« La Badea est une institution qui mérite d’être notée triple A »
Financial Afrik a échangé avec le président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) en marge de la 8e édition de l’Africa SME Champions Forum tenue les 5 et 6 octobre 2023 à Lomé. Dr Sidi Ould Tah évoque, entre autres, le rôle de son institution dans le financement des PME, les notations attribuées à cette dernière par les agences de notation ainsi que sa collaboration avec le gouvernement togolais. Exclusif !
Propos recueillis par Nephthali Messanh Ledy
Comment se porte aujourd’hui la Badea ?
La Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) est aujourd’hui dans une phase de transformation profonde qui devrait lui permettre, mais aussi aux autres institutions du groupe de coordination arabe, d’avoir beaucoup plus d’impact sur le continent africain et de contribuer de manière significative au développement économique et social du continent et du secteur privé africain, en particulier de la petite et moyenne entreprise (PME).
S&P Global a confirmé, en septembre dernier, votre notation ‘AA’ avec une perspective positive. La Badea a également été notée AAA avec perspective stable par la Japan Credit Rating Agency (JCR). A quoi vous devez ces performances ?
J’ai toujours cru et je l’ai toujours dit que la BADEA a été une institution dont la note est le triple A. Ceci dit, comme la Banque n’a jamais été notée avant 2022, il était évident que certaines agences pouvaient, eu égard au contexte, être un peu plus prudentes. Mais avec le temps, on réalise que la note réelle de la banque, c’est le triple A, ce qui a été confirmé récemment par le JCR. Et aussi, S&P Global a rehaussé la perspective de la BADEA de stable à positive. Nous demeurons convaincu que la BADEA mérite une notation triple A au regard de ses performances surtout les métriques prises en compte notamment : la performance du portefeuille, le faible taux de prêts non performants, le profil de risque financier, le soutien de son actionnariat et sa structure de gouvernance.
Vous avez signé une convention de financement en marge de l’Africa SME Champion Forum avec le gouvernement du Togo. Sur quoi porte-t-elle ?
Comme vous le savez, la Banque arabe pour le développement économique en Afrique opère au travers d’un cadre stratégique dénommé BADEA 2030 qui s’articule autour de quatre axes majeurs. Et les PME en sont un, et ce, avec accent particulier sur l’autonomisation des femmes et l’emploi des jeunes. Eu égard aux excellentes relations que la BADEA entretient avec la République togolaise, et comme la huitième édition de l’Africa SME Forum est organisée ici à Lomé, il était évident qu’on devait avoir un acte. Et c’est cet acte qui a été signé pour confirmer l’engagement de la BADEA avec le gouvernement togolais. Il s’agit de venir en appui dans le cadre d’une enveloppe globale de 10 milliards de francs CFA pour renforcer l’accès des PME togolaises au financement. Mais aussi, nous avons prévu un programme de renforcement des capacités qui devrait accompagner les PME dans leurs efforts pour développer leurs compétences, mais aussi pour accéder au marché, accéder au crédit et évoluer vers des perspectives plus prometteuses.
Parlant de ce forum organisé cette année sous le thème « Consolider la croissance des petites et moyennes entreprises ». Pourquoi la BADEA en est-il partenaire ?
Ça fait quelques années que la BADEA est partenaire stratégique de l’Africa SME Forum. Nous avons organisé, l’année dernière, la 7e édition en marge du conseil d’administration de la BADEA qui s’est tenue à Kampala (Ouganda). Auparavant, nous avions aussi organisé ensemble des éditions en Afrique du Sud et au Rwanda. Alors, pourquoi la BADEA s’est engagée pour être le partenaire de choix pour l’Africa SME Forum ? C’est très simple. Le rôle de la BADEA, c’est d’apporter sa contribution au financement du développement des pays africains. Et quand on regarde les chiffres, on se rend compte que plus de 90% des tissus économiques en Afrique sont constitués de PME. Alors que seulement 20% de ces micro-petites et moyennes entreprises en Afrique ont accès au financement.
Il était évident que les PME soient pami les priorités d’une institution de financement du développement qui s’intéresse à contribuer au financement du développement en Afrique. Et nous avons trouvé que le forum offre une plateforme extrêmement intéressante pour échanger avec les petites et moyennes entreprises, entendre leur voix, comprendre quels sont leurs problèmes, quelles sont les difficultés auxquelles elles font face, et comment ensemble, avec tous les autres partenaires, nous pourrions leur apporter des solutions adéquates.
