Avocat d’affaires connu pour son influence dans les cercles économiques et politiques français et africains, le mauritanien Jemal Ould Mohamed Taleb aborde dans cette tribune la question complexe du renouveau des relations entre l’Afrique et la France. In extenso.
Au début des années 80 la formule « Françafrique » a été trouvée pour définir une certaine relation entre la France et l’Afrique. Puis elle a évolué vers une logique de sentiment anti- français chez les Africains. A un ami Africain assez modéré et nullement anti-français à qui je demandais ce qu’il pensait de cette situation, il m’a répondu avec un rictus. « Tu blagues j’espère ! Ce n’est pas un sentiment diffus dans l’air. C’est de la haine. Pire, de la haine mêlée de mépris ». J’aimerais penser que mon ami exagère même s’il est plutôt du genre à adoucir les aspérités. Alors, la question qui se pose est de savoir s’il a raison et surtout pourquoi ?
Pour ma part, je viens d’un pays qui n’a pas de contentieux colonial avec la France et n’a pas spécialement un sentiment anti-français. Je suis personnellement admiratif de ce pays au point d’en faire le mien. Je m’y sens bien et je n’ai nullement envie de le quitter. J’y ai rencontré les personnes qui me sont très proches. Mes enfants y sont nés. J’ai la chance de rencontrer les plus belles personnes qui ont accepté de devenir mes associés. J’ai toutes les raisons d’aimer ce beau pays. Je lui reconnais des défauts mais je pense que ses qualités sont plus grandes. Je ne le définis pas comme un pays raciste et le peuple français, « gaulois et réfractaire » comme disait le président Macron, est sans doute le peuple le plus généraux et le plus tolérant que l’humanité nous a donné. Je veux bien revenir à cette haine que décrit mon ami. Quand ce serait le cas, quelles en sont les causes ? Comment cette haine se manifeste-elle et quels en sont les acteurs principaux ? Que fait le personnel politique en France pour se tirer de cette (im)passe ?
Dans un livre intitulé « La France, pays de race blanche« , vraiment, un ami écrivain issu de l’immigration affirme que la France est le pays le moins raciste de l’hémisphère occidental. Les élites françaises ont manifesté bruyamment leur surprise, comme si c’était une insulte de les dédouaner de cette chose, eux qui ne rêvent que d’Amérique. La démonstration était solidement documentée. Il donnait pour preuve, les cahiers de doléances de ces villages français – le plus célèbre étant Champagney en Haute-Saône – qui demandaient au roi de libérer de l’esclavage leurs frères – eh oui, leurs frères – noirs des colonies antillaises, d’en faire de bons chrétiens et de bons citoyens. L’auteur évoquait ensuite les mixités, conjugale et résidentielle, plus banales en France que partout ailleurs, qui dans tous les systèmes de ségrégation – racisme ou de caste – sont les frontières intangibles. Il soulignait aussi que contrairement aux idées reçues, c’est en France que l’intégration est la plus réussie – dès la deuxième génération, on se sent pleinement français – bien plus que dans les pays anglo- saxons de melting pot – juxtaposition des peuples – que l’on cite souvent pour modèle. Mais en même temps, il soulignait la schizophrénie des élites politiques et intellectuelles françaises qui déjà au temps des Cahiers de doléances, convoquaient les sciences exactes et humaines pour démonter l’infériorité raciale des Noirs et par la suite, ont rédigé des Codes noirs.
Aujourd’hui, certains pensent (je n’en fais pas partie) que les héritiers de ces élites ont conduit la France dans l’insoutenable position de la haine et du mépris des Africains. Dans beaucoup de pays d’Afrique –les anciennes colonies françaises d’Afrique noire en particulier -, une partie de la jeunesse a pris la France en grippe. Toutes les occasions sont (1) bonnes pour en dire du mal ou poser des actes forts comme l’incendie des drapeaux. Autre indicateur infaillible de ce désamour, l’équipe de France de Football jadis leur chouchou, est devenue la première dont ils souhaitent la défaite. Cette haine se manifeste dans un sentiment certes bien confus, puisque la même France reste la destination rêvée de beaucoup, sinon de tous. Le Made In France est partout recherché et les entreprises françaises ont bonne réputation. Certes les politiques restrictives pour la délivrance des visas d’entrée aux étudiants les pousse à se tourner vers des pays apparemment plus ouverts comme les pays d’Amérique du Nord. Mais globalement la situation entre l’Afrique et la France pourrait redevenir une brouille familiale passagère si la classe politique en France se décidait à regarder l’Afrique avec d’autres yeux.
