aDryada est une nouvelle structure qui a pour mission d’aider les territoires, les fonds et les entreprises à assurer une pérennité à long terme en veillant à la préservation de la biodiversité. Son fondateur, Fabio Ferrari, estime que face aux défis climatiques qui pèsent sur la biodiversité, il faut donner une valeur aux actions qui régénèrent et préservent cette dernière, puis créer un flux financier Nord-Sud associé. Entretien.
Alors que les villes et centres urbains africains connaissent une croissance rapide et qu’ils abriteront plus d’un milliard de personnes d’ici 2050, comment construire des économies écologiquement responsables ?
Vaste question qui appelle à première vue une liste à la Prévert de mesures ! Je pourrais en effet facilement citer l’élaboration de plans urbains qui intègrent la conservation de la nature dès le départ, la mise en place de zones protégées et de réserves naturelles à l’intérieur et autour des zones urbaines ou encore le développement de pratiques agricoles et forestières durables, pour réduire la pression sur les écosystèmes naturels…
Sauf que toutes ces idées, souvent évoquées, ignorent un fait : l’artificialisation des terres, facteur clef dans le dérèglement climatique et la perte de biodiversité, est produite par des hommes qui doivent couvrir leurs besoins primaires, c’est-à-dire se loger (urbanisation), se nourrir (agriculture) et se chauffer (coupe du bois) avant tout. Et face à ces besoins, la Nature n’est qu’un bien commun, vital au niveau planétaire mais sans valeur face à des hommes qui ont faim ou froid. Il a d’ailleurs largement été détruit dans la plupart des pays dits « développés ». L’Afrique, au contraire, possède encore un potentiel considérable en matière de préservation et régénération de la biodiversité en raison de sa richesse en espèces et de ses vastes habitats naturels.
Ce constat fait, deux actions fondamentales s’imposent alors au-delà de la liste à la Prévert, pour concilier urbanisation en Afrique et préservation de la Nature : donner une valeur aux actions qui régénèrent et préservent cette dernière, puis créer un flux financier Nord-Sud associé.
C’est précisément dans cette démarche que s’inscrit aDryada : nous développons des projets de reforestation à grande échelle, largement financés par des investisseurs privés internationaux. Ces projets, qui génèrent des crédits carbone de qualité vendus sur le marché volontaire, associent les populations locales dès leur création et sur 40 ans au moins. Ils participent ainsi au développement économique local tout en reconstituant un écosystème naturel riche en biodiversité.
Comment les pays africains doivent-ils agir pour intégrer la composante « verte » dans les grands projets, notamment liés aux infrastructures ?
De nombreux pays africains ont un fort potentiel de revenus « verts » sur un type de projets d’infrastructure bien particulier : la reforestation. Sur ces projets en effet, le mode de financement peut être comparable à celui mis en place pour la construction d’autoroutes ou d’aéroports par exemple : des investisseurs privés internationaux prennent le risque d’investissement lors de la phase de construction. Ils se rémunèrent ensuite en partie via la vente de crédits carbone sur le marché volontaire, lorsque la forêt commence à en générer (ce qui équivaut au péage sur une autoroute). Les avantages pour le pays hôte sont nombreux : non seulement il n’a pas à s’endetter auprès des bailleurs internationaux – ce qu’il doit souvent faire pour les grands projets d’infrastructures – mais en plus il fait financer du développement économique local et la reconstitution de ses forêts par des fonds privés étrangers.
Les populations africaines aspirent à connaître le même développement qu’ont connu les autres régions du monde. Est-il possible de construire un modèle de développement durable pour les pays africains qui aurait un impact moindre sur le réchauffement climatique ?
Heureusement la réponse est oui – comme déjà évoqué sur la question de l’urbanisation. Le sujet est avant tout celui du « comment », et plus précisément « comment créer un flux de financement Nord-Sud qui permettent effectivement d’aider les pays d’Afrique – et d’autres continents – de mieux lutter contre le réchauffement climatique et la perte de biodiversité ? ». La première option consiste à compter uniquement sur les grandes initiatives internationales de type Fonds Vert pour le Climat ou Mécanisme de Développement Propre. La seconde consiste à mettre en place un cadre qui rassure les investisseurs privés internationaux et débloquent leur financement. Sur les projets de reforestation – le domaine d’aDryada – cela suppose notamment l’existence d’un modèle de concession de long terme (au moins 40 ans) pour la création de forêts de type « puits de carbone », la possibilité donnée de générer des crédits carbone en euros ou en dollars et des conditions de partage des bénéfices sur les revenus carbone qui permettent la rentabilité du projet.
