Par Mamadou SENE *, auteur de « La banque expliquée à tous – Focus sur l’Afrique », RB Edition.
Lors de sa quatrième session ordinaire au titre de l’année 2023, le Conseil des Ministres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) a décidé le 21 décembre 2023 du relèvement du capital social minimum des banques de l’Union de 10 à 20 milliards de FCFA en vue de renforcer la résilience du secteur bancaire et de répondre aux besoins croissants de financement auxquels font face les pays de l’Union. Il y a seize années, lors de sa session du 17 septembre 2007, le Conseil des Ministres avait décidé de porter le capital social minimum des banques de l’UMOA d’un montant d’un à dix milliards de FCFA à compter 1er janvier 2008 avec une mise en application en deux phases : le premier seuil de 5 milliards de FCFA à compter 1er janvier 2008 et au plus tard au plus tard le 31 décembre 2010 et le second seuil de 10 milliards de FCFA au plus tard le 1er juillet 2017. A propos de la décision du 21 décembre 2023, la date limite de mise en application du nouveau seuil de 20 milliards de FCFA n’est pas encore publiée.
Comment le capital social minimum des pays de l’UMOA se compare-t-il avec ceux des autres pays de la CEDEAO ?
Avec le nouveau capital social minimum des banques de 20 milliards de FCFA, soit 33,3 millions de dollars US, l’UMOA fait bonne figure au sein de la CEDEAO. Ce nouveau capital social minimum est certes inférieur aux 50 milliards de nairas (55,2 millions de dollars US) des banques nigérianes évoluant à l’international, mais il est légèrement supérieur aux 25 milliards de nairas (27,6 millions de dollars US) des banques nigérianes opérant uniquement à l’échelle nationale. Ces niveaux de capital social minimum des banques nigérianes, avec une date limite d’effet fixée au 31 décembre 2005, ont eu pour conséquence de faire passer le nombre de banques nigérianes de 89 à 25, essentiellement à la suite de fusions. Le nouveau capital social décidé par le Conseil des Ministres de l’UMOA se situe actuellement exactement au même niveau que celui des banques ghanéennes qui est de 400 millions de cedis, soit 33,3 millions de FCFA. La date limite d’effet pour les banques ghanéennes était le 31 décembre 2018. Le montant de 400 millions de cedis équivalait à 100 millions de dollars US, lorsque les autorités ghanéennes l’ont fixé. Entretemps, la valeur du cedi ghanéen a fondu comme beurre au soleil : le dollar US qui faisait 4,8 cedis au 31 décembre 2018, fait aujourd’hui 12 cedis. Pour ce qui est des autres pays de la CEDEAO, le capital social minimum de leurs banques est très nettement moins élevé, comparé à ceux du Nigéria, du Ghana et de l’UMOA, sans doute en raison de leurs économies plus faibles : 800 millions d’escudos cap verdiens (8 millions USD) pour le Cap Vert ; 200 millions de dalasis gambiens (3 millions USD) pour la Gambie ; 100 milliards de francs guinéens (11,6 millions USD) pour la Guinée ; 85 milliards de leones sierra-léonais (4,3 millions USD) pour la Sierra Leone ; 10 millions de dollars US pour le Libéria. Il faut noter que ce pays-ci a préféré fixer règlementairement le capital social minimum de ses banques dans une monnaie internationale, à savoir le dollar US. Du reste, même si le capital social minimum des banques est souvent fixé dans la monnaie nationale, elle est approximativement la contrevaleur d’un montant de référence dans une devise internationale ayant la confiance des acteurs économiques du monde, notamment le dollar US ou l’euro. Ainsi, pour les pays dont la monnaie baisse régulièrement de façon significative, sans perspective de redressement, les régulateurs sont obligés de réviser à la hausse par moments le capital social minimum de leurs banques pour ne pas trop s’éloigner de sa contrevaleur en dollars US ou en en euros, afin de conserver la confiance du système bancaire international. Aussi, il est à prévoir dans la CEDEAO et ailleurs en Afrique d’autres relèvements de capital social minimum.
Pourquoi les États et les régulateurs bancaires poussent-ils à l’accroissement des fonds propres des établissements bancaires et, par conséquent, au relèvement du capital social minimum ?
Le fait d’avoir des fonds propres importants procure deux avantages aux banques, à savoir le renforcement de leur solidité financière et l’accroissement de leur capacité à accorder des concours à leurs clients.