Je me souviens de la note, au début du COVID 19, que les services du ministère des affaires étrangères avaient produit et que beaucoup avaient critiqués car jugée assez méprisante pour les pays africains. En résumé elle disait que « La crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des États, incapables de protéger leur population. En Afrique notamment, cela pourrait être “la crise de trop” qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale) Vu d’Afrique, le Covid-19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique qui va amplifier les facteurs de crise des sociétés et des États. Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques ».
Ce regard qu’une certaine élite française pose sur l’Afrique est toujours analysée comme étant incapables de regarder l’Afrique autrement, que par le prisme du mépris. Ce sentiment crée sans doute un sentiment de rancœur d’une partie de la jeunesse qui se sent trahie, mal aimée, qui ne se reconnaît pas dans cette image. La conclusion des experts du quai d’Orsay prétend que « Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques ». On peut s’interroger de savoir si les pouvoirs ont appliquée ces recommandations à la lettre. Le sommet de Montpellier semble avoir été la scène qui devait célébrer le pacte avec les nouveaux interlocuteurs africains qu’une partie de la classe dirigeante en France a unilatéralement choisi.
Il est légitime de se demander si ce choix incombait aux autorités françaises car il n’appartient pas à un Etat de choisir ses interlocuteurs dans le concert des nations souveraines, pour le moins reconnues pas l’ONU. « Face au discrédit des élites politiques, on a donc trouvé d’autres interlocuteurs africains » comme le préconisait la note du Quai d’Orsay. Le président Macron s’est embarqué dans une aventure critiquable, à la rencontre de la jeunesse et de la société civile africain, désormais les interlocuteurs de la France en Afrique. En plus de son contestable conseiller Afrique, Il a choisi comme porteur de cette nouvelle approche, l’intellectuel camerounais Achille Mbembe. Esprit brillant et écrivain à succès . Rappelons quand même que l’homme, en plus d’être un beau cerveau respectable, doit une bonne partie de son aura à son matraquage contre les dirigeants africains qu’il nomme des satrapes, des momies qui s’éternisent au pouvoir et contre lesquels il demande souvent l’intervention des puissances étrangères. Nous sommes nombreux à penser que ce n’était pas une bonne idée de se mettre en position de dialogue (un peu de non dialogue puisque le président Macron a surtout été égratigné) avec (2) cette jeunesse en pensant qu’elle allait le couvrir d’éloges.
Et pourtant le président Macron avait tout pour plaire à la jeunesse africaine
La logique et ce raisonnement découle d’une lecture inattenduement naïve de la sociologie des sociétés africaines et de leur lecture de la françafrique car, malgré toutes les précautions prise en amont, on a livré le président Macron à «une bande de gamins mal élevés». On a également donné le message aux dirigeants africains en leur faisant comprendre qu’ils ne valent pas grand chose. Difficile d’imaginer après ça qu’on lutte contre la domination. Ces mêmes « gamins mal élevés » appellent désormais Achille Mbembe «l’Africain de Macron». Lui qui s’est fait connaître comme étant le théoricien d’une nouvelle approche des rapports entre la France et ses anciennes colonies. Le président Macron fait partie d’une génération de dirigeants occidentaux en principe décomplexés. Ils n’ont pas connu la colonisation et ne sont pas marqués par les relations historiques avec les dirigeants africains. Il a porté un discours interessant avant son élection et avait tout pour plaire à la jeunesse africaine.
Quand on entend l’intellectuel Camerounais Achille Mbembé dire que pour tester la crédibilité du président français et sa volonté à faire bouger les lignes, il lui a demandé de créer un fonds pour la démocratie en Afrique, ce que le président français s’est empressé de faire, on est surpris par une telle initiative, qui peut avoir des objectifs nobles, mais qui peut aussi être perçue comme étant une nouvelle mission civilisatrice. Il s’agirait d’apprendre aux Africains la démocratie et l’état de droit en choisissant et finançant les partenaires de cette mission. Le risque est que les Africains considèrent un tel instrument comme une officine de domination pour essayer de leur imposer « la vision de leur maître ». Et pour en finir avec l’intermède montpelliérain, on a vendu comme raison le fait que Monsieur Mbembe aurait été critique envers la France et que pour cela, la France l’aurait invité à participer à la rédaction de sa nouvelle relation avec l’Afrique. On pourrait s’interroger sur cette trouvaille d’une France masochiste qui aurait invité son ennemi à la guider dans ses choix. L’idée retenue est que le gouvernement français a fait le choix de louer les services d’un intellectuel africain, venu du camp en face, pour définir la nouvelle politique à appliquer sur son camp. Je doute personnellement de la pertinence dans le choix insolite de l’Afrique du Sud comme lieu d’implantation de ce fond de la démocratie, fond au demeurant inapproprié et perçu comme le comble de l’ingérence et du mépris et de l’infantilisation !
