Financial Afrik a échangé avec Arsène Dansou, le directeur général de la Banque Internationale pour l’Industrie et le Commerce (BIIC), l’une des institutions bancaires qui opèrent au Bénin. Il évoque, entre autres, l’épineuse question du financement des PME/PMI et « le risque PME ».
Comment se porte la BIIC aujourd’hui ?
La BIIC se porte très bien, en dépit du fait qu’elle évolue dans un environnement économique, financier et bancaire assez contraignant. Les difficultés qu’elle rencontre sur son parcours découlent de la conjoncture, des impacts de l’évolution globale sur les économies africaines, et en particulier celles de la sous-région d’Afrique de l’Ouest. Nous faisons toujours face non seulement aux effets de la sortie de la Covid-19 mais également à l’impact inattendu de la crise russo-ukrainienne, et des défis liés à la crise sécuritaire dans la région. Ces crises et leurs durées n’avaient pas été anticipées, par conséquent, leurs répercussions affectent nos activités, car de nombreux clients que nous finançons pour des projets d’investissement connaissent des retards dans la mise en œuvre. Ces retards sont dus au fait que la plupart de ces projets, impliquent l’importation d’équipements, d’usines clés en main et diverses technologies installées dans tout le pays, en particulier dans le cadre du projet de la Zone Économique Spéciale GDIZ, qui abrite plusieurs usines de transformation de matières premières diverses. Nous avons soutenu certaines initiatives dans ce domaine, et elles ont souffert ou continuent de souffrir des impacts de la crise russo-ukrainienne.
Cependant, la BIIC se porte très bien. Nous avons clôturél’exercice 2022 en tant que leader du marché bancaire béninois, une position que nous avons confirmée lors de la publication de nos chiffres à mi-parcours récemment validés par nos commissaires aux comptes. Nous sommes toujours leader du marché au regard des quatre principaux critères de classification (Total Bilan, Total des encours de crédits, Total des ressources et total des titres en portefeuille), et pour certains de ces agrégats, nous avons amélioré notre position.
Nous travaillons à fournir des solutions adaptées aux besoins de notre clientèle, acteurs productifs de notre pays. La BIIC étant un outil public au service du développement du secteur privé, nous collaborons avec les acteurs pour identifier leurs défis et attentes légitimes afin d’y apporter des solutions appropriées, pour répondre au mieux aux besoins spécifiques de chaque secteur d’activité. Nous continuerons à faire cela dans les années à venir pour permettre aux acteurs économiques béninois d’avoir un partenaire de référence et fiable pour construire ensemble les piliers d’une économie béninoise robuste et résiliente.
Une proportion encore très faible de PME bénéficie d’un financement bancaire. Comment analysez-vous cette situation ?
Les PME représentent une part considérable de l’économie béninoise, tant formelle qu’informelle. Cependant, dire que la proportion de PME bénéficiant d’un financement bancaire est très faible est à nuancer. La plupart des banques de l’écosystème béninois ne pourraient pas exister sans lefinancement des PME, car ces dernières sont les principales créatrices de richesse dans notre environnement économique. Les grandes entreprises, qu’elles soient multinationales, régionales ou locales, dépendent des PME en tant que prestataires, fournisseurs et clients. Par conséquent, les PME ne pourraient pas répondre aux besoins de ces grandes entreprises sans l’accompagnement des banques. Le niveau de financement progresse au fil des années surtout avec les réformes et soutiens divers apportés par l’Etat. Il reste encore des efforts à faire de part et d’autre pour un assainissement de la relation. En effet le niveau de risque de crédit lié aux PME reste très élevé et les outils de mitigation très peu vulgarisés. Aussi, il est nécessaire d’améliorer « l’éducation financière et bancaire » des PME pour améliorer leur « bancabilité ».
Quels sont les mécanismes mis en place par la BIIC pour le financement des PME/PMI ?
