Le Bureau Opérationnel de Suivi (BOS) du Sénégal, grâce à son approche, a été honoré par la Banque Africaine de Développement (BAD) en étant désigné centre d’excellence pilote pour les Delivery Units africains. Ce bureau a tenu la première édition du Forum des Delivery Units du 9 au 10 novembre à Dakar. Lors de cet événement, le Réseau Africain des Delivery Units (RADU) a mis en lumière des thématiques portant sur des enjeux stratégiques et élaboré des recommandations pertinentes. Dans cet entretien, Me El Ousseyni Kane, Directeur Général du BOS, livre une perspective approfondie sur les moments clés de l’événement.
Que retenir des 48h des travaux de la 1ère édition du Forum du Réseau africain des Delivery Units (RADU) ?
Nous avons tenu ce premier forum du Réseau Africain des Delivery Units pendant 48 heures afin d’échanger sur les bonnes pratiques que nous avons tous dans nos pays. Nous sommes convaincus du rôle fondamental que jouent les Delivery Units (DU) dans l’émergence du continent. Nous sommes dans une période d’instabilité, de changements et de bouleversements. L’Afrique fait face à beaucoup de défis liés à la jeunesse de sa population, aux questions d’emploi, aux pressions climatiques et aux inégalités de part et d’autre. Il est important qu’on soit plus performant dans la mise en œuvre de nos politiques publiques. Nous sommes aujourd’hui tous convaincus que les Delivery Units peuvent apporter une contribution dans la planification des politiques publiques, dans le suivi opérationnel, dans l’évaluation de leurs impacts, de manière à faire face à ces nouveaux défis que nos pays rencontrent. Nous avons eu aujourd’hui la chance de pouvoir réunir quinze pays africains dans ce magnifique centre Abdou Diouf de Diamniadio pour discuter ensemble et réfléchir à l’avenir de l’Afrique et poser des jalons pour demain.
Quelles en sont les grandes conclusions à retenir de la rencontre ?
Nous avons eu des panels de très haut niveau sur des thèmes qui nous semblent extrêmement importants. D’abord, la question de la souveraineté alimentaire. Nous avons vu tout ce qui s’est passé pendant la Covid-19 et durant les premiers mois du conflit russo-ukrainien. L’Afrique s’est retrouvée confrontée à des défis d’accès à certaines denrées alimentaires de première nécessité comme le blé, le riz, le sucre ou l’huile. Nous avons les ressources pour que l’Afrique soit autonome et souveraine. Le continent possède d’immenses terres agraires et des ressources en eau. C’est un combat que nous devons gagner, que ce soit celui de la souveraineté alimentaire, pharmaceutique ou encore énergétique. Ce fut un panel assez intéressant et nous avons formulé des recommandations.
En outre, la question du numérique et de la digitalisation de nos processus dans l’administration, pour un peu plus de transparence et plus d’efficacitén a été au menu. Des recommandations fortes ont été faites. Deux grands rendez vous ont également été marquants: le premier concernait la formalisation du Réseau africain des Delivery Units. Pour la première fois depuis que nous discutons de ce sujet, nous avons signé un protocole d’accord qui symbolise l’engagement de quinze pays africains et pas des moindres pour collaborer ensemble, échanger sur les bonnes pratiques, s’entraider, faire des missions de benchmark et pouvoir, chacun de son coté, apporter sa contribution dans l’intégration économique africaine.
C’est un message fort dans le contexte de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) que nous lançons à tout le monde, à tous les décideurs politiques et économiques pour dire que l’Afrique peut se prendre en main. Il y a dix ans, quand le Sénégal lançait son Plan Sénégal Émergent (PSE), nous avions été accompagné par un cabinet de conseil international qui était venu nous aider dans la formulation. Aujourd’hui, nous sommes dans la seconde phase décennale du PSE que nous lancerons en 2024. Le groupe consultatif du Plan Sénégal émergent se tiendra ce mois-ci à Paris. Cette deuxième décennie du PSE a été faite par l’administration sénégalaise, dont le ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération et le BOS. C’est dire tout le parcours effectué et comment le BOS a développé une expertise qui l’a permis de structurer en interne avec l’ensemble de l’écosystème les nouveaux projets et réformes phares du Plan Sénégal Émergent.
