Par le Prince Balla Moussa Keita, ambassadeur itinérant de Financial Afrik.
Montréal, Canada, 1er septembre 2023. Je passe un coup de fil à M Abdoul Salam BELLO, Administrateur du Groupe Afrique II au Conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale, pour lui annoncer ma venue aux États-Unis le 20 septembre 2023 dans le cadre de l’Assemblée générale (AG) des Nations unies, l’occasion de visiter la Banque Mondiale, cette institution qui structure la coopération économique et financière entre les 189 pays membres depuis sa création le 27 décembre 1945 dans le sillage de la conférence monétaire et fiscale qui s’est déroulée en juillet 1944 à Bretton Woods, aux Etats-Unis. Mon frère Bello que je connaissais de longue date marqua avec la facilité d’une lettre à la poste son accord pour me recevoir. A cet effet, il me demanda mon adresse électronique puis le même jour je reçois un email de son assistante me fixant la date et l’heure de la rencontre.
Le 8 septembre 2023, le taxi Uber que j’ai emprunté depuis Greenbelt, une ville du Comté de Prince Georges dans le Maryland, s’immobilisa au 1818 H Street NW, devant une imposante bâtisse. J’étais au siège de la Banque mondiale à Washington, D.C., un complexe qui symbolise l’importance et la portée globale de l’institution. Ce monument vivant chargé d’histoire et de secrets est situé dans le quartier de Foggy Bottom, une zone qui tire son nom d’un brouillard persistant.
L’architecture est moderne et fonctionnelle, souvent avec des façades de verre qui permettent une abondance de lumière naturelle à l’intérieur. Le complexe comprend plusieurs bâtiments, chacun avec son propre style, mais tous représentant un mélange de force et de transparence, avec des lignes épurées et des formes géométriques. L’entrée principale est flanquée de drapeaux des pays membres, et il y a des zones vertes et des espaces ouverts pour le public, soulignant l’engagement de la Banque mondiale envers la durabilité et l’inclusion.
Cet immeuble cossu est donc le bâtiment principal de la Banque Mondiale, un groupe de cinq institutions internationales, dont les deux principales sont la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et l’Association internationale de développement (IDA) La BIRD se concentre sur les pays à revenu moyen et les pays pauvres solvables, tandis que l’IDA aide les nations les plus pauvres du monde. A ces groupements, s’ajoute la Société financière internationale (IFC) dirigée par le sénégalais Mahtar Diop, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA) et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), première institution de règlement des différends relatifs aux investissements internationaux.
De loin, je regardais les formes institutionnalisées de la banque dont le premier prêt, le «prêt 0001», historique, fut accordé à une certaine France, en mai 1947. Un prêt de 500 millions de dollars dont la demande, rédigée sur une page, parviendra à la Banque Mondiale avant même sa création effective. Le décaissement accordé était de 250 millions de dollars destinés à soutenir la relance de la sidérurgie française. Il faudra attendre 1954 pour voir le premier prêt, 7,5 millions de dollars, consenti à une entité africaine francophone, en l’occurrence les Chemins de Fer de l’Afrique Occidentale Française avec, il faut le préciser, une clause ambigüe de priorité de remboursement pour l’emprunteur. La BIRD accordera un troisième prêt (10 millions de dollars) pour la production du gaz et d’électricité en Algérie. En 1959, un prêt est accordé au Gabon et au Congo au terme d’un rude bras de fer juridique sur la clause de remboursement entre la France et la Banque Mondiale. Que d’histoires, pensais)je en franchissant cet intimidant centre de gravité des institutions de développement. C’est ici que le monde entier se presse pour débattre, discuter mettre en perspective les fondamentaux de la finance mondiale.
Une fois descendu de voiture, j’ai tout de suite compris qu’ici on ne badine pas avec la sécurité et la discipline. Sur un ton ferme mais policé, on s’adresse à vous pour vous aider à franchir les différents contrôles de sécurité à travers portiques et écrans. Marchant avec prudence pour franchir la première porte d’entrée après salutations, on me fit comprendre qu’en tant que visiteur, je me devais de contourner pour accéder à une autre tour pour retrouver la porte correspondant à ma catégorie. Ici, je suis à l’entrée réservée au personnel.
Apres le contrôle d’usage, voilà que la baie vitrée, une porte coulissante me céda le passage, comme pour me souhaiter la bienvenue. En face, l’accueil composé de femmes et d’hommes, disponibles et aimables, prêts à filtrer les passages, à vous confectionner votre badge et vous guider après un rapide et courtois interrogatoire d’usage sur la raison de votre visite.
Muni de mon badge sur lequel il est écrit : “The World Bank Group visite pass” et le numéro du bureau, je pouvais enfin franchir le dernier obstacle pour suivre celle qui fut chargée de me guider, une courtoise et charmante dame, à la salle MC 13-13335, le bureau de mon hôte, l’Administrateur Abdoul Salam BELLO.
