Par Jobrey Loïc AMONA*
Un mariage de 10 ans, et une fusion sans infusion !
Nous sommes le 06 février 2012, date de l’inauguration et du lancement officiel des activités du Groupe Société Générale au Congo. On assiste à une foule en liesse, voie barrée, tambours battants, danses folkloriques, invités de marque…les couleurs rouge et noire se hissent, se frottent et se flirtent avec celles du drapeau national, vert, jaune et rouge. Le soleil se montre courtois pour la circonstance…
Deux formules, aux côtés de longs discours, vont sceller l’union. Après un rappel de vieux souvenirs, la tutelle de l’époque évoque « …il y’a de cela 30 ans que vous aviez décidé de rompre avec le paysage bancaire… nous espérons cette fois-ci que ce n’est pas avec la même intention… ». Représentée par son Délégué de la Région AFMO (1), la réplique digne d’un bon séducteur : « …nous ne sommes pas (re)venus pour (re)partir. Nous comptons faire de la SG(C), la banque de référence et de proximité au service de l’économie congolaise… »
Dix ans plus tard, nous sommes au bout du chemin. Le divorce est acté. Une tromperie ou un aveu de lassitude. Peu importe, la décision a eu de quoi contrarier les autorités de Brazzaville qui montent au créneau par le droit de préemption…Un communiqué, dont la teneur, nous éclaire sur l’urgence et les enjeux. Le droit de préemption dont a fait valoir l’Etat Congolais, et l’accord du régulateur, lui confèrent le droit de reprise des actions du Groupe SG. Qu’elle ait été motivée par des changements stratégiques, ou mue par des forces du marché (Cf. article financialafrik.com), l’architecture du système bancaire congolais s’en trouve modifiée tout en conservant sa stabilité.
Sans aucune présence bancaire occidentale, le marché devient africain. De toute évidence, the last not the least, c’est un cador de la finance sous-régionale qui a été désignée : la BGFI Bank via sa filiale congolaise.
La présente analyse vise à examiner l’impact de l’acquisition de Société Générale Congo (SGC) sur le secteur des services bancaires sur le marché congolais. Pour bien comprendre l’impact de l’événement, l’analyse se contente de délivrer les avantages et les contraintes, d’une part. D’autre part, les orientations à déployer pour une fusion réussie tenant compte des spécificités, des contraintes et des réalités organisationnelles de l’entité absorbée.
Pour commencer, le volet opérationnalisation amène son lot d’interrogations sur le modus operandi. La transaction qui se présente prend la forme d’une fusion-absorption. Il est largement reconnu que les fusions et acquisitions sont les principales méthodes de consolidation pour une expansion et une croissance rapides des entreprises. La plupart des ouvrages consacrés aux fusions et acquisitions utilisent les deux termes de manière interchangeable, malgré la distinction formelle qui a été établie entre eux et qui a été largement considérée comme quelque peu vague. Les deux termes sont utilisés pour désigner des transactions impliquant la combinaison de deux entreprises indépendantes pour former une ou plusieurs entités contrôlées en commun où un changement de contrôle a lieu par le biais d’un transfert de propriété (Sudarsanam, 1995 ; OCDE, 2001).
Celle-ci est une opération au cours de laquelle une ou plusieurs entreprises sont absorbées par une société, à laquelle elles transmettent l’entièreté de leur patrimoine. Aucune distinction ne peut par la suite être faite entre les entreprises absorbées et la société absorbante : elles ne forment alors qu’une seule et même entité juridique. En effet, lors de la fusion, l’ensemble des actifs et du passif des sociétés absorbées sont transférés à la société absorbante, par le mécanisme de la transmission universelle de patrimoine (TUP). En conséquence, Société Générale Congo cesse d’exister, Tout est transféré à BFGI Bank Congo. Partant de là, la fusion-absorption peut entraîner des conséquences, notamment sur les employés de l’entreprise absorbée. Bien que l’ensemble des contrats de travail soient transférés, le nouvel employeur peut procéder à des modifications, si elles sont en accord avec le droit commun, en premier lieu. En second lieu, la particularité de cette transaction réside également dans la valorisation des compétences de la société absorbée. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément du bilan, il n’en demeure pas moins que c’est un capital humain qui est à la disposition de la direction générale. C’est ce qui caractérise les implications sociales.
Par conséquent, et dans l’éventualité où le contexte juridique n’a pas été assaini, les litiges pendants accumulés ces dernières années, à tort ou raison, sont également transférables à l’acquéreur. La question demeure suspendue, ce à quelle issue ? Qui dit reprise du passif, inclut ces éléments. C’est ce qui résulte des implications juridiques, en second point. En bref, BGFI Bank Congo hérite également du passif «contentieux» de Société Générale Congo que ce soit vis-à-vis du fisc, des collaborateurs et du régulateur. Ce, sans toutefois, évoquer la jurisprudence en matière de transfert de responsabilité pénale lors d’une fusion par absorption.