La déclaration de Nairobi, adoptée le 4 septembre 2023, rappelle que l’Afrique dispose d’environ 40% des ressources mondiales en énergies renouvelables, mais que seulement 2% des 3 000 milliards de dollars d’investissements dans les énergies renouvelables au cours de la dernière décennie, sont allés à l’Afrique. Comment expliquer ce fossé ?
Très simplement ! Par l’aversion au risque. Les investisseurs internationaux ont en effet le choix entre une multitude de projets dans le monde et cherchent naturellement ceux qui ont le plus fort potentiel et sont les moins risqués, au niveau politique, économique et social. Certains pays d’Afrique ne sont pas très bien placés sur ce critère.
Pour les projets de reforestation à grande échelle comme ceux que nous menons, le plus important il me semble est d’en tirer les leçons : pour les développer et contribuer ainsi à la croissance économique locale, nous avons besoin d’un cadre règlementaire clair sur les types de concessions et les crédits carbone volontaires notamment. Après, nous limitons les risques d’exécution du projet – majeurs pour investisseurs – en nous associant avec un ou des entreprises partenaires locales dont nous évaluons la solidité et la capacité de croissance. Nous impliquons également les populations directement impactées par le projet tout au long de la vie de ce dernier, en créant de l’activité et en participant à la création des infrastructures dont elles ont besoin (écoles, hôpitaux etc.). Non parce que nous serions une ONG, mais simplement pour nous assurer que ces populations porteront elles-aussi le projet. C’est ce qu’on appelle «diminuer le risque social» dans un langage investisseur…
Les projets de biodiversité peuvent-ils constituer un revenu économique important pour les pays africains et servir ainsi d’accélérateur de croissance ?
L’Afrique, comme évoqué, possède un potentiel considérable en matière de préservation et régénération de la biodiversité du fait de sa richesse en espèces et de ses vastes habitats naturels.
Alors oui, les projets comme ceux que développent aDryada – c’est-à-dire des projets de reforestation à forte composante biodiversité, menés avec les populations locales – peuvent attirer des financements privés importants dans certains pays d’Afrique. L’investissement initial peut être de plus de cent millions d’Euros par projet, hors revenus « carbone ». Et comme ils participent au développement économique local dans des zones reculées où, en général, les financements sont très faibles, ils sont indéniablement un levier à la croissance.
Pour les projets visant à conserver des zones riches en biodiversité hélas, il va sans doute falloir attendre l’émergence des « crédits biodiversité » pour que les flux financiers soient conséquents. Les crédits carbone ont en effet démontré leurs limites pour des projets de conservation, notamment en matière d’additionnalité. Les médias – The Guardian en tête – s’en sont largement fait échos.
Les méthodologies qui permettent d’associer ces crédits carbone à la protection des forêts vont certainement s’améliorer et permettre de générer quelques flux, mais ils resteront mineurs au regard de ce que pourront générer les crédits biodiversité, où le problème d’additionnalité sera moindre. Il suffit en effet de limiter les pressions humaines sur les zones à protéger pour que la biodiversité se régénère. C’est plus solide que la prévision d’une réduction de la déforestation sur plusieurs années !
Les réflexions sur ces crédits biodiversité avancent dans le monde. aDryada y contribue activement, en ayant fondé l’Organization for Biodiversity Certificates. Elle rassemble des entreprises et associations de toutes tailles et travaillent à faire émerger des crédits qui soient à la fois solides scientifiquement et faciles à utiliser pour les entreprises – une des conditions pour qu’elles les achètent et génèrent ainsi des flux vers les pays qui en ont besoin !
Vous venez d’annoncer le lancement d’une stratégie dédiée aux grands projets de restauration de la nature. Quels sont les objectifs de cette stratégie et l’impact attendu pour les populations ?
Le 28 septembre, Ardian, un des leaders mondiaux de l’investissement privé, et aDryada ont en effet annoncé le lancement d’Averrhoa Nature-Based Solutions, un fonds dédié aux projets de grande envergure visant la restauration de la Nature.
Ce fonds permettra de déployer de l’ordre de 1,5 milliard d’euros de projets de reforestation, de restauration de zones humides et de mangroves dans le monde entier, et principalement dans les pays hors OCDE de la zone tropicale.
Les projets financés doivent contribuer à restaurer des écosystèmes diversifiés et fonctionnels, riches en biodiversité, capables d’être résistants et résilients au changement climatique à long terme. Sur le plan social, ils doivent générer des revenus pour les communautés locales et améliorer leurs conditions de vie – une condition clef pour assurer leur pérennité, et pour initier un cercle vertueux : des projets basés sur les trois piliers que sont le climat, la biodiversité et l’implication des populations locales génèrent des crédits carbone de qualité, vendus plus chers sur les marchés internationaux, et donc générateurs de plus de revenus…. Pour tous et les populations locales en priorité.