Par Cheikh Tourad Traoré, Spécialiste en Communications et Médias Modernes
Depuis quelques jours, une vidéo virale d’une candidate à la candidature pour les présidentielles au Sénégal défraie la chronique. Ladite candidate y expose son enfance difficile dans une rare indigence marquée par sa cohabitation avec des serpents sous un toit familial dénué d’électricité. La personnalité politique à l’origine de ces anecdotes est tournée en dérision dans les réseaux sociaux, avec des publications de personnes se présentant comme d’anciens camarades de classe démentant ses propos. Cette réflexion explore sous l’angle de la communication les leçons à tirer des failles de la communication de cette candidate à la candidature présidentielle en rappelant des cas d’école de communication réussie avant d’aborder les risques réputationnels liés à la prise de parole ou de position par les personnalités publiques et des solutions pour les prévenir.
Le SOPI et le PASTEF : exemples historiques de communication réussie dans le paysage politique sénégalais
Sur le plan théorique, la communication tourne autour de trois objectifs : 1/des objectifs cognitifs – faire connaitre, 2/ des objectifs affectifs – convaincre, 3/ des objectifs comportementaux – faire agir. Dans le cadre politique, les premiers et seconds objectifs à savoir faire connaitre et convaincre sont capitaux. Lorsqu’une personnalité politique les réussit, il parvient à se positionner et ancrer son offre politique dans l’esprit des votants. Quels exemples donner si ce ne sont le SOPI et le PASTEF ? Jusqu’en 2000, le Sénégal a connu un seul régime politique, le Socialisme incarné par le Parti Socialiste avec les Présidents Senghor et Diouf. Sous le leadership de Wade, le Parti Démocratique Sénégalais s’est imposé comme un véritable parti de masse porté par des jeunes et des adultes de tous bords revendiquant leur adhésion à l’esprit SOPI, changement en Wolof, face à une bureaucratie déconnectée des aspirations profondes du peuple : il se disait à la veille des élections de 2000 que le Président Diouf n’était même pas au courant du prix de la dosette de Nescafé.
A travers une communication théâtralisant souvent le cordon ombilical liant le PDS au peuple, Wade, à travers le SOPI, a pu faire adhérer les masses à ses ambitions politiques. A entendre les militants du PDS, le SOPI c’est une couleur – bleu et jaune – à entendre les militants du PDS, le SOPI, c’est le pouvoir de la rue ; à entendre les militants du PDS, le SOPI, c’est la jeunesse. Convenons que tous ces aspects font partie de la communication : identité de marque ou charte graphique, axe de communication et cible prioritaire. Avec le PASTEF, cette importance de la communication peut être illustrée à travers deux exemples : les griefs de Guem Sa Bopp à la création du logo de la coalition Yewwi Askan Wi (se présentant comme l’opposition radicale) et l’utilisation agressive des canaux et outils de communication digitale.
Le leader de Guem Sa Bopp reprochait à la coalition les couleurs utilisées qui excluaient son mouvement politique. A cela, le Directeur Artistique, maitre d’œuvre du logo de la coalition Yewwi Askan Wi répondait : « Le vert est la couleur de l’espérance, le vert est porteur de chance. Il est symbole de croissance, de richesse, de santé, de fraîcheur et de nature. Il représente la stabilité et l’équilibre. Il est utilisé par 3 grands partis de la coalition : le PUR, Taxawu, et PASTEF. Ce qui en fait une couleur familière aux yeux des Sénégalais, donc pas nécessaire d’essayer d’en installer une autre, avec le temps que cela prendrait. Pourquoi changer une couleur qui pourrait aider à gagner ? »
Ces explications du Concepteur du logo fondées pourtant sur le plan de l’image et de l’imaginaire des cibles (les Sénégalais votants) n’ont pas convaincu le leader de Guem Sa Bopp qui a fini par quitter la coalition, pour une simple divergence de couleurs commentaient beaucoup de Sénégalais. Non, ce n’était pas une simple divergence de couleurs, les couleurs ne sont pas neutres en communication, encore moins en politique, elles mettent en jeu la vision, les valeurs et les ambitions d’un parti. L’autre exemple est l’utilisation agressive des canaux et outils de communication digitale par le Parti Pastef. Au tout début, des souteneurs du parti au pouvoir taxaient le Pastef de parti des réseaux sociaux en minimisant cet espace qui est pourtant aussi digital – virtuel – que public avec toutes les implications de la définition de l’espace public. Pourtant, avec la constance du parti Pastef à concentrer sa communication sur l’espace digital, le parti au pouvoir a fini par prendre au sérieux ces canaux et outils digitaux au point que lors d’une communication en direct (live) du Chef du Parti Alliance pour la République, un des spécialistes qui facilitaient le live lui faisait un compte rendu sur le nombre de personnes qui les suivaient en direct.