Conversations avec l’administrateur représentant 23 pays africains
Une fois sur place, je fus pris en charge par le staff qui m’installa dans un salon, me proposa à boire et me fit patienter. Une dame élégante me présenta ses civilités. C’était l’assistante qui avait arrangé mon rendez-vous et qui a prévenu l’accueil de mon arrivée. Quel plaisir d’être venu à la rencontre de l’administrateur Représentant 23 pays africains, qui reçoit délégations sur délégations des différents pays, sollicitations après sollicitations, réunions après réunions. Ce jour là, il y avait la République centrafricaine (RCA), représentée par Mme Virginie BAIKOUA, Ministre de l’Action Humanitaire, de la Solidarité et de la Réconciliation Nationale, accompagnée de ses collaborateurs.
Après de longues et fructueuses délibérations avec la délégation centrafricaine suivies de la séance photos, j’ai eu l’insigne honneur d’être présenté à madame la Ministre par M. BELLO. Quand cette délégation prit congé, l’administrateur me reçut dans son spacieux bureau et m’invita à prendre place dans le salon où il reçoit ses hôtes. Je retrouve l’homme que j’ai connu depuis longtemps : toujours courtois, calme et posé. Il dégage de la simplicité, de l’humilité, pour tout dire une sorte de timidité qui cache en réalité élégance, savoir-vivre et savoir-être…
Après les amabilités, je me résolus à lui poser ma seule et unique question : les défis de l’Afrique pour la Banque Mondiale, particulièrement en ce qui concerne le changement climatique ?
– A cette question essentielle, la réponse n’est jamais simple.
« De mon point de vue, dira l’administrateur, le premier défi des pays africains dans leurs rapports avec la Banque Mondiale est celui de l’accès, dans des délais raisonnables, à des ressources financières concessionnelles, pour investir dans les priorités de développement de nos pays, dans l’esprit des Objectifs de Développement Durable (ODD). C’est pourquoi, en plus de garantir la viabilité financière de l’Association internationale de développement (IDA), l’institution de la Banque mondiale qui aide les pays les plus pauvres de la planète dont 40 pays africains sur 54, nous appelons à la simplification des procédures, dans le respect des normes et standards de la Banque».
Sur la question spécifique du climat, dira le financier d’origine nigérienne, “nous saluons les efforts de la Banque Mondiale, devenue la première institution financière multilatérale de finance climat avec 36,8 milliards de dollars US, rien qu’au titre de l’année fiscale 2023”. Toutefois, poursuit celui qui garde un œil constamment sur ses dossiers, “nous exhortons la Banque à respecter ses engagements de consacrer 50 pour cent des ressources à l’adaptation au changement climatique. En effet, l’adaptation, la résiliation et l’atténuation/mitigation doivent aller de pair. En cela, la mise en place de la clause de la suspension de la dette en cas de catastrophe naturelle pour les pays vulnérables est un pas dans la bonne direction”.
En tout état de cause, poursuit Abdoul Salam BELLO, il convient d’œuvrer pour “une transition juste et équitable, garantissant les impératifs de développement des pays africains, notamment l’accès à l’énergie abordable. « Car, comme vous le savez , ce sont plus de 600 millions d’Africains qui vivent sans électricité”. Paradoxal pour un continent aussi riche en ressources fossiles et renouvelables.
Enfin, rappelle-t-il, l’on peut citer l’engagement pris par la Banque Mondiale dans le cadre de « One planet summit », tenu en 2021, d’investir 5 milliards de dollars US sur 5 ans en faveur de la Grande Muraille Verte, notamment pour contrer la sécheresse, restaurer les sols, améliorer la productivité agricole et bâtir des infrastructures résilientes face au climat ».
Ainsi, prit fin notre entretien sur une note d’espoir quant à la capacité du continent africain de relever ses nombreux défis. Il était temps de prendre congé de mon hôte qui, selon son agenda très chargé, devait continuer son marathon de rencontres. Ce qui ne l’empêcha pas toutefois de me raccompagner jusqu’au Hall avant la sortie afin que je ne me perde pas dans le labyrinthe. Là, nous nous dîmes au revoir.
Au lieu de repartir aussitôt, j’eus le temps de profiter des 30 mn d’attente de mon taxi Uber pour me balader dans cet immense hall aux panneaux publicitaires, où j’appercus des chaises et des tables sur une grande esplanade, c’était le café de la banque. Il était à l’image de ce lieu emblématique, où gigantisme et l’opulence riment avec beauté et sobriété voire minimalisme du décor: toute l’incarnation des États-Unis ; ici l’orgueil et la toute puissance se rejoignent !
Dans la voiture qui me ramenait à Greenbelt, dans le Maryland, je ne pouvais ne pas me rejouir d’avoir visité ce lieu où la finance mondiale est réglée et régulée, dans une belle et séduisante ville de Washington qui rassemble à une carte postale vivante.