Et qu’en est-il, à ce jour, de votre coalition annoncée en faveur des PME africaines ?
L’idée de la coalition est apparue quand nous étions en train de préparer notre stratégie BADEA 2030. Nous avons commencé par des concertations avec tous les acteurs concernés par le financement du développement en Afrique, qu’il s’agisse des bailleurs de fonds traditionnels bilatéraux et multilatéraux, mais aussi des gouvernements, de la société civile et du secteur privé. Il était très clair pour nous que beaucoup d’acteurs souhaitent apporter leur contribution au développement des PME en Afrique, mais quand on parlait à ces entreprises, quand on parlait aux acteurs sur le terrain, on se rendait compte qu’elles ne recevaient pas ce qu’elles cherchaient, qu’elles ne recevaient pas l’appui qui leur était destiné. Alors, il fallait comprendre pourquoi. Et on s’est rendu compte, dans le cadre de l’analyse des causes racines, que très simplement, chaque acteur essaie de régler une part des problèmes, mais aucun acteur ne peut régler tous les problèmes.
Par exemple, si un acteur met à la disposition des petites et moyennes entreprises quelques dons, ces dons ne vont pas permettre à ces institutions de se développer si elles n’ont pas des capacités pour grandir, pour élaborer des business plans, pour avoir des stratégies de développement. Et aussi, parfois, elles reçoivent des appuis sous forme de renforcement des capacités qui les forment sur le management, mais les aspects comptables et les aspects juridiques ne sont toujours pas pris en compte. Parfois aussi, elles reçoivent des offres financières à travers des banques, mais elles ne peuvent pas accéder à ces financements, tout simplement parce qu’elles n’ont pas les garanties requises. Donc, on s’est dit que si on ne met pas tous les acteurs autour de la même table, on ne pourra jamais faire avancer la cause des PME.
Il faudrait que tous se mettent autour de la même table pour aider les PME à être capables de préparer leurs business plans, à être capables d’avoir des comptes audités, à être capables d’avoir des stratégies de pénétration du marché, à être capables d’avoir une segmentation du marché pour qu’elles se focalisent sur leur cœur de métier et développer d’autres activités en parallèle. Et aussi, il y a un rôle des gouvernements pour faciliter l’insertion de ces entreprises dans le tissu économique parce qu’il y a parfois des obstacles juridiques, et parfois des obstacles fiscaux. Donc, la défiscalisation est une solution. Donc, on a besoin de l’État, on a besoin des acteurs de renforcement des capacités comme les fondations, on a besoin des banques commerciales, on a besoin des banques de développement, on a besoin des donateurs et des philanthropes qui peuvent faire des dons. On a besoin des fonds de garantie pour garantir les prêts qui sont accordés à ces PME. On a besoin de tout le monde autour de la même table pour qu’on travaille en harmonie. Parce que si un acteur s’engage seul, il ne pourra jamais apporter une solution efficace aux problèmes des PME.
Que diriez-vous donc à ces milliers de jeunes qui entreprennent tous les jours sur le continent ?
Aujourd’hui, je pense que l’Afrique recèle d’innombrables opportunités pour créer des emplois pour la jeunesse et pour autonomiser les femmes, pour tirer profit du dividende démographique. Il nous appartient, tous en tant qu’Africains, et particulièrement à la jeunesse africaine, de ne pas baisser les bras et de ne pas penser que la solution peut venir d’ailleurs. La solution ne peut venir que de nous-mêmes et il faut avoir l’audace de tenter son expérience d’entrepreneur. Il faut aussi avoir la persévérance de ne pas baisser les bras au premier échec. Il faudrait que nous tous, nous ayons l’audace et la persévérance nécessaires pour réussir ce pari qui est à notre portée.
Votre mot de la fin.
Soucieuse d’accompagner le secteur privé et les PME dans l’UEMOA, la BADEA s’est rendue compte qu’étant donné que ses prêts sont en dollars, cela posait problème en termes de risque de change pour les acteurs économiques. C’est pour cela que la BADEA a décidé maintenant de donner, dans la zone UEMOA et aussi dans la zone CEMAC, de faire des financements en euros. Et pour mieux maîtriser les risques de change, la BADEA est sur le point d’émettre des obligations en euros sur les marchés internationaux, en profitant de sa notation excellente AAA.