Un pays en banqueroute selon la norme macroéconomique mais bien vivant.
Par Balla Moussa Keita, ambassadeur itinérant de Financial Afrik .
Ayant pris place sur le vol AF O564 d’Air France en ce dimanche 8 octobre pour Beyrouth, prêt à décoller, je jetais un dernier coup d’œil à mon portable et j’apprends qu’une attaque du Hamas vient de se produire en terre israélienne. Au même moment, je constatais que le décollage est en retard. Du coup je me dis que le vol va être annulé quand on connaît la proximité géographique du Liban et de l’israél d’une part et, d’autre part, celle entre le Hamas et le Hezbolah…Au même moment, la voix grave du commandant s’annonça demandant aux passagers d’être patients et que le retard était dû à la tour de contrôle.
Dix minutes plus tard, nous voilà entrain de décoller en direction de l’aéroport Rafik HARIRI de Beyrouth où j’imaginais l’ambiance un peu surchauffée et la sécurité au maximum. C’était tout le contraire ; atterrissage paisible, accueil chaleureux. Même le visa que je devais prendre sur place se transforma en un simple cachet d’entrée gratuit !
Une fois mes bagages récupérés, j’aperçu à la sortie dans le hall mon nom inscrit sur une pancarte, j’étais attendu. Pour la réussite de cette 3e mission Économique et Commerciale de L’OIF ( Organisation Internationale de la Francophonie), le service d’accueil mis en place était au point. Avec d’autres participants, il nous embarqua dans les mini-bus en direction de l’hôtel.
Pendant le trajet, j’ai eu le sentiment d’être à Abidjan, tellement la simultude des quartiers traversés était flagrante. Je voyais défiler devant moi Treichville, Adjamé, Koumassi, par moment la zone 4, le boulevard Giscard d’Estaing… pour ceux qui connaissent Abidjan. J’ai pas eu le temps de le dire tout haut que les autres passagers d’origines africaines le clamèrent. Les Sénégalais se croyaient sur Ponty, au marché de Sandaga ou à Pékine à Dakar, les guinéens parlaient de Coleah, Madina ou Kipé à Conakry, etc…
La navette s’immobilisa enfin devant une grande et imposante bâtisse dans un quartier chic qui vous rappelle le plateau à Abidjan ou la place de l’indépendance à Dakar. C’était l’hôtel 4 étoiles où nous allions loger pendant notre séjour. Cette étrange ressemblance de certains quartiers de Beyrouth avec ceux de certaines capitales africaines, me fit comprendre tout de suite pourquoi la diaspora libanaise s’intégrait et s’adaptait aussi facilement dans ces pays où elle vivait, surtout quand, en plus, j’observais les attitudes au volant, dans la circulation.
Ma conviction était faite ! Mon père, le sage des sages, ne disait-il pas que “pour mieux connaître une personne, un peuple, rends-toi chez lui, dans son écosystème”. Ainsi, ce que je venais de constater au Liban me rendit plus indulgent et tolérant dans mon jugement…
Après un repos mérité dans cette spacieuse et luxueuse chambre située au 9ème étage qui, à travers ses baies vitrées, ravit vos yeux par les images de cette ville montagneuse, à l’image du pays, une seule envie me taraudait: sortir pour aller visiter.
Après que j’eu pris des renseignements ici et là afin de recenser les lieux emblématiques, des voix s’autorisèrent à me dissuader de sortir de l’hôtel pour des raisons de sécurité. C’était mal me connaître car je répliquais en leur disant : «En 1991, j’ai voyagé et travaillé en plein couvre-feu à Kigali. De même qu’en 1997, je suis allé en Algérie en pleine guerre civile…. Je vous reviendrais sain et sauf».
Ces genres de conseils réveillent le côté têtu qui sommeille en moi et aiguise ma curiosité, donc peine perdue pour eux. Il faisait presque nuit quand je m’engouffrais dans un taxi en direction de Zitouna Abey ( la baie des olives ). Là, pullulent des restaurants de luxe, des bars et des pubs branchés, tous alignés et bordant une voie piétonne bondée de monde flânant et croquant la vie à belles-dents. En face, des yachts, certainement propriétés de quelques milliardaires. ,Que de monde et de beauté ! Sur cette baie éclairée de mille feux, qui me rappelait la promenade des anglais à Nice, j’échangeais avec toutes les personnes qui se montraient aimables à mon égard et je me faisais prendre en photo.
Après quelques échanges avec des saoudiens reconnaissables à leur accoutrement, qui semblaient apprécier la vie par ici, je m’attablais sur la terrasse d’un bar pour déguster un cocktail et “rincer” mes yeux en appréciant tant de beauté, de joie de vivre, de liberté dans une ambiance où les soucis n’ont pas droit d’exister. Ici on vit ! La vue des photos prises dans cet endroit fir regretter ceux qui cherchaient la veille à me convaincre de ne pas sortir.
La salle dédiée à cette 3e Mission Économique et Commerciale de lOIF, dans cet hôtel de haut standing, est pleine et prête à résonner de différents panels qui, finalement, vont nous apprendre que le pays vivait de crise en crise. Le Liban est sans gouvernement, les banques sont réduites à des comptoirs, le principal port a explosé depuis 3 ans, les fonctionnaires ne sont pas ou sont payés partiellement.