Leader incontesté sur le marché, la BGFI Bank occupe ces dix dernières années une place prépondérante et dominante sans égale mesure. Au 31/12/2022 et au 31/08/2023, elle pèse, respectivement, plus de XAF 560 milliards de Total Bilan et détient, au 24,27% des PDM (2) sur le financement de l’économie.
Premier partenaire financier de l’Etat avec 21,29% de créances sur ce dernier, elle collecte pour 18,59% les dépôts bancaires. Aux mêmes dates, SGC pèse plus de XAF 360 milliards de total bilan, représente 8,06% de parts de marché sur les créances à l’économie, est sur le podium des collectes de dépôts avec 9,72%. Elle dispose d’un portefeuille de peu ou prou de 20 000 clients tous segments de marché confondus.
Les partisans d’un système bancaire national affirment que la consolidation bancaire produit des banques plus efficaces et un système bancaire plus sain, moins sujet aux faillites bancaires (Mishkin,1998). Cette affirmation sous-entend les justifications suivantes : Avantages en termes de coûts résultant principalement des économies d’échelle, de l’amélioration de l’efficacité de l’entreprise (coût), de la diversification des risques, de l’accès plus facile et moins coûteux au financement financier.
Il n’en reste pas moins que, selon de nombreux critères, cette fusion peut apporter toute une série d’avantages pour l’acquéreur, même si les gains d’efficacité opérationnelle ne pourront être constatées à l’instant. Ces gains sont associés à la réduction des coûts d’exploitation, à une plus grande diversification, à l’enrichissement de la base et des relations entre la banque et ses clients, à une orientation stratégique différente et à un bon vecteur de croissance. Le processus de fusion, tel qu’il est présenté de manière générale, peut réussir ex ante à identifier les cibles peu performantes et les situations où il existe un potentiel d’amélioration substantielle des performances.
Pour ce cas, la BGFI Bank devrait renforcer son audit sur les plans risques, ressources humaines, finances et opérationnelles afin d’apporter une qualité renforcée sur le dispositif d’ensemble et procédural. Cette approche est celle qui assurera les facteurs clés de réussite de la transaction.
De même, elle ne pourrait réaliser des économies d’échelle et maximiser la valeur que sous certaines conditions, notamment celle de ne pas se leurrer sur une augmentation significative des parts de marché, celle de maintenir les coûts d’exploitations redondants, principalement en éliminant des agences non rentables. Dans un marché aussi restreint que le nôtre, la plupart des clients sont multi bancarisés en raison des contraintes de financement trop serrées. Ce qui fait que l’imbrication des bases clients ferait ressortir un gap minimal de clients non existant sur les bases de l’acquéreur, qui sans une lecture analytique efficace générerait des rendements décroissants.
Toutefois, il serait aussi important de tenir compte de la perception des clients. Bien souvent, les clients réagissent souvent de manière très émotionnelle à l’acquisition d’une banque – il est donc essentiel que cette perception soit gérée par une communication régulière et attentive, brève transparente sur leurs besoins.
L’amélioration de l’efficacité résultera d’un transfert des pratiques, des techniques et des compétences de gestion meilleures et plus efficaces. Les inefficacités dans le secteur bancaire, tant dans les pays industrialisés que dans les pays émergents, sont estimées à environ 20-25% de l’ensemble des coûts. La cause principale de ces inefficacités semble être l’inefficacité technique, c’est-à-dire l’utilisation d’intrants excédentaires. Cela laisse entrevoir un potentiel considérable de réduction des coûts…
Une plus grande diversification :
l’institution acquéreuse est mieux placée pour développer et utiliser des instruments financiers nouveaux et plus complexes, et pour employer des techniques sophistiquées de gestion des risques, ce qui entraîne une réduction des risques et améliore le compromis risque-rendement. Le risque de crédit est diversifié car la consolidation devrait élargir les segments des entreprises clientes et des ménages en termes de taille et de qualité. Cet objectif n’est atteignable que si les clients à engagements imbriqués ne présentent pas un risque de surendettement. Pour ce faire, une approche par restructuration des engagements semble idéale pour garantir la solvabilité des contreparties…
En fin de compte, les fusions et acquisitions bancaires sont des procédures complexes qui peuvent donner lieu à des gains extraordinaires – ou à des risques extraordinaires – Ainsi, en émettant le vœu que cette transaction ne se contente seulement d’examiner les deux banques sur le papier, non sans tenir compte de leur personnel et surtout de leur culture, véritable tout. L’absence d’évaluation de l’adéquation culturelle (et pas seulement financière) est susceptible de porter un coup à une meilleure intégration du dispositif d’ensemble. Cela requiert, tout au long du processus, une communication approfondie et s’assurer que les employés s’adaptent au changement.
*Jobrey Loïc AMONA, ITB, CAMS, PSM 1 Manager Banque/Responsable Financier/ Consultant en finances et stratégie d’entreprises
Notes
- Région Afrique Moyen Orient
- Parts de marché