L’autre événement important après la mise en œuvre de ce réseau, a été de dialoguer avec les partenaires au développement en leur disant « voila ce que nous voulons faire et voir comment vous pouvez nous accompagner « . Nous avons eu des échanges avec tous les partenaires qui ont pris des engagements fermes pour accompagner ce réseau de manière à ce que l’événement que nous avons tenu cette année à Dakar puisse se tenir annuellement dans d’autres pays.
Quelles étaient les principales difficultés liées à la mise en place du réseau des Delivery Units africains?
Il y avait d’abord un défi énorme concernant la pérennité même des Delivery Units. Dans un contexte d’instabilité politique, la question est de savoir voir comment ils doivent surmonter les transitions politiques. A Dakar, nous avons fait des recommandations sur comment doivent fonctionner ces cellules, quelle doit être leur composition, leurs relations avec l’écosystème et les décideurs. Nous avons également formulé des recommandations sur l’ancrage des Delivery Units. Parce que très souvent nous avons dans beaucoup de pays des Delivery Units qui sont au niveau soit sectoriel ou stratégique comme la Primature ou la Présidence. Et des recommandations ont été faite sur l’ancrage institutionnel, pour faire en sorte qu’elles puissent jouer pleinement leurs rôles dans la mise en œuvre des politiques publiques. Nous avons aussi validé le principe de pouvoir engager les pays dans les échanges que nous avons, c’est à dire qu’on permette par exemple à des Sénégalais de pouvoir être en immersion au Maroc pour aider, par exemple, le Royaume du Maroc à travailler sur un dossier et, en retour, que des Marocains puissent aller accompagner le Malawi pour structurer un projet sur lequel ils ont déjà travaillé et ainsi de suiet. Nous allons également mettre en place une plateforme d’e-learning dédié à toutes les Delivery Units et où nous allons mettre nos documents, nos compétences et nos bonnes pratiques pour que chaque pays membre du réseau puisse accéder librement à des documents de part et d’autre et pouvoir ainsi s’inspirer des bonnes pratiques d’un d’autres pays.
Par ailleurs, il faudrait éviter que les Delivery Units ne soient considérés comme la police de la mise en œuvre des politiques publiques ou qu’elles soient en concurrence avec des administrations sectorielles. Les Delivery Units doivent travailler sur la véracité et la crédibilité des données et ne pas être bousculées par des considérations politiciennes. Les Delivery Units doivent donner la photographie exacte de la situation, de l’état d’avancement d’un pays ou d’un projet et laisser les politiques faire leur travail. Il y a aussi des difficultés de disposer de ressources humaines de qualité. L’objectif qu’on s’est assigné dans le cadre des DDelivery Units, c’est de pouvoir challenger les partenaires et les investisseurs pour que nous-mêmes puissions choisir ce que nous voulons comme projet et comment nous voulons le réaliser. D’où la nécessité de renforcer la compétence des acteurs dans la mise en œuvre de nos politiques publiques.
Quel est le rôle du Bureau Opérationnel de Suivi (BOS) du Sénégal dans la structuration et la mise en place du réseau ?
C’est une fierté pour nous, pour l’image et le positionnement du BOS qui est une émanation de la vision du Président de la République, Macky Sall qui, dès qu’il a lancé le Plan Sénégal Emergent (PSE) en 2014, a voulu mettre en place ce dispositif. Le PSE et le BOS fêtent leurs dix ans. Lorsque vous passez par la nouvelle ville de Diamniadio ou par Dakar et que voyez tous les projets structurants mis en œuvre, , il y a quelque part la main du BOS, que ce soit dans la planification, le suivi opérationnel, l’évaluation ou la résolution d’un problème. Donc, nous avons accompagné la dynamique de transformation du Sénégal en donnant des informations fiables à l’autorité, en n’étant pas en concurrence avec les ministères mais en les accompagnant. Ces ministère sont également aidés à délivrer, en développant de bonnes pratiques, mais aussi en faisant de l’innovation avec des LAB qu’on a initiées et qui permettent de structurer des projets complexes en moins de cinq semaines. Nous avons aidé dans l’évaluation pragmatique de projets, des initiatives et des réformes complexes pour montrer leur impact sur la vie des Sénégalais de manière générale. Donc, ce centre d’excellence a été créé et le BOS a été choisi comme centre d’excellence pilote. Nous avons s reçu au moins huit pays au Sénégal, pour les accompagner dans la mise en place de leurs stratégies de développement? Et nous avons même fait mieux quand nous sommes allés au Nigéria, dans l’Etat d’Ondo, pour les aider à structurer leur plan de développement. C’est tout cela qui a fait que beaucoup de pays africains nous ont fait confiance en prenant le BOS comme référence. Nous sommes fiers de nos réalisations, ainsi que de la confiance que nos pairs africains nous accordent.
