À l’instar de ces étudiants de l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso), qui se sont plaints devant Emmanuel Macron, en 2017, du dysfonctionnement de la climatisation, une célèbre activiste camerounaise s’est récemment illustrée par une prouesse d’humour ou, qui sait, par l’analyse politique la plus percutante du siècle. Se proclamant souverainiste sur les réseaux sociaux, elle soutient que le report des élections présidentielles au Sénégal par Macky Sall visait à permettre la participation de Karim Wade, son successeur désigné, selon elle, par Emmanuel Macron. Rien que ça !
Une telle allégation, qui aurait été considérée comme une saillie digne du « Marrakech du Rire » ailleurs, est prise au sérieux dans l’Afrique virtuelle des réseaux sociaux – à ne pas confondre avec le continent réel – où de nombreux influenceurs attribuent chaque événement politique à la France, vue comme une main « baladeuse ».
Face à la débâcle de l’armée malienne à Kidal en mars 2012 et à la présence prolongée de forces étrangères dans le pays, certains y ont vu la main de la France, accusée de piller l’or malien, bien que le nord du Mali soit, jusqu’à plus ample informé, dépourvu de ce métal précieux. Au Tchad, la réhabilitation de Succès Masara a été liée aux réseaux souterrains du Quai d’Orsay, malgré une médiation largement menée par des pays arabes et africains, avec un rôle crucial de la RDC. Curieusement, dans ce même Congo ex -Zaïre, les ambassades de France et des États-Unis sont pointées du doigt pour « non-assistance à pays en danger » par une opinion publique qui semble épargner l’État de toute remise en question de son plan d’action pour la paix au Kivu. Au Gabon, lors du coup d’État mené en août 2023 par le général Brice Oligui Nguéma contre le président Ali Bongo, l’attention s’est davantage portée sur ses interactions avec l’ambassadeur de France que sur son programme politique.
Il semble que nous, Africains, ne puissions ni élire un président ni orchestrer un coup d’État par nous-mêmes. Cette façon de penser nous dénie toute responsabilité dans notre propre histoire. Au lieu d’analyser globalement les crises, en identifiant les intérêts en jeu et les causes profondes, nous nous contentons de traquer, de manière obsessionnelle, la moindre trace d’influence étrangère, notamment française.
Il est vrai que tous les pays sont sujets à des influences étrangères, plus ou moins directes, qui se manifestent dans les échanges commerciaux, les investissements directs étrangers, les transferts de fonds, etc.
Cependant, dans le cas des pays africains, cette fixation sur les influences extérieures traduit peut être un trauma, la hantise des réseaux Jacques Foccart et Bob Denard et, quelque part, un certain déni de responsabilité dans l’analyse des crises politiques.
Sommes-nous donc de grands enfants, éternellement mineurs, comme le suggérait « Tintin au Congo », au point de considérer la CEDEAO, principal moteur de l’intégration régionale, qui fonctionne relativement bien, comme un instrument colonial ? Ce n’est pas rendre hommage aux idéaux des pères fondateurs que de penser que l’opposition à la prise de pouvoir par les armes est contraire aux aspirations africaines.
Depuis le début de la dernière crise de la communauté ouest-africaine, dite « le Brexit du Sahel », l’on s’acharne à voir la main de la France, ignorant qu’il s’agit avant tout d’un calendrier de transition que les militaires refusent de respecter. Comme si le protocole additionnel de la CEDEAO sur les droits de l’homme et la démocratie avait été signé à Paris au début des années 2000, et non à Dakar. Comme si la libre circulation et le droit d’établissement dans cet espace économique et politique n’étaient pas un avantage offert aux citoyens en quête d’opportunités.