Kemi Seba et Nathalie Yamb, les nouveaux leaders de la jeunesse «révolutionnaire »
En effet, l’Afrique n’a rien à dire. On sait ce qu’il lui faut. Une certaine jeunesse africaine s’enfonça dans ce kaléidoscope burlesque de fautes et d’erreurs grossières, cadeau inattendu, pour transformer la France en un monstre à abattre et demander que les ponts soient coupés une bonne fois pour toute avec le pays de la françafrique méprisante et dépassée. Leur discours est simple, simpliste. Leur positionnement crypto révolutionnaire mime maladroitement les luttes des combattants noirs américains pour les droits civiques. Ils se voient dans la peau de Malcolm X, Stokely Carmichael, Eldrige Cleaver ou Angela Davis. Ils sont invités par les nouveaux partenaires de l’Afrique sur de prestigieuses tribunes, pérorent avec délectation et agonissent la France d’anathèmes, sous le regard attendri, admiratif de toute la jeunesse africaine. Kemi Seba et Nathalie Yamb sont les nouveaux leaders de la jeunesse « révolutionnaire » africaine que le personnel politique en France a fabriqué avec une obstination inattendue et suicidaire. Est-ce que la France des signataires des cahiers de doléances de Champagney en Haute-Saône, des mariages mixtes, est celle que décrivent ses pourfendeurs ? (3)
Commençons par la place des migrants. Même quand ils ne savent pas l’exprimer, malgré les contorsions d’une certaine élite, même si on offre parfois pendant des années, des tribunes télévisuelles inattendues à des racistes qui finissent par y croire et s’y voir, les Africains sont conscients que leur destin n’est pas tant à plaindre en France. La majorité des migrants de plus en plus est satisfaite de la place qu’elle a pu conquérir dans ce pays. On ne voit plus des diplômés faisant le gardiennage ou poussés sur le trottoir à cause du syndrome originel de l’éboueur. Lentement, mais sûrement, ils rejoignent la norme. Sans fausse modestie car j’en suis fier et reconnaissant, je suis avocat dans un cabinet prestigieux du VIIIème arrondissement parisien. Au Maroc voisin de ma terre natale, j’aurais été un anonyme avocaillon mauritanien. Je ne parle même pas des parcours exceptionnels. Omar Sy est la personnalité préférée des français. Yannick Noah est une vedette nationale adulée et la France ne sait plus compter le nombre de ministres ou parlementaires issus de l’immigration. Le cas de Rachel Keké n’est possible qu’en France. Combien d’intellectuels, combien de sportifs, combien d’écrivains auraient eu le même destin dans leur pays d’origine, mais surtout la même aura internationale ? C’est la grandeur de la France, leur pays d’accueil qui rejaillit sur eux. La France des angoisses existentielles des élites n’y a peut-être pas contribué. Mais la France profonde, celle héritière de Champagney qui donne sa fille en mariage à son frère noir, est éternelle et rassurante. C’est elle la vraie France.
Il est grand temps que le personnel politique en France comprenne qu’elle est suicidaire, sa politique africaine. Je pense au comportement de François Hollande face à son homologue Joseph Kabila, il y a quelques années en RDC. Est-il besoin de parler du discours de Dakar tenu par Nicolas Sarkozy ! Le président Macron a-t-il fait mieux au Burkina, au Congo ; au Cameroun où il traitait les Africains d’hypocrites s’ils ne pensaient pas comme lui et l’Otan sur la guerre en Ukraine ? Et cela ne s’arrête pas aux présidents. Jean-Yves Le Drian, Franck Paris et Madame Parly ont traité le Mali avec une arrogance ridicule. Aujourd’hui, les Africains ne peuvent même plus faire venir un parent direct, un père ou une mère en France, la politique des visas étant devenu purement barbare. Quelle raison peut justifier qu’un français, du fait de ses origines, ne puisse pas bénéficier de la visite de ses parents pour leur présenter son nouveau pays, celui qu’il a choisi pour lui et ses enfants ? Et les Africains sont convaincus, à mon avis à tort, que les Péruviens et les Chiliens sont mieux traités qu’eux ; qui ont une commune histoire avec la France. On a l’impression depuis quelques années que c’est la surenchère à qui méprisera le plus l’Afrique, ressuscitera la mission civilisatrice, aiguisera la haine de la jeunesse africaine. Notre conviction la voici. Il n’appartient pas au gouvernement en France de décider qui est son nouvel interlocuteur en Afrique. Le personnel politique en France a été bellement induit en erreur quand on lui a fait croire qu’il lui appartient de financer la démocratie en Afrique.