Comment les partenaires au développement appréhendent-ils ce réseau ?
Vous savez, les partenaires au développement ont intérêt à ce que les projets qu’ils accompagnent soient délivrés. Ils ont rencontré des difficultés de performance dans les décaissements et la mobilisation des fonds qu’ils engageaient dans certains projets. C’est pour cette raison que la Banque Africaine de Développement (BAD) estime que les projets financés doivent être plus performants. Quand ils se sont rendu compte des résultats satisfaisant du BOS, ils ont voulu l’étendre à tous leurs projets sur le continent. Nous avons donc entamé des négociations qui ont abouti à la mise en place d’un centre d’excellence au Sénégal. Toutefois, cette initiative requiert des investissements assez importants et la BAD était prête à accompagner le Sénégal. L’institution a alors mis à notre disposition un don qui nous permet de vous engager à faire de la formation pour certains pays, à aider à la mise en place des Delivery Units ou bien à renforcer leurs capacités. Donc, c’est un partenariat gagnant- gagnant.
Le RADU a été lancé en 2019, pourquoi la formalisation n’a été effective qu’en 2023 ?
L’intention de mise en place du RADU a été formulée en 2019, lors de la Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique qui s’est tenue à Dakar sous la’ présidence l’égide du Président Macky Sall et du président Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire. L’intention de créer un réseau africain avait alors été émise et depuis lors, le BOS s’est attelé à le formaliser. Je me suis personnellement déplacé pour rencontrer les dirigeant de la BAD à Abidjan fin 2019, afin de présenter les perspectives du réseau. Il y a eu par la suite de grandes négociations par rapport aux fonds à mettre à disposition et c’est quand même quasiment un an plus tard, en 2020, que nous avons signé l’accord avec la BAD pour mettre en place cet accompagnement. Par la suite, une autre phase de sensibilisation des pays africains a été entamée. Je pouvais bien engager la création du réseau en 2019, avec quatre, voir cinq pays qui étaient là, mais je considérais que ce n’était pas pertinent. Je me suis donc fixé un cap en disant que tant que je ne tiens pas la barre des quinze pays membres, qui sont prêts à s’engager et à échanger ensemble, il ne fallait pas formaliser le réseau. Nous avons continué à faire un travail de contact et d’information en allant au Nigéria, au Maroc, au Malawi. Dans cette même dynamique, nous avons reçu le Burkina Faso, la République Démocratique du Congo (RDC), le Mali, la Gambie etc. Beaucoup de pays sont venus, et même si le réseau n’a pas été formalisé, nous avons quand même collaboré. L’occasion était belle durant le forum de Dakar de pouvoir formaliser ce réseau et lancer des perspectives pour la transformation de l’Afrique avec une plus grande place donnée aux Delivery Units. Le message que je voulais lancer à tous, à nos administrations, à nos pays, à nos dirigeants, à nous mêmes, c’est que c’est possible et que personne d’autre ne peut construire l’avenir que nous voulons pour nous mêmes. Nous avons les compétences à tous les niveaux. Dans tous les pays du monde, vous allez voir des Africains à des niveaux insoupçonnés, il faut leur donner le cadre adéquat sur le continent pour qu’ils puissent exprimer leurs talents et porter la voix de l’Afrique.
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