beaucoup plus important d’intervention, car il ne se limite pas aux aspects techniques, mais également, il couvre les aspects financiers, administratifs, sociaux et environnementaux. Donc, il permet d’avoir un impact beaucoup plus grand dans l’économie ou l’écosystème d’un pays.
Par rapport au contrat de concession, c’est une grande avancée. Mais est-ce que le fait que les opérateurs privés aient à évaluer les investissements réalisés dans le cadre du contrat de partage de production (CPP), constitue un paramètre qui échappe aux États ?
Parmi les prérogatives, il y a le contrôle, il y a l’approbation. Donc, en amont, l’Etat a la possibilité de pouvoir contrôler. Mais surtout d’évaluer les investissements qui sont proposés à travers ce qu’on appelle un mécanisme de comité technique qui permet aux opérateurs de venir présenter les travaux qu’ils comptent faire ainsi que les investissements associés. L’Etat, à travers ses ingénieurs a la possibilité de pouvoir remettre en cause et donc de valider ou pas ces travaux qui sont proposés. Et donc là, l’Etat a vraiment un rôle très important, de veille et de contrôle. Il autorise et valide les budgets en amont avant qu’ils ne soient réalisés. Ce qui lui confère aujourd’hui plus de pouvoirs, mais surtout un meilleur contrôle des activités réalisées.
En termes de recommandations, quelles sont les mesures à prendre par les pays producteurs pour maximiser les recettes issues de l’industrie extractive ?
Il y a plusieurs recommandations. La première, c’est aujourd’hui l’appropriation du contrat à travers les droits et les obligations qui incombent à chacune des parties. Un des éléments clés dans ces droits, c’est le pouvoir de contrôle qui est conféré à l’Etat dans la gestion des contrats pétroliers, celui-ci doit s’exercer de façon régulière et permanente tout au long de la vie du contrat. Pour exemple, nous avions accompagné un pays il y a quelques années, avant la mission de contrôle d’audit, ce pays avait sollicité un emprunt bilatéral. L’audit a révélé que l’opérateur a déclaré des dépenses qui ne sont pas éligibles au contrat. Ces dépenses ont été retirées, et dès lors qu’elles sont retirées, elles viennent augmenter la cote part de production qui revient à l’Etat, donc des revenus en conséquence. Au sortir de l’audit, ce pays a décidé de surseoir à sa volonté d’emprunter, parce que les conclusions de l’audit ont permis de faire rentrer dans les caisses des sommes importantes. Enfin la deuxième recommandation, le dispositif juridique mis en place à travers les contrats confère aux différents acteurs signataires la possibilité de pouvoir émettre un avenant, c’est-à-dire, une modification aux conditions du contrat. L’esprit du contrat de partage de production (CPP) se veut être un contrat gagnant-gagnant. Dès lors qu’on se rend compte que l’économétrie du projet n’est plus respectée, les parties signataires peuvent émettre un avenant. Ce que nous constatons dans la pratique, c’est que ce dispositif n’est souvent actionné que par les compagnies pétrolières et non par les États. Donc, ce que nous demandons aujourd’hui, c’est de dire à nos Etats qu’ils ont ce dispositif qui existe. Et donc il convient tout au long de la vie du projet de regarder si les équilibres sont toujours respectés et s’ils ne le sont pas. Il y a la possibilité de pouvoir agir avec la mise en place d’un avenant.
Vous êtes présentement en visite à Dakar, que pensez-vous de l’approche retenue par l’Etat en matière de gestion des ressources pétrolières ?
Nous avons pu constater que le Sénégal a aujourd’hui en train de se doter d’un certain nombre d’outils pour une meilleure gestion des ressources des zéro carburant. Nous avons notamment la mise en place d’un contrat de partage de production qui a fait l’objet d’un benchmarking permettant au Sénégal d’éviter les écueils, mais aussi les anomalies et faiblesses constatées dans d’autres contrats. Autre élément important, c’est la création d’un Institut du pétrole qui permet aujourd’hui de former des personnes dans les différents métiers du pétrole de manière à les utiliser et obtenir des personnes compétentes. Troisième élément qui novateur, c’est la prise en compte du contenu local. C’est-à-dire privilégier les entreprises locales au détriment des entreprises étrangères dans le but de pouvoir d’une part, assurer un transfert de connaissances, mais aussi de capter l’ensemble des flux financiers issus des activités de sous-traitance de manière à les réinvestir, mais aussi faire bénéficier l’économie locale de ces flux de trésorerie qui sont souvent très importants.
Pourquoi les pays pétroliers du Golfe Arabo Persique sont excédentaires en liquidités et les pays africains producteurs sont endettés ?
Il y a deux volets. C’est premièrement la vente des produits des hydrocarbures sont cotées sur les marchés internationaux sur la base de leur qualité. C’est-à-dire, plus les hydrocarbures que nous produisons sont de meilleure qualité (plus liquides, moins de paraffine), ce sont des produits à l’international se vendent à des prix beaucoup plus importants. Au sud du Sahara, la qualité de brut que nous avons est souvent de moins bonne qualité, par conséquent, le prix sur le marché est beaucoup moins important, donc un flux de trésorerie moins important. Deuxième élément également, les pays pétroliers du Golfe Arabo Persique ont réussi à pouvoir se doter d’infrastructures permettant la transformation de ces produits de manière à obtenir des produits dérivés ou finis qui sont réinvestis localement. Or, nous nous exportons ces produits bruts, ensuite les importer sous forme de produits finis, avec une valeur ajoutée beaucoup plus importante et à des prix aussi plus importants. C’est ce qui crée le déséquilibre en trop que vous évoquiez précédemment.
Que faire pour y remédier ?
Il faut plus de transformation sur place. Il faut également arriver à travers les revenus du pétrole de transformer nos économies pour ne pas être des économies de rente, mais des économies qui puissent, à travers le pétrole, transformer l’économie et ainsi impacter au mieux les retombées auprès des populations.
Quid du prochain événement de 3M-Partners & Conseils ?
Les Journées pétrole veulent s’inscrivent dans la durée et veulent être un rendez-vous indispensable pour les acteurs africains des hydrocarbures. Nous avons tiré beaucoup d’enseignements de cette première journée où nous avons capitalisé énormément sur les préoccupations, les problématiques que rencontrent les administrations. Et actuellement, nos équipes travaillent de façon active dessus, car l’objectif des journées pétrole, ce n’est pas seulement de faire un rendez-vous de rencontres, mais un cadre où nous pouvons apporter des solutions sur mesure à chacune des administrations. Et donc, pour cela, nous travaillons encore de manière à apporter pour la prochaine édition des thématiques qui puissent être utiles pour nos administrations.