En effet, le relèvement du capital social minimum des banques renforce, toutes choses égales par ailleurs, leurs capitaux propres et leur solidité financière et par conséquent la stabilité du système financier et de toute l’économie. Il accroît la capacité de résistance des banques aux risques inhérents à l’activité bancaire, notamment à ceux liés aux impayés des clients ou à un retrait important de dépôts par la clientèle. Les fonds propres détenus par les banques sont gage de protection contre les crises bancaires pour les déposants et pour la collectivité tout entière. A contrario, les banques sous-capitalisées sont une menace pour les dépôts de leurs clients et pour la stabilité financière et économique.
Par ailleurs, la hausse du capital social minimum des banques accroît la capacité des banques à faire plus de crédit à leurs clients, à financer des projets et opérations plus importants, étant donné que les règles de prudence fixées par les régulateurs, notamment le ratio de solvabilité des banques, sont fonction du niveau des fonds propres de chaque banque. En tout état de cause, une banque ne peut faire du crédit qu’à trois conditions, toutes impératives, à savoir disposer de ressources suffisantes, avoir des niveaux de fonds propres permettant de respecter les règles prudentielles et recevoir des demandes de financement comportant un niveau de risque acceptable. La prétendue frilosité des banques tant décriée n’est souvent que le respect des deux dernières conditions précitées : le respect de la loi et de la réglementation bancaires et le souci de la maîtrise des risques.
Comment les banques mettront-elles en œuvre la décision de relèvement du capital social minimum des banques ?
La mise en œuvre de cette décision se fera de façon différente en fonction du niveau actuel des fonds propres de chaque banque. Pour celles qui ont un capital social égal ou supérieur à 20 milliards de FCFA, actuellement un tiers des banques de l’UMOA, elles sont déjà en conformité avec le nouveau seuil et n’ont rien à faire. Celles qui ne sont pas encore en conformité, mais qui ont suffisamment de réserves, la mise en œuvre sera aisée parce qu’il suffira de procéder à une augmentation de capital par incorporation de réserves, c’est-à-dire en intégrant une partie des réserves au capital social ; les actionnaires n’auront pas besoin de mettre la main à la poche ; pour les autres, celles qui ne sont pas encore en conformité et qui n’ont pas suffisamment de réserves, les actionnaires devront, soit procéder à une augmentation de capital par apport en numéraire en mettant la main à la poche pour se conformer à la décision de relèvement du capital social minimum, soit décider de ne pas procéder à une augmentation de capital et en conséquence, chercher plutôt à fusionner avec une autre banque, à en absorber une ou à se faire absorber par une en ayant toujours pour objectif que la nouvelle entité ait un capital social adéquat. On peut s’attendre à ce que dans le présent cas de l’UMOA, les banques choisiront de se conformer au nouveau capital social minimum en augmentant leur capital. Dans tous les cas, quelles que soient les modalités de la mise en application de la décision du Conseil des Ministres, on sait qu’une augmentation de capital entraîne pour toute entreprise, toutes choses égales par ailleurs, la baisse mécanique du bénéfice par action et donc le rendement de l’action, sauf si l’on parvient à maintenir le niveau de rémunération des actionnaires en accroissant sans délai les bénéfices ou en puisant dans les réserves.
Quelles peuvent être les inconvénients de la décision de relèvement du capital social minimum des banques ?
Le relèvement du capital social minimum des banques a quelques critiques. Les reproches de ces derniers portent sur les risques d’éviction des petites banques du secteur, d’entrave à la concurrence, de renchérissement du crédit et d’incohérence par rapport au niveau des économies de certains pays.
Il est vrai que le relèvement du capital minimum des banques peut potentiellement entraîner l’éviction d’acteurs incapables de respecter le nouveau seuil de capital ou au moins provoquer la fusion ou l’absorption de certains d’entre eux. Mais, étant donné que le secteur bancaire est le seul autorisé à prêter à sa guise et sans informer l’argent que les déposants, y compris les plus humbles d’entre eux, lui ont confié, il n’est pas déraisonnable que ce pouvoir énorme ait comme contrepartie que le législateur exige des banques qu’elles aient une solidité financière irréprochable. Pour les banques, avoir des fonds propres suffisants et adéquats est une loi d’airain et doit le rester. Chaque fois que cela ne l’a pas été, où que ce soit dans le monde, les entreprises, les personnes et toute la collectivité ont payé la note.
