Par René-François Monckeh, auteur de « Didier Drogba, l’Attaquant de rêve – La belle aventure des vice-champions d’Afrique » (Secom Medias, 2006).
Ils ont organisé l’une des meilleures Coupes d’Afrique des Nations (CAN) de l’histoire, surnommée « la CAN de l’hospitalité ». Après avoir déjà remporté deux éditions (1992 et 2015), ils ont promis qu’il n’y a pas de « deux sans trois ». Tous les artistes du pays ont chanté à la gloire des Éléphants, reprenant et dansant sur le « Coup du marteau », l’histoire à succès musical de cet événement sportif, avec plus de trente millions de vues sur internet.
Au final, la Côte d’Ivoire a réussi ! Elle a gardé « sa coupe à la maison », comme les Ivoiriens l’avaient souhaité. Ils ont atteint le sommet, là où, même s’ils faisaient partie des favoris, personne ne les attendait après leur prestation humiliante à l’issue du premier tour et leur repêchage. Presque tout a été dit et écrit sur le miracle ivoirien de cette CAN 2023 dans le pays d’Houphouët. On a même vu la main de Dieu à l’œuvre, alors que, pendant longtemps, dans ce pays bâtisseur de basilique, on attribuait le triomphe des Éléphants aux « sorciers » d’Akradjo. « Aide-toi, et le ciel t’aidera », dit la Bible.
En pays Wè, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, la tradition enseigne que « si tu veux qu’on te lave le dos, lave d’abord ton propre ventre ». Deux raisons essentielles, au-delà des forces invisibles, expliquent la transcendance des Éléphants : primo, le réaménagement technique avec le choix d’un jeune entraîneur national ; secondo, la prise de conscience patriotique et le renforcement mental des joueurs.
Concernant le réaménagement technique, l’excellent niveau technique atteint par le tournoi montre que nos footballeurs sont au standard mondial. Leur formation généralisée et leur évolution à l’international mettent le football africain au niveau de celui de l’Europe et de l’Amérique. Dès lors, la différence se fait, au-delà des infrastructures, au niveau du coaching et du mental des joueurs, ainsi que de leur esprit combatif. Lorsque deux armées disposent des mêmes armes, celle qui a un général talentueux et des soldats surmotivés, croyant en la cause qu’ils défendent, remporte la guerre. Emerse Fae, l’Éléphant retraité devenu entraîneur, appelé en urgence après le « Waterloo » collectif, est ce général stratège. Il connaissait le contexte, les enjeux géopolitiques et patriotiques. Il a employé les mots justes pour surmonter tous les obstacles et la malchance. Les mots et les paroles fortes sont des armes redoutables. Un expatrié, quelle que soit sa compétence, n’aurait pas apporté cette dimension supplémentaire nécessaire. Voilà pourquoi la confiance en Fae a été déterminante.
Concernant le nouvel état d’esprit, l’humiliation suprême subie et infligée au peuple ivoirien, et leur « résurrection » après le premier tour, ont eu un effet salutaire en galvanisant leur esprit de combat et leur patriotisme. C’est ce que le philosophe et écrivain français Charles Pépin appelle « les vertus de l’échec ». Ayant échappé à la « mort » devant leur public, désormais tout de orange vêtu, mobilisé, chantant et dansant, les Éléphants, transfigurés, se sont donnés une âme d’invincibles. La touche et le discours du stratège Ermes Fae ont fait le reste. Adieu le complexe européen.
Depuis toujours, les Éléphants et leurs supporters souffraient d’un déficit mental. Il était difficile pour l’équipe nationale de remonter un but, de conserver un avantage, pour le public de s’identifier aux couleurs de son équipe et de continuer à la soutenir même en étant mené au score. Difficile aussi d’entonner et de chanter l’hymne national pour galvaniser les Éléphants. Aujourd’hui, cela est également accompli. Un nouvel état d’esprit est né, devenant une grande source d’inspiration pour tous les Ivoiriens. Cette CAN n’a pas été seulement celle de « l’hospitalité », mais aussi celle d’une véritable transformation à plusieurs dimensions. Peut-elle vraiment être le déclic pour l’émergence d’un nouvel Ivoirien, comme le souhaite le président Alassane Ouattara ? Il a investi plus de 500 milliards de francs CFA pour la CAN, a prophétisé la victoire et fait confiance aux Éléphants. Pari gagné haut la main.
Les médailles et les récompenses remises par le président aux Éléphants sont à la juste mesure du grand bonheur que ce triomphe leur a procuré, ainsi qu’à l’ensemble du peuple ivoirien. Même des statues à l’effigie de chacun aux carrefours de nos villes ne seraient pas de trop. Bravo, les Éléphants !