Le voisin culturel le plus proche de l’Afrique francophone c’est la France
La France a des intérêts non pas en Afrique, c’est très important de le souligner, mais dans les pays africains. La nuance est importante. On parle d’un continent, pas d’un village. Notre pays a toute légitimité à sauvegarder ses intérêts face aux autres partenaires qui aimeraient prendre sa place. Maintenant, il reste la méthode. Les Nations africaines sont dans un processus de renaissance. Elles veulent retrouver de leur passé, et avec le présent construire leurs nouvelles identités. Mais je ne pense pas qu’elles souhaitent gommer leur lien avec les anciennes métropoles coloniales. Certes la politique arrogante d’un Le Drian et autre Parly réussit à acculer le Mali et le pousser dans une impasse (4) et même à changer sa langue nationale. Mais il n’est pas tard pour se rattraper. Les bouleversements peuvent être moins dramatiques et les changements moins brutaux et moins radicaux. Le voisin culturel le plus proche de l’Afrique francophone c’est la France. On partage les mêmes philosophes, les mêmes goûts alimentaires, la même musique. Après la phase d’aliénation coloniale et postcoloniale – pas d’assimilation, assimiler c’est rendre semblable et aucun colon ne l’a jamais envisagé –, où l’Afrique devait ingurgiter sans rien donner, les équilibres se font de plus en plus. Si l’on trouve le camembert et le bordeaux sur les tables de Dakar ou d’Abidjan, les spécialités africaines conquièrent peu à peu leur place sur les tables hexagonales. Les philosophes et les écrivains africains sont cités jusque dans les livres scolaires. C’est sur cette base que doit s’établir la nouvelle relation entre la France et les pays africains, non sur des décisions prises sur un coin de table à l’Elysée, avec un saupoudrage maladroit des conseils parfois inadaptés ou d’intellectuels en mal de reconnaissance.
Pour participer à cette noble tâche, comment penser que la France ne puisse pas trouver dans l’Hexagone des Français issus de l’immigration qui ont désormais intérêt à un partage de valeurs sur les principes nouveaux d’égalité et de respect, et une production d’intérêt à inventer. Qui peut légitimement penser que le Franc CFA correspond encore aux réalités économiques du siècle ! Les accords de défense doivent être basés sur une réelle volonté des peuples et non sur un legs colonial. On peut crier Wagner/Wagner à longueur de documentaires. On peut multiplier des reportages incendiaires. Le seul risque que l’on court, c’est d’obtenir l’effet contraire à celui escompté. La France doit désormais considérer chaque nation africaine comme un partenaire, pas l’Afrique comme une uniformité vassale. À titre d’illustration, la RDC n’est pas la Guinée équatoriale. Le dire n’est pas manifester du mépris pour ce pays souverain. Mais le premier cité, pays continent de cent millions d’habitants, riche en tout, est cinq fois plus grand que la France, et la Guinée Équatoriale quinze fois plus petite que la France. Il doit devenir un partenaire privilégié, respecté comme tel, et non un pays noyé dans la politique africaine de la France et traité de haut par un président français. Les nouveaux révolutionnaires africains que la classe politique en France s’est entêtée à fabriquer demandent que l’Afrique coupe le pont avec la France «impérialiste , méprisante, arrogante».
Cette description si elle peut s’appliquer à la classe politique, est loin de ma France que je vis. Celle de mes associés, de mes voisins, de mes amis, de mes partenaires et de ma rue. Quant à nous, nous nous voulons garants d’une nouvelle relation. Notre double appartenance nous autorise – nous impose – cette position. Nous ne voulons pas que le pont soit coupé. Nous voulons travailler en établir d’autres, beaucoup d’autres. Mais ils devront être aux antipodes du modèle actuel. Et pour parodier Frantz fanon, notre génération doit dans cette relative opacité que constituent les relations actuelles entre la France et les nations africaines, trouver sa mission et la remplir. Cette mission est de multiplier les Ponts.
Jemal M. Taleb (5), Avocat au Barreau de Paris Membre du Think Thank CIR.