Quant au reproche d’entrave à la concurrence, il est tout simplement excessif, parce que, en général, les banques incapables de s’aligner sur la nouvelle norme de capital, sont rarement celles qui animent la concurrence. Si pour tout secteur, il faut toujours un nombre suffisant d’offreurs et de demandeurs pour favoriser la concurrence, il n’en faut pas un nombre pléthorique. Pour ce qui est du secteur bancaire de l’UMOA qui compte une trentaine de banques en Côte d’Ivoire et au Sénégal, et une quinzaine dans les autres pays, à l’exception de la Guinée-Bissau, personne ne peut croire qu’il y aurait moins de concurrence bancaire si la Côte d’ivoire et le Sénégal ne comptaient chacun que 15 à 20 banques et les autres qu’une dizaine. Il n’y aurait sans doute pas moins de concurrence ; il y en aurait même peut-être plus, avec des banques plus solides financièrement et disposant de plus de points de vente et de compétences. L’exemple du Maroc est édifiant à ce propos. Avec un produit intérieur brut deux fois supérieur à celui de la Côte d’Ivoire et presque cinq fois supérieur à celui du Sénégal, il ne compte que 24 banques contre 29 et 28 respectivement pour l’un et l’autre pays. Toutefois, malgré un nombre inférieur de banques, le Maroc compte neuf fois plus d’agences bancaires et de guichets automatiques de banque que la Côte d’Ivoire et douze fois plus que le Sénégal ; le produit net bancaire cumulé des banques marocaines fait trois fois celui des banques ivoiriennes et cinq fois celui des banques sénégalaises ; le total des bilans des banques marocaines fait près de 5 fois celui des banques ivoiriennes et plus de 8 fois celui des banques sénégalaises.
La crainte du renchérissement du coût du crédit n’est pas illégitime. Cependant, une augmentation de capital par incorporation de réserves ne porte pas nécessairement un risque de renchérissement du coût du crédit, parce que, au moment où le rendement par action baisse, chaque actionnaire voit aussi, sans bourse délier, le nombre d’actions détenues augmenter dans les mêmes proportions ; la rémunération de chaque actionnaire reste donc intacte et la tentation de renchérir le coût du crédit ne se justifie pas. En revanche, une augmentation de capital en numéraire peut susciter au niveau de certaines banques la tentation de réviser à la hausse leurs tarifs pour dégager plus de bénéfices et conserver aux actions le même rendement qu’avant l’augmentation. A mon avis cette tentation touchera peu de banques et surtout ne prospérera pas parce qu’elle sera étouffée par la concurrence qui caractérise le secteur bancaire dans l’UMOA. Pour maintenir le niveau de rentabilité de leurs actions, beaucoup de banques essaieront plutôt d’accroître leurs bénéfices par l’élargissement de leurs activités et non par la révision à la hausse de leurs tarifs.
On peut aussi entendre l’observation portant sur les inconvénients d’un capital social minimum uniforme dans l’UMOA, pour des économies et des banques aussi éloignées les unes des autres que celles de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Bissau. Il est vrai que l’UMOA a connu avant les années 2000 une période avec deux niveaux de capital social minimum, un plus élevé pour la Côte d’Ivoire et le Sénégal et un autre moins élevé pour les autres pays. Mais, il est aisé de comprendre qu’une différenciation des niveaux de capital social minimum en fonction des pays n’est pas acceptable dans une zone monétaire regroupant des pays égaux en droits et en devoirs et qui se veut intégrée et solidaire. Un pays comme le Nigeria a trois niveaux de capital social minimum : un premier pour les banques régionales, un deuxième pour les banques nationales et un troisième pour les banques internationales. L’UMOA distingue trois catégories de banques en fonction de leur importance systémique dans le système financier et l’activité économique de l’UMOA : les établissements bancaires d’importance systémique régionaux, les établissements bancaires d’importance systémique nationaux et les autres. Il n’est pas inconcevable que cette catégorisation des banques en fonction de leur degré d’importance systémique puisse entraîner une réflexion des autorités monétaires sur une différenciation des niveaux de capital social minimum.
En somme, la décision de relèvement du capital social minimum des banques de l’UMOA décidée le 21 décembre 2023 par le Conseil des Ministres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) est une bonne décision.
*A propos de l’auteur
Mamadou SÈNE est l’auteur du livre «La banque expliquée à tous – Focus sur l’Afrique», RB Édition. il est notamment administrateur indépendant d’institutions financières et ancien dirigeant de banques.
Un commentaire
Tout simplement, l’article le plus pertinent et le plus brillant que j’aie jamais lu sur FinancialAfrik ! Tous les aspects de la question ont été abordés, analysés et présentés avec une précision et une maîtrise parfaites. Chapeau !