Par Dr Beaugrain Doumongue, Président chez Construire pour demain
La cherté du logement en Afrique a obligé les Etats à miser sur des stratégies de promotion du logement social. Si elles échouent dans de nombreux pays, des exemples de réussite suscitent de l’espoir. Il faut mobiliser les bonnes pratiques au secours de politiques africaines du logement.
Confusion des intentions
Les logements sociaux ont toujours été regardés comme l’option idéale pour juguler la problématique du logement. On a ainsi vu naître une pléthore de programmes de promotion du logement abordable partout sur le continent. Au Kenya, le Big Four Agenda visait à produire 500.000 logements jusqu’à 2022, afin de réduire de 60% le déficit du pays en matière de logements abordables. De même au Rwanda, le gouvernement a lancé, en mai 2019, un programme d’une valeur de 131 millions de dollars pour la sortie de terre de plus de 2.000 logements abordables à Kigali. Le Mozambique, quant à lui, vise 35 000 logements abordables (financés par Pékin) dont la construction par le chinois CITIC Construction, devrait contribuer à la réduction des problèmes de logement du pays.
En Côte d’Ivoire, le Président Alassane Ouattara avait annoncé en 2012 un plan de construction de 60.000 logements sociaux par an. Cette ambition était manifestement démesurée, car dans les faits, seuls 3.000 logements sociaux sortent de terre chaque année, du fait pur et simple d’un manque de capitaux et de la non-accessibilité de ces ouvrages aux couches sociales les plus défavorisées ; celles qui en ont pourtant le plus besoin. Il en va de même au Cameroun où les « maisons sociales » (dénomination locale) sont vendues à des tarifs beaucoup trop chers pour leurs cibles prioritaires, ainsi manquées au profit de fonctionnaires, dans des transactions à forte teneur en corruption. Et pour cause ! Comment demander à un individu dont le revenu annuel est des 500 euros, de payer un logement 60 fois ce tarif ?
En effet, une étude effectuée sur 34 pays d’Afrique subsaharienne montre que seulement 6 (Maurice, Afrique du Sud, Namibie, Swaziland, Lesotho et Mali) ont un RNB/hab au moins égal au prix du logement formel le moins cher. Ces chiffres démontrent à suffisance que les revenus des ménages africains sont trop faibles pour leur permettre d’effectuer des investissements dans le logement et à fortiori de faire recours à l’emprunt auprès des structures de microfinance spécialisées qui, au demeurant, restent peu nombreuses. Il est donc à regretter que dans de nombreux pays africains, seule 5 à 10% de la population puisse réellement se permettre la forme la moins chère de logement formel.
Esquisse d’une To do list
En dépit des dysfonctionnements, il existe des exemples de réussite, à l’instar du programme marocain des « villes sans bidonvilles ». En effet, au royaume chérifien, la mise en œuvre de programmes de réduction du déficit en logements a permis d’enregistrer des résultats concrets. D’après le gouvernement marocain, le déficit en logements du pays a été réduit de 800 000 unités en 16 ans. Il est passé de 1,2 million d’unités en 2002 à 400 000 unités en 2018, grâce au programme national « villes sans bidonvilles », lancé en 2004. 59 villes sur les 85 ciblées par le programme venaient ainsi d’être déclarées sans bidonvilles, contribuant à l’amélioration des conditions de vie de plus de 1,5 million d’habitants. Au terme de l’année 2021, 68% des ménages ciblés par le programme dont 100% de ceux identifiés en 2004 (270.000) on vu leurs conditions d’habiter s’améliorer.
Aujourd’hui, 25% des 100 villes les plus croissantes du monde sont logées en Afrique, où l’on compte depuis 2014, plus de 52 villes abritant plus d’un million d’habitants, lesquelles devraient pousser le continent à 1.2 milliards de citadins (population continentale actuelle) en 2050 pour une densité moyenne de 79 personnes/km2. Cette foule en plein essor continue d’habiter des logements informels et surpeuplés, ce pourquoi, il est urgent de quantifier à la fois le parc immobilier existant mais aussi la demande future pour définir les moyens d’y répondre convenablement.
En effet, l’expérience des dernières décennies montre bien que le déficit en logements est en constante aggravation. Les Etats africains ont donc un rôle à jouer en inventant des formes nouvelles de financement pour garantir une amélioration sensible de la question du logement et freiner la « tendance normative » que prend le logement informel ; tout cela, sur fond d’une maîtrise et d’une exploitation solides des possibles du foncier. Un moyen envisageable serait également de jauger le poids du financement du logement dans la dette des pays africains en comparaison des réponses que peuvent apporter les investissements, dans un regard orienté vers l’économie de marché. Cette approche est importante, au même titre que toutes les autres qui seraient empreintes de la même ambition, pour pallier le déficit en logements par la construction neuve adaptée aux contextes locaux. Il en va de même concernant la part défectueuse du parc existant, alors que la population des bidonvilles enfle à un rythme de 4.5% par an. Gageons, in fine, que c’est aussi par la mobilisation des bonnes pratiques, que nous en viendront aux meilleures solutions.
A propos
Dr Beaugrain Doumongue est ingénieur civil, physicien du bâtiment et expert en intelligence stratégique. Président de Construire pour demain, il est également fondateur de StratCo et Directeur du développement du Groupe scientifique SIGMA.