Par Dramane SANOU*
Dans le meilleur des mondes possibles, à compter du 1er janvier 2024, une nouvelle loi bancaire devrait rentrer en vigueur dans les Etats membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA)regroupant le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. En effet, le 16 juin 2023, les ministres chargés des Finances des pays membres de l’UMOA ont adopté un projet de loi uniforme portant réglementation bancaire dans l’UMOA. Ce texte est appelé à remplacer la loi uniforme adoptée en 2007 et transposée dans les ordres juridiques nationaux où elle a actuellement force de loi.
L’homogénéisation est assurée par la définition d’un régime juridique applicable aux ‘’entités assujetties’’ regroupant outre les banques et établissements financiers (qui sont les uniques destinataires de la loi bancaire actuellement en vigueur), les établissements de monnaie électronique, les holdings bancaires, les compagnies financières et les Fintechs. Aucune de ces entités ne peut revêtir la forme d’une société unipersonnelle.
Au titre des opérations bancaires, la réglementation est étendue aux activités de finance islamique et une ébauche de réglementation du financement participatif est amorcée, ce qui permettra sans doute aux établissements de paiement, de monnaie électronique et aux Fintechs de disposer d’une base juridique pour ce type d’opération qu’ils exercent actuellement avec beaucoup d’incertitudes juridiques.
Le projet de loi clarifie et actualise les règles visant à renforcer la gouvernance des entités assujetties notamment en interdisant expressément le cumul des fonctions de directeur général (DG) et de président du conseil d’administration (PCA) et en limitant ou interdisant le cumul des fonctions d’administrateur et de PCA. Une innovation majeure dans ce sens est l’interdiction pour un PCA d’exercer simultanément les mêmes fonctions de PCA auprès d’une autre entité assujettie. Par ailleurs, outre l’actualisation et le renforcement de leur statut et de leur rôle, les commissaires aux comptes sont astreints à une obligation de signalement à la Commission Bancaire.
Sur le plan prudentiel, les sanctions des infractions aux normes prudentielles sont davantage clarifiées. Ainsi, tout établissement agréé en infraction aux normes prudentielles ne peut, avant le retour à la conformité, procéder à des distributions discrétionnaires, notamment sous forme de dividendes, de rachat d’actions et de primes de rémunération discrétionnaires.
Plus remarquable est l’alignement de la réglementation bancaire sur la réglementation boursière applicable sur le marché financier régional de l’UMOA, par la définition d’un régime juridique de l’initié y compris l’aménagement de sanctions pénales pour réprimer les infractions en la matière. Ces innovations induiront indéniablement la mise à jour des différents codes de gouvernance et de déontologie applicables aux employés et aux dirigeants sociaux des entités assujetties.
En outre, de nombreuses dérogations sont apportées au droit commun de l’OHADA notamment des procédures collectives et des saisies, ce qui impactera les activités des juges et des avocats nationaux. Ainsi, lorsque l’exécution d’une décision définitive ordonnant une saisie ou de toute autre décision exécutoire rendue en dernier ressort contre un établissement agréé est susceptible de compromettre la stabilité financière ainsi que les intérêts des déposants, l’Autorité judiciaire nationale compétente doit s’assurer, en rapport avec la Commission Bancaire, que la mise en œuvre de ladite décision ne porte pas atteinte aux intérêts des déposants et des utilisateurs de services de l’établissement concerné. Cette disposition pourra sans doute contribuer à prémunir le système bancaire contre les conséquences de certaines lourdes condamnations financières prononcées par les juges nationaux à l’égard des établissements agréés pouvant avoir des répercussions systémiques importantes.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit un dispositif de règlement des différends entre les établissements agréés et leur clientèle. Ce dispositif comprend un mécanisme interne aux établissements de traitement des réclamations formulées par leur clientèle et un mécanisme de médiation institué au sein de l’Observatoire de la Qualité des Services Financiers, visant le règlement amiable des litiges entre les établissements et leur clientèle.
L’adoption de ce nouveau projet de loi uniforme bancaire -et le délai de six mois imparti aux Etats membres pour sa transposition dans les ordres juridiques nationaux- intervientdans un contexte où des évolutions politiques sont en cours dans certains pays de l’UMOA marquées par des coups d’Etat militaires. La survenance de ces évènements oblige à questionner les ressorts de l’intégration normative dans l’UMOA, en lien avec la suspension de ces Etats de certaines instances communautaires ce qui pose la problématique de leur participation au processus d’élaboration, d’adoption et de suivi de l’application des normes communautaires par leurs destinataires au sein de l’ordre juridique concerné.
En tout état de cause, malgré ces incertitudes, une constante indéniable est que l’UMOA est également une zone d’intégration normative ou juridique où les acteurs économiques bénéficient d’une sécurité juridique reposant sur une réglementation communautaire uniforme leur permettant de mener leurs activités commerciales notamment bancaires et financières dans la zone, sans égard pour les frontalières nationales. Sous oublier les Etats membres qui bénéficient notamment des avantages d’un marché financier régional où ils peuvent lever régulièrement des fonds.
A propos de l’auteur
Dramane SANOU est Docteur en Droit-Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et avocat aux Barreaux du Burkina Faso et de Paris. Maître SANOU a une vaste expérience du système bancaire et financier de l’UEMOA acquise notamment auprès de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la Commission Bancaire de l’UMOA. Il publie régulièrement des articles sur les problématiques bancaires et financières de l’UEMOA et de la CEMAC et consacre également sa pratique d’avocat en conseillant et assistant une clientèle variée dans ces matières.