À la veille du départ d’Akinwumi Adesina de la BAD, les spéculations sur son successeur montent en flèche. Parmi les noms circulant, celui du Tchadien Abbas Mahamat Tolli. Fort de son expérience à la tête de la BEAC, sa candidature soulève toutefois des interrogations sur sa capacité à fédérer et incarner les aspirations profondes de l’institution abidjanaise, sur fond de critiques envers sa gestion passée.
À un an de la fin du mandat d’Akinwumi Adesina, le Nigérian, président de la Banque Africaine de Développement (BAD), les couloirs diplomatiques africains bruissent déjà de ballets diplomatiques. Alors que la BAD, unique institution africaine dotée d’une notation triple A, se prépare à accueillir un nouveau leadership, les candidats potentiels se positionnent, tandis que les chancelleries africaines et internationales peaufinent leurs stratégies, tous conscients de l’enjeu majeur que représente la direction de cette institution clé. Selon des sources proches du dossier, le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno déploie un activisme sans précédent pour placer son pion sur l’échiquier. Une potentielle candidature d’Abbas Mahamat Tolli, son cousin, à ce poste, revient ces derniers jours avec insistance dans les débats.
Et comme argument de campagne, le dirigeant, qu’on accuse d’être arrivé au pouvoir par “un coup d’État”, mise sur le fait qu’aucun ressortissant de la CEMAC n’avait jamais occupé la présidence de la BAD pour d’abord rallier ses compères d’Afrique centrale à sa cause, avant d’élargir son appel au soutien à tous les membres.
La tâche sera ardue. Car si Tolli, à la tête de la BEAC depuis 2017, a été un acteur clé dans la mise en œuvre de politiques visant à stabiliser la monnaie commune de la CEMAC, le franc CFA, son mandat a également été marqué par des décisions controversées, notamment des politiques budgétaires restrictives critiquées pour leur impact sur la croissance économique des pays membres. Des sources internes à la BEAC évoquent un style de gouvernance autoritaire, ayant conduit à des tensions, notamment avec le Cameroun et le Gabon, deux poids lourds de la région.
“Le processus de sélection du président de la BAD est hautement concurrentiel et ne se limite pas à la représentativité régionale. Il exige une expertise avérée en matière de développement économique, une capacité à mobiliser des ressources internationales et une vision stratégique pour adresser les défis complexes auxquels le continent africain est confronté,” confie un expert qui travaille à la BAD.
Effectivement, des experts et des diplomates, notamment du Cameroun et du Gabon, sous couvert d’anonymat, expriment des réserves quant à la capacité de Tolli à “fédérer autour d’une vision commune pour le développement du continent”.
Au sein de la BEAC, le climat est à l’orage. Des voix anonymes, mais bien présentes, se lèvent pour questionner la gouvernance d’Abbas Mahamat Tolli. Le cœur du tumulte ? Un concours de recrutement récent, éclaboussé par des soupçons de favoritisme et d’inégalités criantes. Certains candidats, murmure-t-on dans les couloirs, auraient franchi les étapes avec une aisance déconcertante, poussés par des liens obscurs avec les hautes sphères. Le spectre du népotisme plane, alimenté par des témoignages affirmant que Tolli aurait placé ses proches aux postes stratégiques de la banque.
Cette ambiance au sein de la BEAC n’est pas sans rappeler les tourments qu’a connus la BAD sous la présidence d’Akinwumi Adesina. Entre 2019 et 2020, la banque panafricaine a été secouée par des vents contraires, accusée de flirter avec le népotisme et de laisser filer les rênes de la bonne gouvernance. Adesina lui-même, cerné par des accusations de partialité dans les promotions et de laxisme dans la conduite des projets, a dû se soumettre à l’épreuve d’une enquête indépendante. Un examen qui, finalement, le blanchira, lui permettant de garder le cap de la BAD pour un second mandat.
Cependant, le jeu politique autour de la succession à la tête de la BAD ne se limite pas au seul prétendant tchadien. Après une décennie dominée par les anglophones, l’heure semble propice, selon plusieurs observateurs et acteurs au sein même de la BAD, à l’avènement d’un francophone. Dans les allées discrètes du pouvoir, les noms de potentiels candidats émergent, en provenance du Bénin, de la Mauritanie, et même du Sénégal. Particulièrement en vue, les ministres des finances et de hauts cadres de ces pays, dont les états de service font l’objet d’éloges, sont fréquemment cités comme de sérieux prétendants.
“Mahamat Idriss Déby Itno, initialement soutenu par la France, adopte aujourd’hui une position ambivalente. Son inclinaison vers la Russie suscite des interrogations et pourrait compromettre les aspirations de son poulain. Il est essentiel de noter que des pays tels que les États-Unis, le Japon, la France, l’Allemagne, le Canada et le Royaume-Uni, en tant qu’actionnaires significatifs de la Banque Africaine de Développement, privilégieront des candidats alignés sur leurs intérêts, particulièrement ceux présentant une ligne claire et sans équivoque,” analyse un diplomate ouest-africain.