A partir de ces deux exemples du SOPI du PDS et des couleurs du Yewwi ASKAN WI apparentées au Pastef et de l’utilisation des canaux et outils digitaux par ce même parti, il est évident que les objectifs affectifs et cognitifs, en communication, sont cruciaux dans la construction ou la consolidation d’un parti politique et de sa trajectoire.
Prise de parole de personnalité publique et risque réputationnel
Ce décor posé, venons-en maintenant aux anecdotes de cette candidate à la candidature ! Toute personnalité publique est libre de choisir son style de communication. Celui-ci peut être basé, à l’oral, sur une imagination fertile, l’utilisation des versets coraniques, ou à l’écrit, sur des références à une dizaine de livres ou de penseurs, l’usage d’un registre de langue qu’il n’est possible de comprendre que par la consultation du dictionnaire au moment de la lecture. Cependant, la personnalité publique ou politique ne doit pas oublier son objectif : réussir la conquête ou le maintien du pouvoir. Pour ce faire, il faut au maximum être à distance des risques réputationnels. Une personnalité politique n’est pas un poète, même si des talents d’orateurs sont intéressants à la légitimité charismatique du politique. Il doit garder à l’esprit que l’imagination fertile d’un poète ou d’un auteur de fiction n’est pas ce qui est attendu de lui ou d’elle. C’est là toute l’importance pour la personnalité politique ou publique de se faire entourer d’une équipe pluridisciplinaire composée de spécialistes aux parcours variés et complémentaires.
Autant il est vrai que chaque prise de parole ou de position pour une personnalité politique est l’occasion d’avoir des gains politiques comme la création du lien entre elle et les citoyens, autant il y a des limites à ne pas dépasser. Les anecdotes racontées par cette candidate à la candidature aux élections présidentielles du Sénégal en février 2024 révèlent deux leçons majeures pour les personnalités publiques :
1/ l’authenticité et l’assertivité
2/ la préparation des éléments de langage et des temps de prise de parole.
Une analyse superficielle du pourquoi de ces anecdotes montre une candidate qui réfute le fait d’appartenir à la minorité riche du Sénégal et qui convoque une enfance difficile pour créer du lien avec les personnes dont il cherche le suffrage. En analysant sa prise de parole, il apparait que sa perception de ce que veulent entendre ces personnes dont il cherche le suffrage, c’est «je ne suis pas différente que vous, ma vie a été plus dure que la vôtre». Cet axe de communication est intéressant à plusieurs égards, surtout sur la pression que les revendications citoyennes sur le coût de la vie et l’existence d’une minorité de riches qui exploite une majorité de pauvres au Sénégal. Toutefois, nous nous limitons à ce que devrait être l’axe de communication de cette candidate.
La préparation comme solution aux risques réputationnels liés à la prise de parole par les personnalités publiques
Premier apprentissage : si cette candidate avait fait un focus sur son aspiration pour ses concitoyens, son discours allait être plus crédible, peut-être avec une durée de vie moindre dans l’esprit des Sénégalais et sur les médias modernes que son utilisation d’anecdotes sur les serpents. Mais pour une personnalité avec des ambitions sérieuses en politique, un coup de buzz est moins important que la consolidation de sa carrure politique dans la durée.