Notre approche à la BIIC consiste à améliorer et à renforcer l’accessibilité de l’accompagnement des banques pour les PME à travers plusieurs actions. Nous avons mis en place un programme de rencontres périodiques avec les PME pour comprendre leurs besoins et analyser leur relation avec la banque. Cette démarche n’est pas réservée aux seules PME clientes de la BIIC, mais est ouverte à toutes les PME opérant sur le marché béninois. Nous écoutons leurs difficultés et proposons des solutions. La BIIC se positionne comme une banque à l’écoute des PME, travaillant en collaboration avec elles pour élaborer des solutions adaptées à leurs besoins. En outre, nous avons développé une stratégie qui va au-delà du financement pour inclure un volet d’accompagnement non financier . Nous reconnaissons que les PME ont besoin de conseils, d’orientation et d’un soutien tout au long de la réalisation de leurs projets. C’est ce que nous nous efforçons de proposer pour toucher un public plus large.
En ce qui concerne les mécanismes de financement des PME/PMI mis en place par la BIIC, nous avons :
• La recherche de ressources de moyen long terme à des coût compétitifs, afin d’offrir à notre clientèle cible, des financements à des taux ne dépassant pas 10% ;
• Le partenariat avec des institutions spécialisées dans la garantie de portefeuille et de financement dédié aux PME, ce qui a permis de lever un des obstacles majeurs en matière de financement des PME. En effet, les PME ne disposent pas souvent de garanties appropriées ou suffisantes pour obtenir un financement bancaire. En travaillant avec ces partenaires, nous avons obtenu des lignes de couvertures qui nous permettent de financer les PME avec une garantie de 50 % fournie par ces institutions, à laquelle nous ajoutons d’autres types de garanties, notamment des assurances et des nantissements d’équipements que nous finançons. Cette approche facilite l’accès au financement et surmonte les obstacles liés aux garanties.
Une composante forte qui est la formation et l’accompagnement stratégique des PME pour garantir que les fonds sont utilisés conformément à l’objectif du financement, ce qui constitue un gage de confiance pour les banques pour d’autres financements futurs, contribuant ainsi à leur croissance.
Comment gérez-vous le fameux « risque PME » ?
Le risque de crédit ne se limite pas au financement des PME ; il est présent partout, tant au sein des grandes entreprises que des PME. Cependant, la complexité réside surtout dans la rigueur de la gestion et dans la relation avec la banque pour les PME. Nous avons observé un niveau d’éducation financière ou d’expérience insuffisant dans la relation bancaire, qu’il est crucial de renforcer. C’est pourquoi, lors de nos sessions d’échange, nous menons des campagnes de sensibilisation, attirant l’attention des dirigeants de PME sur les nombreux paramètres pris en compte par les banques lors des analyses de dossiers de financements.
Il arrive que nous mettions nos clients en contact avec les acteurs du back office (analystes financiers, analystes risques, juristes, …) pour expliquer les paramètres d’analyse, les critères de choix et de catégorisation des PME en matière d’analyse de risque et de crédit. Nous expliquons également l’importance de certaines dispositions juridiques dans leur relation avec différents partenaires, des dispositions qui rassurent davantage le banquier. Ensuite, nous offrons un accompagnement avant, pendant et après les financements pour nous assurer que le client a bien compris la gestion responsable et rigoureuse de ses besoins ainsi que les ressources mises à disposition.
En plus de cet accompagnement et de la sensibilisation, comme mentionné plus haut, nous utilisons des outils de garantie pour atténuer le risque. Certains de nos partenaires proposent également des formations et des accompagnements non financiers aux dirigeants de PME, afin de les former à une meilleure gestion de leurs activités et de la relation bancaire. Cette approche permet d’éviter des difficultés de remboursement et, en étant à l’écoute et proche du client, d’anticiper d’éventuels problèmes pouvant induire des risques de non-paiement.
L’expérience que nous accumulons progressivement nous permet de dire avec fierté que nous possédons l’un des meilleurs portefeuilles du secteur. Actuellement, le taux de dégradation de notre portefeuille est estimé à moins de 1%, avec très peu de PME touchées. Ainsi, la sensibilisation, l’accompagnement et l’écoute sont des facteurs essentiels pour éviter les difficultés liées aux financements.
