Par Dr Beaugrain Doumongue, Président chez Construire pour demain.
On se dépêchait fort lentement à considérer la question climatique autrement que comme un angle mort des matrices analytiques des banquiers centraux. La BCEAO adopte un sujet d’une actualité brûlante, restituant à juste titre leur importance aux défis de l’anthropocène.
Une rare initiative
La question climatique est devenue si irréductible à notre époque qu’elle a pénétré et substantiellement impacté tant de secteurs d’activités. Agriculture, eau, santé, énergie, infrastructures, tourisme, finance, assurances; tout y passe. Et pour cause ! Le fond de chaque sujet est à la fois économique et financier, renvoyant indubitablement, directerment ou non, aux banques et aux banques centrales. Si l’on a rarement entendu les banques centrales africaines parler de climat, on n’en demeure pas moins ému quand des initiatives pointent à l’horizon. Concernant la BCEAO, un horizon a été dépassé le 06 février 2024, à Dakar, à la faveur exceptionnelle de sa conférence interntionale sur le rôle des banques centrales dans la lutte contre les défis du changement climatique.
Cette initiative, suffisamment rare pour être précieuse, arrive comme une pièce manquante à un gigantesque puzzle, mobilisant les possibles d’un mastodone économique et financier à une réflexion qui enfle à mesure que les enjeux gangnent en puissance, et à une action plus que jamais insuffisante et, somme toute, obligée. Le regard et l’intérêt des banques centrales permet ainsi de créer un appel d’air vital à des avancées concrètes. Pourquoi ?
– D’abord, parce qu’il n’existe sur notre continent, presque pas de débat (d’ampleur) sur le risque climatique, encore moins à la table des banques centrales ;
– Ensuite, parce que cette initiative représente un précédent qui obligera sans doute les acteurs financiers de tous bords, lesquels sont plus ou moins concernés, selon les cas, par le sujet ;
– Enfin, parce que les banques, les assurances et les États sont au défi d’approfondir et d’améliorer la réflexion sur le sujet.
Des temps mûrs
Dans une Afrique vulnérable (aux changements climatiques) mais entêtée, parce que pratiquant peu d’anticipation, il paraît important de loger un regard pointu sur les risques climatiques et de les intégrer progressivement à la politique climat des tiers organismes financiers intéressés. Cela représente un atout pour de nombreuses entreprises sur le continent, compte non tenu de la variabilité des risques en fonction des régions. Et en réalité, un coup d’oeil sur le tissu économique des pays africains impose la nécessité de prendre en compte l’influence de, et sur le secteur informel, véritable faille béante du développement continental. Les banques centrales ont ainsi un rôle à jouer pour (i) associer le risque climatique à la politique monétaire et de supervision financière, fût-ce, dans un premier temps, dans une démarche définitionnelle ; (ii) encourager la finance durable et (iii) promouvoir des investissements »bas-carbone ».
Plus concrètement, la conférence internationale tenue par la BCEAO pourrait représenter un préalable à des études prospectives inclusives visant à cartographier les risques multi-sectoriels liés au climat et à projeter des scénarios et plans d’adaptation fondés sur l’action concomitante des banques centrales, des Etats et des acteurs financiers. Action concomitante parce qu’au-delà de l’application de la politique monétaire, les mécanismes de soutien aux acteurs économiques à la base ne peuvent se dispenser de penser le risque à leur échelle. Afin que l’agriculteur de Kpiérik ou l’éleveur de Kaniamboua, au Togo, sachent disposer d’un parachute quand des vagues de chaleur ou sécheresses inattendues frapperont de plein fouet, menaçant ainsi leur solvabilité. De fait, la contribution des banques centrales, d’apparence première marginale, car il s’agit d’autorités monétaires, prend tout son sens dans la prolongation de la politique monétaire, sur le terrain applicatif de la politique de crédit. L’une à l’échelle conceptuelle, et l’autre à l’échelle pratique…Afin de donner aux banques commerciales et assureurs, aux avant-postes de l’urgence, de plonger sereinement les mains dans le coeur d’un inquiétant réacteur. Il est donc question pour les banquiers centraux, en dynamisant leurs politiques, au demeurant utiles et nécessaires, de fixer un cap décisif, compte tenu des enjeux de l’heure.
