Par Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités.
L’histoire de l’économie pétrolière montre que les deux facteurs déterminants du cours des hydrocarbures sont les fluctuations de la croissance de l’économie mondiale, surtout la croissance de la Chine, un des plus grands importateurs d’hydrocarbures, accessoirement de l’Inde, et des facteurs géostratégiques comme récemment les tensions au Moyen-Orient. C’est que les gisements, très inégalement répartis, environ 60% sont localisés au Moyen-Orient, représentant avec respectivement : l’Arabie saoudite 266,57 milliards de barils, l’Iran 157,53, l’Irak 143,09, le Koweït 101, 50 et les Émiratis 97,80 milliards de barils.
Selon les données internationales, toute déstabilisation de cette région aurait donc des impacts négatifs, outre sur la nouvelle reconfiguration géostratégique, sur toute l’économie mondiale. L’histoire pétrolière mondiale, de 1971 à 2023, montre d’importantes fluctuations avec de pics variant de 25 à 100%. Ainsi en 1971, nous avons un cours bas, puis une hausse en 1973, un cours bas en 1978, une hausse en 1980, une relative stabilisation entre 1990 et 1997, une nouvelle hausse en 2001, une baisse en 2005, un cours bas en 2008, haut en 2009 puis en 2015,cours bas en 2020 et, depuis 2022, un cours en hausse.
Aux origines des chocs pétroliers
De 1860 à 1940, les prix du baril ont oscillé selon les évènements mondiaux, grimpant pendant la première guerre mondiale, baissant durant la crise de 1929. Entre 1948 et 1970, ils sont restés relativement stables et bas, avant d’entrer dans une série de crises, appelées « « « chocs pétroliers ». Le premier choc pétrolier a débuté en 1971 avec l’abandon du système financier international issu des accords de Bretton Woods quand le président Nixon décréta l’inconvertibilité du dollar vis-à-vis de l’or. Le mouvement s’accentua lors de la guerre du Kippour lorsque les États producteurs, notamment ceux membres de l’OPEP, avaient décrété un embargo contre les pays soutenant Israël. Le second choc pétrolier fait suite à la révolution iranienne en 1978, puis à la guerre Iran-Irak en 1980. Le troisième choc pétrolier se situe en 2003, poussé par la demande croissante des nouvelles économies (Chine, Inde, Brésil…) .
Le quatrième choc pétrolier a débuté au premier semestre 2008 avec la crise économique mondiale, où le cours du Brent est passé de 96 dollars le 2 janvier 2008 à 144 dollars le 3 juillet 2008. À partir de 2009, les pays producteurs ayant réduit leur production pour maintenir leur niveau de revenus, le baril qui avait baissé de façon spectaculaire est progressivement remonté à 80 dollars. En 2010, la reprise économique s’est accompagnée de la plus forte croissance ayant contribué à relancer le prix à la hausse. Entre janvier et février 2011, avec les révolutions dans le monde arabe, les marchés craignant des répercussions en termes de capacités de production, le prix du Brent a atteint un nouveau pic le 13 mars 2012, à 128 dollars, puis à un niveau supérieur à 100 dollars en 2013.
À l’été 2014, les cours s’effondrent, en dessous de la barre des 50 dollars, la cause principale étant un excès d’offre, alimenté par la production de pétrole de schiste aux États-Unis, et cela même si la consommation mondiale continue de croître. En 2016, les cours remontent à 50 dollars le Brent du fait des actions de l’OPEP + dont les deux grands producteurs, la Russie et l’Arabie Saoudite. Avec la pandémie du virus Covid-19 le prix du Brent est tombé d’un niveau de 50 dollars à moins de 20 dollars avant de remonter en juin 2020, à 40-45 dollars. La demande de pétrole augmente vigoureusement en 2021, en raison de la levée progressive des restrictions de déplacement et de la forte reprise économique mondiale. Tirant les prix du pétrole à la hausse, à 71 $ en moyenne en 2021, contre 42 $ en 2020.
Avec la guerre en Ukraine, en 2022, les cours du pétrole ont repris leur hausse, le WTI américain dépassant les 115 dollars le baril, et le Brent frôlant 120 dollars, dopés par les incertitudes sur l’approvisionnement en or noir notamment de la Russie. Depuis début octobre 2023, les marchés redoutant une escalade de la situation géopolitique au Moyen Orient , après avoir connu un pic de plus de 93 dollars le Brent au lendemain des tensions au Moyen Orient , le cours du pétrole est coté le 23 octobre 2023 à 12h GMT , à 91,78 dollars le Brent (86,51 euros) et 87,55 dollars le Wit ( 82,52 euros) . Les prix du gaz ont bondi, après l’annonce de la fermeture d’un champ gazier en Israël, le marché de gros pour l’année 2024 , étant coté le 17 octobre 2023 à 53,205 euros le mégawattheure, en hausse de 30% par rapport à la période du 06 juin 2023.
Le pétrole ayant connu le 20 octobre 2023 un léger repli suite aux annonces de la levée des sanctions des USA contre le Venezuela, premier réservoir de pétrole au monde avec 299,95 milliards de barils( un pétrole lourd) rentre dans le cadre d’une stabilisation de prix ; mais la hausse de production de ce pays ne peut se faire avant deux à trois années, le secteur ayant connu un désinvestissement important avec de surcroit un coût important d’extraction. Par ailleurs, toutes représailles contre l’Iran, outre l’embrasement de toute la région, sur le plan politique, sur le plan économique , aurait un impact sur le cours des hydrocarbures , l’Iran étant le 3eme réservoir mondial en pétrole, le deuxième réservoir mondial de gaz naturel (avec 35.000 milliards de mètres cubes gazeux, juste après la Russie 45.000 et avant le Qatar 20.000, ). La république islamique contrôlant, qui plus est, le détroit d’Ormuz où transitent 17 millions de barils par jour.
En conclusion , il ne faut pas oublier, la production des USA, hors OPEP+ grâce au pétrole/gaz de schiste. Les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial de GNL en direction de l’Europe en 2023. D’un autre côté, il faudra prendre en compte les initiatives de l’ OPEP+ face à ces turbulences géostratégiques afin de stabiliser les prix, où les objectifs globaux de production des membres de l’OPEP + vont être réduits de 1,4 million de baril par jour supplémentaire (bpj) à compter de 2024 par rapport aux objectifs actuels pour les ramener au total à 40,46 millions de bpj.
Or la demande mondiale de pétrole estimée par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a été à 101,17 millions de barils par jour en 2022 contre 99,76 pour 2019 ,97,6 en 2021, avec une prévision dépassant 103 millions de barils jour en 2023 . D’une manière générale, en raison tant d’évènements géostratégiques souvent imprévisibles que des nouvelles mutations énergétiques mondiaux, le cours du pétrole entre 2025/2030/2040, dépendra des de rapports de force entre les lobbys pétroliers et une grande fraction de la société civile mondiale et de gouvernants attentifs aux impacts négatifs du réchauffement climatique auquel l’humanité sera confronté car si les Chinois, les Indiens et les Africains avaient le même modèle de consommation énergétique que l’Europe/USA , il faudrait cinq fois la planète, d’où l’urgence d’une transition énergétique maîtrisée.