Malgré cette absence d’Etat, le pays fonctionne, les marchandises entrent et sortent, les professeurs dispensent des cours dans les écoles et universités, les fonctionnaires sont présents dans l’administration, les industries produisent, la population vaque à ses occupations. Tous les secteurs privés et publics bougent. En somme, une situation normale dans un pays «anormal». Comment font donc le Liban et les libanais ? Y’avait-il des non dits ? Comment se fait-il qu’une organisation internationale telle que l’OIF puisse organiser un évènement dans un tel pays ? Quel est ce pays ?
Le Liban est la porte d’entrée de la francophonie au Moyen-Orient, petit pays niché au cœur du Proche-Orient, il est longtemps reconnu comme un bastion de la francophonie. Avec sa position exceptionnelle faisant de lui un point de convergence pour la culture, l’économie et la diplomatie.
La langue française y est largement parlée et enseignée. Le nombre de locuteurs francophone s’élève à 38% de la population, soit 2,5 millions de personnes. En tant que l’une des langues officielles employées dans l’administration, elle sert de passerelle entre les diverses communautés du pays, avec un large réseau d’établissements scolaires et universitaires homologués dont 120 labellisés. Le Liban entretient une histoire de relations diplomatiques, culturelles et commerciales étroites avec les pays francophones, en particulier la France. Selon un écrivain libanais : «Le Liban et la francophonie sont une réalité vécue, une façon de penser et un mode de vie ».
Beyrouth, la capitale, abrite des institutions importantes de la francophonie qui jouent un rôle significatif dans la promotion de la langue française, de la culture francophone, et de la coopération diplomatique de la région, rendant ainsi le Liban, centre névralgique du Proche-Orient.
Les entrepreeneurs et hommes d’affaires libanais, réputés pour leur savoir-faire, leur savoir-être et leur présence à l’international (une diaspora dynamique) malgré des crises aux multiples facettes, font preuve d’une agilité exceptionnelle, d’adaptabilité et de résilience. Ils voient les opportunités offertes par la francophonie pour établir des partenariats et des liens commerciaux avec des pays de l’Afrique francophone ; de vrais ambassadeurs de la francophonie économique ! La maîtrise de la langue française est un atout précieux dans cette démarche. L’Afrique francophone offre aux entrepreneurs libanais une opportunité de diversification de leurs activités commerciales, explorant dans la finance, la technologie, l’industrie, les mines et l’agro-alimentaire. Ils tirent ainsi parti des marchés en croissance de la région.
Une fois qu’on a dit tout ça du Liban, après avoir écouté Lévon Amirjanyan, premier représentant officiel de l’OIF pour le Moyen-Orient et Karim FADOUL, homme d’affaires libanais, l’on ne peut pas ne pas chercher davantage, tellement que ce qui se passe dans ce pays est inédit ! En tout cas loin de la réalité macroéconomique décrite par la Banque Mondiale laquelle nous apprend que le pays des cèdres est en faillite. La presse financière et économique n’en finit pas de décrire une situation de banqueroute. N’est-ce pas vrai que le patron de banque centrale est en fuite ?
Je me suis une fois de plus résolu à comprendre, en tronquant mon costume contre jean et chemise pour aller à l’assaut des quartiers : Gemmazyeh, Badaro, Achrafieh, le marché de Dora, les souk, les sites touristiques de Byblos, à la rencontre de la population. Je suis monté dans des transports en commun (taxi brousse ), appelé à Abidjan ‘ le Gbaka ‘ différents des taxis de luxe garés devant l’hôtel, pour une immersion afin de mieux cerner ce qui m’échappe, je suis allé visiter le port malgré la surveillance bien stricte tout autour, sans oublier les églises, les mosquées. De toutes ces pérégrinations, je reste admiratif de la résilience de ce pays. Malgré tout ce qui se dit et se fait, tout semble normal, même si ça et là on peut voir quelques mendiants et quelques misères, comme dans tous les pays du monde.
Ce qui est frappant ici, c’est qu’on n’entend pas parler de grève, quand des professeurs d’université vous disent qu’ils touchaient 600 dollars mais qu’aujourd’hui, à cause de la crise, ils ne perçoivent que 300 euros. Cela ne les empêche pas pour autant de dispenser des cours aux élèves et étudiants.
Des infirmiers qui n’ont pas touché leur salaire sont présents à leur poste pour servir leurs concitoyens. Ceux qui ne travaillent pas sont secourus par la communauté. Une vraie leçon de vie, vive la solidarité ! Peut-on dire dans ce cas là qu’on est dans un pays anormal ?
Oh que non ! Ici le patriotisme, la résilience le génie créateur et l’humanisme cohabitent pour nous dire qu’il serait sage de ne pas juger un pays à partir du point de vue de certains bureaucrates assis dans leurs luxueux bureaux à l’abri de tout besoin, décernant des notes pour qualifier un pays. L’OIF l’a compris, bravo !!!
Je repartirai au Liban.
Notes
Cette chronique est réalisée en partenariat avec l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).