Après une lénifiante COVID-19 dont les effets, en lente dissipation, n’ont toujours pas fini de se faire sentir; devant les défis infrastructurels et énergétiques et compte tenu d’un aigre contexte géopolitique et sécuritaire sous-régional et international; les effets des changements climatiques exacerbent les vulnérabilités, jadis latentes, désormais palpables à tous égards, du continent africain. Cela est aussi vrai en termes d’approvisionnement des marchés, que de résilience des populations à la base. Cette goutte d’eau déborde le vase de l’inflation et de l’incertitude, et, vicie davantage le cercle de la compétitivité des économies, celui de l’insécurité et de la précarité. Si les risques climatiques n’ont pas souvent été mentionnés dans l’actualisation des politiques monétaires de la BCEAO, les observateurs avisés les sentaient déjà poindre au regard de la montée en puissance des phénomènes météorologiques extrêmes des années 2022-2023. Ce qui était alors un signal faible apparaît aujourd’hui plus clairement à la lumière des engagement nouveaux de la Banque. C’est dire si les temps sont mûrs.
Quelques incompressibles
« Les risques climatiques sont certes des préoccupations environnementales, mais leurs effets peuvent compromettre la résilience de notre système financier dans son ensemble », a constaté le gouverneur de la BCEAO, Jean-Claude Kassi Brou. Une pluie d’idées dans un désert de mots, s’il en était. Car oui, les vulnérabilités du continent exercent une pression sur le système financier. Un effet systémique qui impose la nécessité, fort impérieuse, d’associer le risque climatique dans l’édiction des politiques monétaires et donc dans l’encadrement des politiques de crédit. Les Etats, les banques commerciales et les assurances sont astreints au verdissement de leurs dispositifs financiers mais surtout à une prise en compte foncière de la question climatique afin d’adresser les défis à venir. Car il n’est pas juste question de gérer les risques mais de concourir à les limiter. De fait, les mécanismes de régulation de la BCEAO ont une nouvelle vocation : penser et regarder la stabilité des prix, la croissance économique, la stabilité financière et la gestion des cycles économiques sous le prisme, désormais inévitable, du risque climatique. L’inflation et le coût du crédit en dépendent. Il en va ainsi, et naturellement, du parachtute des professionnels à la base évoqué supra.
Au final, il convient, à l’appui de l’admirable sursaut de la BCEAO, de trouver des pistes d’évolution dans la nécessité de passer de la réflexion à l’action, en réduisant le risque climatique à la capacité des banques et assurances à le maîtriser. Qu’il s’agisse d’un enjeu crucial relève de l’évidence, mais il appartient à la prospective et à l’adaptation de construire les chemins de traverse de la résilience du secteur financier. Il est question, au fond, d’esquisser l’effet pangolin du risque climatique au profit de la préparation ouest-africaine aux chocs météorologiques inattendus. Rien de tel pour ne pas simplement dépasser un horizon, mais le déplacer surtout. Comment ?
– En quantifiant l’impact de la BCEAO sur le climat, pour rester fidèle au traditionnel impératif qui veut que la charité bien ordonnée commence par soi-même ;
– En mesurant et en actualisant la vulnérabilité du système bancaire sous-régional aux changements climatiques…pour générer des forces à l’endroit même où gisent les faiblesses à découvrir ;
– En faisant du risque climatique le fer de lance de la résilience ouest-africaine devant l’un des plus grands enjeux de l’heure. Car il en va du sujet comme de l’oxygène dans l’air ; il est nécessaire et vital.
*A propos de l’auteur
Dr Beaugrain Doumongue est ingénieur civil, physicien du bâtiment et expert en intelligence stratégique. Président de Construire pour demain, il est également fondateur de StratCo et Directeur du développement du Groupe scientifique SIGMA.