Deuxième apprentissage : La communication seule ne peut pas faire de miracle pour une personnalité publique. Sans l’authenticité reposant sur une vision de soi et du bien commun, des valeurs humaines, socle de son engagement, une utilisation de la communication comme artifice ne peut pas permettre à une personne de faire carrière dans l’espace public. Même si le silence et la théâtralisation d’une fausse modestie peuvent cacher le défaut d’authenticité, il faut se dire que l’authenticité et l’assertivité sont deux faces de la même pièce qui constitue la personnalité politique et qui permettent à ceux qui le suivent de pouvoir voir en lui ou elle une solution aux défis qu’ils vivent. Le but ultime de tout leadership public est de servir autrui, or le service à autrui est aux antipodes du défaut d’authenticité parce que le préalable au service public c’est de pouvoir accepter de faire fi à son intérêt personnel voire familial pour réaliser l’intérêt public. Nelson Mandela l’avait si bien exprimé dans son autobiographie « A long Walk to Freedom » quand il disait que son enfant voulait passer plus de temps avec lui, qu’il comprenait ce besoin, mais qu’il ne pouvait pas lui expliquer qu’il avait une mission beaucoup plus grande destinée à tous les enfants de la nation qui était aussi ses enfants.
Troisième apprentissage : En ces temps de la communication instantanée et du marketing d’influence, paraitre est plus important qu’être. Le bonheur et la réussite sont mis en scène. Ils traduisent davantage une validation extérieure qu’un état intérieur ou un parcours. Si, cette mise en scène peut être bénéfique à des influenceurs et autres acteurs privés au point de leur faire gagner des marchés de marketing ou accélérer les carrières de certains experts, cela n’est pas forcément le cas pour les personnalités publiques. Certes, selon Machiavel paraître est un atout pour le Prince qui doit être un As dans l’art de feindre et d’user de ruse pour réussir à tenir le haut du pavé dans le fleuve tumultueux de la politique. Cette vision a des limites dans le contexte actuel au Sénégal où beaucoup de populations semblent désenchantées de l’idéal démocratique et d’une classe politique n’ayant pas, à leur avis, l’intérêt public comme seule motivation. Ces populations habituées au subterfuge et combines politiques sont plus enclines à accepter un discours transparent, sincère et honnête et à élire des personnes avec un CV politique vierge devant des mastodontes politiques. Les dernières élections locales et législatives au Sénégal témoignent de cette nouvelle tendance.
Quatrième apprentissage : Au regard de tout ce qui précède, ce qui est constant est la nécessité de la personnalité publique et de son équipe d’avoir des éléments de langage bâtis autour de leurs vision et ambition. Un exemple qui fait encore froid dans le dos, c’est quand Waly Seck avait raté sa prise de parole à France 24, reflétant la non-maitrise du format de l’interview et l’inexistence, en amont, d’un protocole d’interview. Un autre exemple, c’est quand Youssou Ndour a voulu faire du newsjacking en sautant sur l’actualité du séisme au Maroc pour faire un plaidoyer sur le changement climatique, ignorant, semble-t-il qu’à l’état actuel de la dissémination des connaissances scientifiques, l’opinion publique n’établit pas de relation entre changement climatique et séisme. Ce qui avait valu à Youssou Ndour beaucoup de critiques de la part de ces suiveurs sur Twitter qui avait saisi ce raté pour l’attaquer plus sur la base de sa proximité avec le parti au pouvoir qu’autre chose.
Cette réflexion que nous avons conduite pose le problème inhérent à la prise de parole en public : l’échec de l’intervention. En soi, l’échec d’une prise de parole n’est pas mauvais. Comme on dit, il y a des jours sans. Cependant ce qui est mauvais, ce sont les risques réputationnels qui peuvent être liés à l’échec de la prise de parole. Pour parer à cela, les personnalités publiques doivent se faire entourer de spécialistes pour guider leurs relations publiques. Elles doivent éviter de se prendre pour des influenceurs et miser plus sur leur être (la substance, l’essence de leur engagement) que leur paraitre (le superflu, la perception).
A propos de l’auteur
Cheikh Tourad Traoré est un Spécialiste en Communications et Médias modernes avec une expérience au sein d’organisations internationales non-gouvernementales et de programmes financés par des partenaires multilatéraux et bilatéraux au développement à l’instar de l’Union Africaine, de la Banque Africaine de Développement, de l’USAID, et du Foreign, Commonwealth & Development Office. Son parcours pluridisciplinaire en Science Politique et en Communication l’amène à conduire des réflexions systémiques et comparatives sur la vie publique et les médias, l’Etat-postcolonial et ses enjeux de développement, et les relations internationales.