L’accès au crédit reste un défi pour les jeunes et les femmes. Quelle est votre approche vis-à-vis de cette catégorie ?
Nous sommes conscients que l’accès au crédit demeure un défi pour les jeunes et les femmes porteuses de projets de PME. À la BIIC, nous portons un regard attentif sur ces PME, mai également sur les entreprises ayant une majorité de femmes au sein de leur personnel, même si elles ne sont pas nécessairement dirigées par des femmes. Nous avons mis en place un programme d’accompagnement spécifique pour les femmes entrepreneures et les PME ayant un personnel majoritairement féminin, lancé en mars 2023. Ce programme vise à promouvoir la participation des femmes aux affaires et à leur contribution au développement économique de notre pays. Nous savons que les femmes jouent un rôle essentiel dans la création de richesse, mais cela n’est pas toujours suffisamment mis en lumière.
Dans le cadre de ce programme, nous collaborons avec une SAE qui offre des accompagnements et des conseils en matière de gestion et de stratégie. De plus, nous avons des partenariats avec un notaire, un avocat, une société d’assurance et un expert-comptable pour fournir des services d’accompagnement à un coût modique, proche de la subvention. En parallèle, la BIIC fournit un financement à des taux préférentiels dans le cadre de ce programme. Nous avons également établi un partenariat de garantie avec Africa Guarantee Fund (AGF), qui garantit une partie des engagements que nous prenons sur ces projets, permettant ainsi aux femmes entrepreneures de bénéficier de financements plus favorables. AGF propose également des formations aux entreprises bénéficiaires dans le cadre de son programme AFAWA, et la BIIC s’engage à offrir un financement adapté à des taux compétitifs pour soutenir ces PME. Cette initiative a été très bien accueillie, et nous avons pour objectif de financer au moins 25 entreprises par an dans le cadre de ce programme. Nous avons débuté en mars 2023, et en mars 2024, nous présenterons les résultats de cette première expérience. Nous souhaitons répéter cette initiative chaque année, permettant ainsi aux bénéficiaires initiaux de partager leur expertise avec les prochaines cohortes, afin de créer un réseau d’entrepreneures et d’entreprises à majorité féminine favorisant la création de richesse dans notre économie. Nous espérons que ce programme puisse être une source de fierté dans les années à venir, démontrant que la BIIC a contribué à la création d’un réseau d’entreprises innovantes portées par des femmes, amazones des temps modernes.
À quels défis la BIIC est-elle actuellement confrontée, et quelles sont vos perspectives ?
Les défis auxquels nous sommes confrontés à la BIIC sont les mêmes que ceux auxquels font face les banques sur le marché. L’un de ces défis majeurs est la gestion de la liquidité, c’est-à-dire d’avoir accès à des ressources financières à maturité longue, avec des coûts alignés sur les besoins du marché et sur nos ambitions de permettre l’accès à des services financiers innovants à toutes les couches socio-économiques de notre pays. Pour financer des projets immobiliers à long terme, des PME ou des projets d’innovation portés par des jeunes, nous avons besoin de ressources financières adaptées. Nous travaillons activement avec des partenaires bilatéraux et multilatéraux, ainsi qu’avec l’écosystème bancaire pour obtenir ces financements. En parallèle, nous nous efforçons de concevoir et de mettre en place des solutions numériques pour offrir des services financiers accessibles à nos clients, même dans des zones reculées du pays.
En fin de compte, notre objectif est de continuer à être un acteur clé dans le développement économique du Bénin en fournissant des solutions de financement adaptées aux besoins de nos clients, tout en relevant les défis actuels du secteur bancaire. Nous souhaitons contribuer activement à la croissance économique de notre pays en renforçant notre présence et notre engagement envers nos clients, qui est depromouvoir le développement du secteur privé et de soutenir l’accès aux services financiers pour tous.